Retraites : quelles sont les pistes du gouvernement pour sauver sa réforme avant la présidentielle ?
Emmanuel Macron doit trancher avant la mi-juillet sur l'opportunité de relancer la réforme des retraites, suspendue en raison du Covid-19. Une gageure, compte tenu de l'inflammabilité des pistes envisagées.
C'est un pari risqué, à moins d'un an de la présidentielle. La réforme des retraites, promesse de campagne d'Emmanuel Macron dont l'adoption a été suspendue mi-mars 2020 en raison de la crise du Covid-19, pourrait faire son retour avant la fin du quinquennat. Le président de la République doit trancher d'ici à la mi-juillet sur l'opportunité de relancer ce chantier avant la fin de son mandat, a appris franceinfo de source gouvernementale, confirmant une information du Parisien.
L'exécutif espère ainsi faire oublier le revers des régionales et des départementales et renouer avec l'image d'un président réformateur, alors que le texte sur l'assurance-chômage, autre promesse phare du candidat Macron, vient de subir un nouveau report. Retraites, dépendance des plus âgés, statut des travailleurs indépendants, extension de la "garantie jeunes"... La majorité veut enchaîner les réformes dans le temps qu'il lui reste. Les huit derniers mois du quinquennat "seront calqués" sur les huit premiers en termes de rythme des réformes, confie à franceinfo un cadre de la majorité.
L'âge de départ repoussé à 64 ans ?
Ce calendrier législatif se justifie aussi, selon l'exécutif, par les conclusions de plusieurs rapports récents. Le Conseil d'orientation des retraites soulignait début juin que le déficit global du système s'établissait à 13 milliards d'euros en 2020 – bien en dessous néanmoins des 30 milliards initialement prévus. La commission présidée par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole et missionnée par Emmanuel Macron, estime de son côté qu'il est "inévitable" de réformer le système français, dont l'âge légal de départ en retraite (62 ans) est le plus bas des pays de l'OCDE. Si elle considère que le projet de système universel par points, présenté en 2019 par le gouvernement, peut constituer une "excellente base de départ", elle rappelle néanmoins la nécessité de l'accompagner d'une réforme du marché du travail et du système de santé, afin de "protéger les plus vulnérables".
S'activer si près de l'échéance électorale n'est toutefois pas sans risque pour le gouvernement. Personne n'a oublié les manifestations et les grèves massives de l'hiver 2019-2020, qui avaient réussi à faire reculer l'exécutif sur l'entrée en vigueur dès 2022 de l'âge pivot, cet "âge d'équilibre" en dessous duquel les salariés partant en retraite subiront une décote sur leur pension. Pas même Emmanuel Macron. Lors d'un déplacement dans le Lot, début juin, le président a reconnu que son projet était "porteur d'inquiétude" et ne pourrait pas "être repris en l'état".
"Tout est sur la table"
C'est bien là le deuxième arbitrage que doit rendre le chef de l'Etat : si réforme il y a avant 2022, que doit-elle contenir ? Dans un calendrier parlementaire restreint, comprenant des textes toujours en navette comme la loi Climat, l'exécutif n'a plus beaucoup d'espace pour son projet initial. Surtout compte tenu des autres réformes annoncées. Emmanuel Macron a donc demandé dès mars 2020 à son secrétaire d'Etat chargé des Retraites, Laurent Pietraszewski, d'étudier divers scénarios, confirme l'entourage de ce dernier à franceinfo.
Au lieu d'une refonte systémique, l'exécutif envisage une simple réforme des "paramètres" du système de retraite actuel : âge de départ légal, taux de prélèvement et durée de cotisation. Une réforme a minima, loin de l'ambition initiale d'équité et de lisibilité du système, mais qui enclencherait des économies rapides, afin de financer les derniers chantiers du quinquennat.
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, s'est ainsi dit "favorable" au report de l'âge légal de départ, mardi 29 juin sur CNews, lui qui fait de la réforme des retraites "une priorité". Selon le quotidien Les Echos, il est l'un de ceux, au sein de l'exécutif, qui poussent pour porter progressivement cet âge de 62 ans à 64 ans, à raison d'un semestre supplémentaire par an et par génération dès 2022-2023. La nécessité de travailler plus longtemps pourrait ainsi être inscrite dans le prochain projet de loi de finances de la Sécurité sociale, étudié à partir d'octobre par le Parlement, a appris franceinfo. Autre possibilité étudiée par l'exécutif : accélérer le calendrier de la réforme Touraine, votée en 2014, qui porte progressivement la durée de cotisation pour une retraite à taux plein de 41 annuités et trois trimestres aujourd'hui à 43 annuités en 2032.
"Pour l'heure, toutes ces mesures sont sur la table", y compris une réforme systémique qui supprimerait les régimes spéciaux avant 2022, "mais rien n'est décidé", assure l'entourage de Laurent Pietraszewski à franceinfo.
"On reste convaincus qu'une réforme est nécessaire pour assurer l'équité et la pérennité du système de retraites par répartition."
l'entourage de Laurent Pietraszewskià franceinfo
A l'Elysée, on temporise en assurant que "rien n'est arbitré" parmi "ces hypothèses de travail".
Le risque d'un "conflit social majeur"
Une réforme en catimini fâcherait en tout cas l'ensemble des partenaires sociaux. Les syndicats mettent en garde le gouvernement. "Ce serait une erreur de remettre ça sur la table", a assuré le 7 juin sur RMC Philippe Martinez, le leader de la CGT. Le numéro un de FO, Yves Veyrier, a affiché sa "détermination intacte" et prévenu le gouvernement d'un "conflit social majeur" en cas de réforme. Même Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, qui estimait en mars sur franceinfo que la réforme était "morte et enterrée", se dit dans Les Echos réfractaire à "une réforme-usine de trois mois", lui préférant "un débat [lors] de la présidentielle".
Une position partagée dans l'opposition par plusieurs figures de gauche et de droite. Le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, potentiel adversaire d'Emmanuel Macron en 2022, a ainsi estimé sur France Inter que ce débat devrait être tranché "par la présidentielle". Tandis que pour le socialiste Olivier Faure, repousser l'âge de départ à quelques mois d'un scrutin décisif relèverait d'une "injustice crasse".
La critique ne surprend pas la majorité. "Si on nous oppose que lancer une telle réforme alors que le quinquennat s'achève n'est pas légitime, nous pourrons arguer qu'il est nécessaire d'être responsable", expliquait déjà mi-juin à franceinfo un cadre de la majorité. "D'autant que le système à points n'est pas enterré. Il sera au menu des réformes du prochain quinquennat." En clair, afficher dès maintenant la couleur sur cette réforme majeure permettrait aux électeurs de se positionner en vue du scrutin de 2022.
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