Procès en appel des ex-dirigeants de France Télécom : "J'espère qu'ils ne seront pas relaxés", témoigne une victime
L'ex-PDG, Didier Lombard et son ancien numéro 2 sont jugés devant la Cour d'appel de Paris ce mercredi. Ils avaient été condamnés en première instance, il y a plus de deux ans, pour harcèlement moral après une vague de suicides de salariés entre 2007 et 2010.
Béatrice Pannier a 59 ans dont quarante passées chez France Télécom. Alors que le procès en appel d'anciens dirigeants de l'entreprise s'ouvre mercredi 11 mai à Paris, cette téléconseillère de Caen, désormais en pré-retraite, n'a pas oublié la période la plus douloureuse de sa carrière, entre 2007-2010. France Télécom, entreprise de service public, devenait Orange, société privée côtée en bourse. À l'époque, selon les juges de première instance, la direction a créé un climat anxiogène dans le but d'inciter un maximum de salariés à quitter l'entreprise. Au total, 69 suicides ont été recensés entre 2007 et 2011 par l'Observatoire du stress et des mobilités forcées mis en place dans l'entreprise avec les syndicats. Au procès, les cas de 39 salariés ont été retenus : dix-neuf se sont donné la mort, douze ont tenté de se suicider et huit ont souffert de dépression ou été mis en arrêt de travail.
Béatrice fait partie de ces dizaines de fonctionnaires qui ont tenté, durant ces trois années, de se donner la mort. Elle s'était entaillé le bras avec un couteau sur son lieu de travail. "C'était au retour d'un arrêt-maladie." En 2019, le premier procès lui avait fait énormément de bien. La quinquagénaire y avait témoigné et pris le soin de regarder l'ex-dirigeant dans les yeux. Pour la première fois, une entreprise du CAC 40 était condamnée pour "harcelement moral" institutionnel sur un collectif de plusieurs dizaines de milliers de salariés. Des peines allant jusqu'à un an de prison avaient été prononcées dont quatre mois fermes pour les trois principaux prévenus : Didier Lombard, son ex-numéro 2 et son ex-directeur des ressources humaines, le seul à ne pas avoir fait appel.
"Ils étaient dans le déni total"
Que six des sept prévenus aient décidé de faire appel laisse à Béatrice Pannier un goût amer : "C'est quelque chose que personnellement, je ne comprends pas. Mais qui, d'un autre côté, est dans la continuité de ce qu'ils nous ont démontré pendant tout le procès. Ils étaient dans le déni total du mal qu'ils avaient bien pu faire. Alors moi, le deuxième procès, je n'en attends rien du tout parce que j'imagine bien qu'en trois ans, il n'y aura rien de changé à ce niveau-là, qu'ils sont persuadés d'être innocents. Je n'ai plus le courage d'aller entendre ce qu'ils ont à dire. Je n'ai pas envie de retourner m'intoxiquer, pas du tout envie de les entendre encore dans le déni."
"Je fais confiance à la justice et j'espère qu'ils ne seront pas relaxés parce que là, il y aurait quand même un sacré malaise."
Béatrice Pannier, partie civile au procès de France Télécomà franceinfo
Tout comme cette ancienne téléconseillère, les 173 parties civiles – victimes, familles de victimes mais aussi syndicats et associations – avaient été satisfaites de la première décision rendue par la justice il y a plus de deux ans. Ce nouveau rendez-vous judiciaire qui doit durer jusqu'au 1er juillet devant la Cour d'appel de Paris sera, pour elles, une seconde épreuve. Comme en première instance, le tribunal va examiner en détail les cas de plusieurs dizaines de salariés dont 19 se sont suicidés, certains laissant des courriers explicites sur le lien entre leur mal-être au travail et leur geste.
La défense invoque le rôle du changement de statut
Les juges vont rééxaminer les faits reprochés aux anciens dirigeants : la mise en place d'une politique visant à destabiliser les salariés pour les inciter à quitter l'entreprise "par la porte ou par la fenêtre" avait dit Didier Lombard, le PDG, dans une réunion de cadres en 2007. Le même prévenu qui avait dénoncé ensuite "une mode des suicides" dans son entreprise. Parmi les arguments de la défense : le contexte. Entre 2007 et 2010, France Télécom vit une révolution en passant du statut d'entreprise publique avec 100 % de part de marché à celui de société concurrentielle cotée en bourse. En 2006, un plan de 22 000 suppressions d'emplois avait été annoncé. Mais les employés ayant le statut de fonctionnaire, il était impossible de les licencier.
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