: Vidéo Cinéma : "Cela fait 20 ans qu'on est 'gilets jaunes'" dans les banlieues, selon Ladj Ly, le réalisateur du film "Les Misérables"
Le film "Les misérables" sort au cinéma mercredi, un film en forme de cri d'alarme sur les banlieues françaises. "Souvent, on entend qu'il y a eu des plans banlieues par-ci, par-là, on a injecté des milliards et finalement, sur le terrain, on ne voit pas grand-chose", a confié le réalisateur.
Le film a impressionné tout le monde au Festival de Cannes : Les misérables, de Ladj Ly, sort mercredi 20 novembre en salles. L'action se déroule à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), où est né le réalisateur. Il dresse un tableau implacable des banlieues. "Depuis 20 ans on subit toutes ces violences policières, toute cette misère sociale, bien sûr qu'on soutient ce mouvement des 'gilets jaunes'", a notamment confié Ladj Ly à franceinfo mardi.
franceinfo : Voyez-vous votre film comme un manifeste, un cri d'alarme ?
Ladj Ly : Oui, j'ai voulu témoigner de la situation de ces quartiers de l'intérieur. Il se trouve que j'y habite et j'ai voulu apporter un témoignage qui soit le plus juste, sans prendre parti, sans porter de jugement sur les personnages et décrire la réalité telle qu'elle est. On entend souvent parler de ces quartiers à travers nos médias et nos politiques, mais je trouve qu'il y a un fossé énorme, voire dangereux, entre ce qu'ils disent et la réalité du terrain. Donc, moi, j'ai voulu apporter un témoignage sincère.
Est-ce qu'on vous a mis des bâtons dans les roues ?
Oui ! Enfin on n'est pas là pour se plaindre, pour pleurnicher. Mais ça a été le parcours du combattant. Après, on s'est toujours battu. On a toujours travaillé dur pour y arriver. C'est vrai que ça a été très, très compliqué de monter ce film. Clairement, ce film, ça fait dix ans que je l'ai en tête. J'ai fait plusieurs documentaires avant. Il se trouve que j'avais filmé une bavure policière et c'était aussi le point de départ de l'histoire que j'avais envie de raconter. On a été très peu soutenus pour monter ce film. On a dû le faire avec la moitié du budget. Heureusement qu'il y a eu la région Île-de-France qui nous a soutenus et Canal +. Mais après, ça a été vraiment vraiment très, très, très dur.
J'avais cette volonté de dévoiler de nouvelles têtes. C'était important pour moi de travailler avec des professionnels et des non-professionnels. Les trois quarts des comédiens qu'on voit dans le film n'avaient jamais fait de cinéma, n'avaient pas d'expérience. Pour nous, c'était un vrai pari de se dire qu'on allait bosser avec ces habitants, parce qu'on a embauché plus de 200 personnes dans le quartier. On les a vraiment impliqués parce qu'il se trouve que c'est aussi leur histoire. Quand on voit le résultat aujourd'hui et la justesse, on est assez content du résultat.
À Cannes, au printemps dernier, vous disiez que les banlieues étaient "gilets jaunes"....
Je le répète souvent, ça fait 20 ans qu'on est "gilets jaunes", qu'on subit toutes ces violences policières, toute cette misère sociale. Bien sûr qu'on soutient ce mouvement, parce qu'il se trouve que ce sont les mêmes revendications. C'est avant tout des problèmes de misère, de misère sociale. Ce sont des gens qui travaillent, qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts, donc oui, c'est le même combat, bien sûr qu'on soutient ce mouvement.
Quand il a présenté son plan pour la Seine-Saint-Denis, le chef du gouvernement Édouard Philippe, évoquait les difficultés hors norme de la Seine-Saint-Denis. Il parlait aussi du potentiel hors norme du département. Qu'en pensez-vous ?
Oui, c'est vrai que la Seine-Saint-Denis a un potentiel énorme. On voit toute cette jeunesse, qui a envie de s'exprimer, très talentueuse, mais souvent ces jeunes partent avec beaucoup de difficultés. Donc, il serait temps de mettre le paquet dans la Seine-Saint-Denis. Là, on a les Jeux Olympiques qui arrivent, tout le monde parle la Seine-Saint-Denis et on espère qu'il va y avoir des vraies mesures. Il faut mettre le paquet sur la culture et l'éducation, ce sont les deux points clés. Souvent, on entend qu'il y a eu des plans banlieues par-ci, par-là, on a injecté des milliards et des milliards et finalement, sur le terrain, on ne voit pas grand-chose. On estime que les choses n'évoluent pas plus que ça. Donc, on aimerait savoir où va tout cet argent.
Il y avait un plan, le plan Borloo, mais qui a été très vite abandonné...
C'est vrai que le plan Borloo, qui a été mis en place avec Emmanuel Macron, a été annulé au dernier moment. On n'a pas compris. Toutes les associations, tous les militants, tous les gens qui étaient impliqués dans les quartiers étaient invités. Et la veille, ça a été annulé. J'estime qu'il y a eu un mépris total, puisqu'on avait quand même de l'espoir. Les trois quarts des gens qui habitent dans ces quartiers ont voté Emmanuel Macron et finalement, pour l'instant, il n'y a pas de retour. Donc là, il a vu le film, on est très contents. Il nous avait invités à venir le voir à l'Élysée, j'avais refusé l'invitation. Je lui avais proposé de venir à Montfermeil, dans mon école de cinéma, pour lui faire voir le film, on n'a pas vraiment eu de retour. On a fini par lui envoyer un DVD.
Emmanuel Macron dit qu'il a été bouleversé par la justesse du film et il a apparemment demandé au gouvernement de trouver des idées, d'agir pour améliorer les conditions de vie dans les banlieues...
Oui, il serait temps ! Il serait temps de mettre des vraies mesures en place. Des plans banlieues, on en a eus des dizaines et des dizaines et ça n'a pas forcément fait avancer les choses. Donc, il serait temps qu'il y ait un vrai plan banlieue et que les vrais habitants soient aussi impliqués dans ce plan.
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