Cet article date de plus de dix ans.

Si Numericable rachète SFR, qui perd, qui gagne ?

Le conseil de surveillance de Vivendi a décidé d'entamer des négociations exclusives avec Numericable, laissant Bouygues en retrait. Décryptage.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Altice, la maison-mère de Numericable, propose 11,75 milliards d'euros pour acquérir le numéro 2 de la téléphonie mobile. (PHILILPPE HUGUEN / AFP)

La surenchère de Bouygues n'aura pas suffi. Vendredi 14 mars, les actionnaires de Vivendi ont décidé d'entamer des négociations exclusives avec Altice, la maison-mère de Numericable pour le rachat de SFR. Selon Vivendi, Altice propose 11,75 milliards d'euros pour acquérir le numéro 2 de la téléphonie mobile, ainsi qu'une participation de 32% dans la nouvelle entité Numericable-SFR. Francetv info vous dit qui perd et qui gagne dans cette transaction.

Vivendi : gagnant

SFR plombe les résultats de Vivendi. L'opérateur a vu ses ventes chuter de 11,3% sur un an et ses résultats reculer de 9,6% en 2013. D'où la volonté du groupe de s'en séparer, pour se reconcentrer sur les médias. 

De plus, note L'Expansion, la valorisation de 11,75 milliards d'euros proposée par Altice est supérieure au chiffre d'affaires de SFR qui était de 10 milliards d'euros en 2013, ainsi qu'au prix d'achat de Vodafone : 8 milliards déboursés par le groupe en avril 2011. 

Selon Le Parisien (article payant), Jean-René Fourtou, le PDG de Vivendi, voulait boucler ce dossier avant son départ, prévu le 24 juin. Or, le rachat par Bouygues aurait été étudié par l'Autorité de la concurrence durant environ neuf mois, selon son président Bruno Lasserre. Vivendi tient ainsi ses délais.

Bouygues : grand perdant 

L'offre de Bouygues avait les faveurs de la Bourse. Après son annonce, l’action avait grimpé de plus de 6%. En rachetant SFR, le groupe, moribond, serait devenu le leader français du mobile avec 32 des 61,5 millions de clients français et le deuxième acteur du secteur pour la téléphonie fixe (7 millions de clients). Bouygues se serait également hissé à la 7e place du marché européen des télécoms. 

Pour pouvoir l'emporter, le groupe de communication et de BTP Bouygues avait abattu sa dernière carte, vendredi matin, proposant 800 millions d'euros supplémentaires en numéraire et la participation de Vivendi dans la société issue de la fusion à 43%. Troisième opérateur en France, Bouygues est directement touché par la concurrence féroce de Free et pourrait même être menacé. 

Free : semi-perdant 

"L’alliance de Vivendi et de Numericable pose d’énormes problèmes", a immédiatement réagi Xavier Niel, le fondateur de Free, dans les colonnes des Echos. Dernier arrivé sur le marché, Free compte 7,4 millions d'abonnés mais dispose d'un réseau d'antennes-relais peu développé. Le groupe doit même s'appuyer sur un contrat d'itinérance avec Orange pour la 3G.

Or, Free avait passé un accord avec Bouygues pour lui racheter, à un prix intéressant, ses 15 000 antennes et un portefeuille de fréquences, dont une partie pour la 4G. Dans un marché restant à quatre opérateurs comme dans le cas d'une fusion SFR-Numericable, Free devra maintenir sa politique ultra-concurrentielle pour espérer passer devant Bouygues. 

SFR : dans le doute

Le président d'Altice,  Patrick Drahi, s'est engagé à maintenir "tous les emplois", sans plus de précision. Du coup, les syndicats de SFR, qui emploie quelque 9 000 personnes, sont dubitatifs. "L'annonce ne lève pas les craintes sociales pour l'emploi, qui existaient déjà auparavant, ni les craintes économiques", a ainsi déclaré Laurent Penon (CFDT). 

Ce dernier regrette que les représentants du personnel de l'entreprise, ne soient "pas dans la boucle de ce projet" et découvrent les informations par voie de presse. De son côté, Damien Bornerand (CGT) a estimé qu'il faudrait "batailler pour que les garanties sur l'emploi soient inscrites dans le temps", sur "au moins trois ans" après la fusion effective. Une demande également formulée par l'Unsa, premier syndicat de SFR.

Le consommateur : la grande inconnue

Dans le cas d'une fusion Bouygues-SFR, le marché de la téléphonie mobile aurait profondément été recomposé, repassant à trois acteurs. Une nouvelle qui inquiétait l'UFC-Que Choisir, redoutant une hausse des prix et une baisse de la qualité de service. Et Alain Bazot, président de l'association de consommateurs, de rappeler : "Les clients en France ont beaucoup souffert de l'existence d'un cartel de trois opérateurs, qui avait réalisé une entente illicite." Une perspective qui s'éloigne.

Si Numericable est bien choisi pour reprendre SFR, les deux marques devraient subsister, chacune dans leur domaine, SFR pour le mobile, Numericable dans la fibre. Or, note Xavier Niel, "ils ne vont plus investir dans le FTTH [la fibre jusqu’au logement], en tout cas pas autant que SFR seul, puisqu’ils vont passer par le câble pour limiter les dépenses sur au moins 8 millions de prises". Orange n'aurait alors plus d'intérêt à investir autant car il serait quasiment seul à le faire.

L'Etat : perdant 

Alors qu'à Bercy, l'essentiel des ministres affichaient leur neutralité dans le dossier, Arnaud Montebourg avait revendiqué sa préférence pour l'offre de Bouygues. Le ministre du Redressement productif espérait notamment "l'arrêt de la guerre des prix et la stabilisation du secteur". Il subit ainsi un revers en terme d'image. 

Mais l'Etat pourrait être perdant sur un autre tableau : les impôts. Selon Arnaud Montebourg, "il y a un problème fiscal puisque Numericable a une holding au Luxembourg, son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam, sa participation personnelle est à Guernesey dans un paradis fiscal (...), et que [Patrick Drahi] lui-même est résident suisse". Et d'insister : "Il va falloir que Patrick Drahi rapatrie l'ensemble de ses possessions et biens à Paris, en France."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.