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"Gilets jaunes" : le journaliste indépendant Gaspard Glanz, arrêté samedi à Paris, est-il fiché S ?

Le reporter, interpellé lors de la 23e journée d'action des "gilets jaunes" samedi à Paris, a découvert qu'il était visé par une fiche S après son arrestation en octobre 2016, alors qu'il couvrait l'évacuation de la "jungle" de Calais.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le journaliste indépendant Gaspard Glanz arrêté par la police le 20 avril 2019 à Paris, lors de la 23e journée d'action des "gilets jaunes". (SAMUEL BOIVIN / NURPHOTO / AFP)

Son arrestation fait polémique. Le journaliste indépendant Gaspard Glanz a été interpellé, samedi 20 avril, alors qu'il couvrait la 23e journée d'action des "gilets jaunes" à Paris. Le reporter, fondateur de l'agence Taranis News, s'est spécialisé dans la couverture des manifestations et des mouvements sociaux, parfois violents. Et, depuis plusieurs années, il est à ce titre en butte à la police et à la justice.

Dans le live de franceinfo, vous nous avez interrogé, lundi 22 avril, afin de savoir s'il faisait l'objet d'une fiche S, comme l'affirme une pétition demandant sa libération et l'arrêt de son fichage, et, si oui, pour quel motif.

Du sommet de l'Otan à la ZAD

Gaspard Glanz est un ancien leader strasbourgeois du syndicat lycéen UNL, en première ligne dans les manifestations contre le CPE (contrat première embauche) en 2006. Ses actes lui ont notamment valu une condamnation à 1 000 euros d'amende dont 500 avec sursis pour outrages à des membres de la direction et à des personnels d'un lycée de la ville. 

Le jeune homme s'est lancé dans le journalisme au cœur des manifestations en 2009, à l'occasion du sommet de l'Otan à  Strasbourg, où les black blocs avaient fait parler d'eux, comme le rapporte StreetPress dans un portrait du reporter. Il s'est ensuite fait remarquer dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, où il a filmé le combat des zadistes dès 2012, puis deux ans plus tard sur le site du barrage de Sivens (Tarn) et en 2016 dès le début du mouvement contre la loi Travail. Gaspard Glanz a plus d'une fois été contrôlé par la police, voire arrêté et placé en garde à vue, notamment en 2015 alors qu'il filmait l'action d'un collectif dénonçant l'évasion fiscale pour Rue89 avant la COP21. 

Une fiche S découverte par hasard

Le journaliste a lui-même raconté sur le site de Taranis News les circonstances au cours desquelles il a appris qu'il faisait l'objet d'une fiche S. En octobre 2016, alors qu'il couvre l'évacuation de la "jungle" de Calais, Gaspard Glanz est placé en garde à vue. Il lui est reproché d'avoir volé un talkie-walkie des CRS, présenté sur le compte Instagram de son agence comme une "prise de guerre", mais qu'il dit avoir ramassé par terre pour le rendre.

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#CALAIS Prise de guerre.

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Entre sa cellule de garde à vue et la salle d'interrogatoire, le journaliste en profite pour poser une question : "J'étais à peu près persuadé d'être fiché S. J'ai demandé au policier du commissariat. En rigolant, il m'a dit : 'Oui, évidemment'", relate-t-il à StreetPress. Ses soupçons sont confirmés.

Gaspard Glanz en a la confirmation un peu plus tard. Alors qu'ils préparent le procès de leur client, ses avocats découvrent en ouvrant le dossier d'instruction qu'une "fiche S" au nom du reporter y a été versée. Le document, une feuille de papier au format A4, est reproduit sur le site de Taranis News.

"Membre de la mouvance anarcho-autonome"

Gaspard Glanz figure dans le fichier des personnes recherchées, à l'instar de 580 000 personnes, selon la Cnil, au motif de "sûreté de l'Etat", comme 20 000 autres environ. Il y est qualifié d'"individu membre de la mouvance anarcho-autonome (ou proche de la mouvance d'extrême gauche radicale) susceptible de se livrer à des actions violentes". Les policiers ou gendarmes qui le contrôleraient sont invités à "ne pas attirer l'attention". Et deux numéros de téléphone à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont à leur disposition.

"C'est surtout un moyen pour contrôler, pointe l'intéressé, interviewé par StreetPress. Ça permet de savoir à chaque fois que je fais un déplacement, que je suis contrôlé quelque part, 'il est passé là à tel endroit, à telle heure'. Ça leur permet d'avoir un œil sur le travail des journalistes."

En décembre 2017, les avocats de Gaspard Glanz ont assigné le ministère de l'Intérieur devant le Conseil d'Etat, afin de faire effacer cette fiche S. Mais, fin février, le Conseil d'Etat a rejeté leur recours, comme l'a dénoncé le reporter sur Twitter, en produisant le texte de la décision.

L'affaire du talkie-walkie a également valu à Gaspard Glanz une interdiction de séjour à Calais, la préfète du Pas-de-Calais faisant valoir qu'il risquait "de prendre part à des actions revendicatives violentes". 

Fiché J depuis un contrôle judiciaire

A cause de cette affaire, le reporter a aussi été placé sous contrôle judiciaire. Il a dû pointer chaque semaine au commissariat de Strasbourg, la ville où il est domicilié, jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer en juin 2017. Le journaliste avait dénoncé dans Libération cette mesure qui l'empêchait d'exercer sa profession et grevait le budget de son agence. Il avait aussi poussé un "cri de rage" contre ce "harcèlement policier et judiciaire" sur le site de Taranis News.

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Contrôle Judiciaire : Jour 64

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Mi-avril, Gaspard Glanz a découvert qu'il faisait l'objet d'une fiche J (pour "judiciaire"), conséquence de ce contrôle judiciaire. Comme la fiche S, cette fiche est une des 21 sous-catégories du fichier des personnes recherchées, explique la Cnil. Elle donne aux forces de l'ordre la marche à suivre en cas de contrôle d'une personne fichée. Elle permet notamment à la police judiciaire de procéder à une interpellation.

L'un des avocats de Gaspard Glanz, Raphaël Kempf, dénonce également ce fichage J. "Il a fait l'objet d'une privation de liberté sur la base d'une fiche J. Or cette fiche concernait une affaire à Boulogne-sur-Mer. Cette affaire a pris fin, il est inadmissible que Gaspard Glanz soit encore inscrit au fichier des personnes recherchées alors que son contrôle judiciaire a été levé", argumente-t-il sur le site Arrêt sur images.

L'avocat juge que son client "fait l'objet d'une forme de harcèlement de la part des autorités policières et judiciaires". Selon lui, sa "fiche J en est un exemple. Sa fiche S en est un autre".

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