"Ce n'est pas qu'une question d'essence" : à Reims, quatre "gilets jaunes" expliquent les raisons de leur colère
Malgré le froid et les injures des conducteurs mécontents, Delphine, Sara, Cyril et Christian sont venus manifester contre la hausse des prix des carburants. Mais pas seulement...
Pétarades de moto, odeurs de gaz d'échappement et ambiance bon enfant au rond-point de Thillois. C'est autour de ce nœud stratégique à la sortie de Reims (Marne) que se sont rassemblés des centaines de "gilets jaunes", samedi 17 novembre, comme partout en France.
Bravant le froid matinal, et parfois les insultes d'automobilistes mécontents, ils ont monté un barrage filtrant et ralenti la circulation vers l'importante zone commerciale desservie par le rond-point. Pour franceinfo, quatre d'entre eux ont accepté d'expliquer leur participation à ce mouvement inédit.
Delphine : "Un ras-le-bol général"
Delphine Pierard s'est placée en première ligne, au point de filtrage, là où on fait obstacle de son corps pour bloquer les voitures. Bonnet blanc et lunettes de soleil, cette mère célibataire de 38 ans n'hésite pas à se confier auprès d'un conducteur excédé pour justifier le mouvement. "J'ai des enfants seuls à la maison et je n'ai plus d'emploi, monsieur. Je le fais pour eux et je le fais pour moi. Et ce n'est pas qu'une question d'essence !"
#17novembre Echange tendu à Reims entre des #GiletsJaunes et un automobiliste, qui dit avoir été délégué syndical. "Les syndicats ont trahi les salariés", lui lance un manifestant. pic.twitter.com/7sHGqaYcvA
— Yann Thompson (@yannthompson) 17 novembre 2018
Pour cette chargée d'études de prix dans le BTP, la hausse des taxes sur le gasoil n'a été que "la goutte d'eau" de trop. Avant de se retrouver, depuis peu, au chômage, elle vivait déjà des fins de mois difficiles. "Je calcule combien j'ai dans le porte-monnaie avant de partir faire mes courses, détaille-t-elle. Il y a des jours où je ne mange pas. C'est dur pour mes deux filles de 7 et 13 ans de vivre ça, de ne pas avoir les mêmes choses que d'autres, même si elles comprennent en grandissant."
Delphine Pierard vit à Saint-Thierry, un "village de viticulteurs" à une dizaine de kilomètres de là. Elle parcourait 50 km chaque jour pour se rendre à son travail, sans alternative possible. Si "une maison dans le village coûte moins cher qu'un appartement sur Reims", elle doit composer avec la mauvaise isolation de son HLM des années 1970 : "200 euros de chauffage chaque mois en hiver pour être à 16°C ou 17°C".
Ce samedi, elle a donc laissé ses filles à la maison pour venir exprimer son "ras-le-bol général".
On nous prend taxes sur taxes et on ne voit pas ce que devient notre argent.
Delphine Pierardà franceinfo
La "gilet jaune" au bonnet blanc estime être une "sacrifiée" fiscale, sans "amélioration" de son quotidien en retour. La fiscalité ne finance-t-elle pas des services comme l'éducation ou la santé ? "Pour les problèmes de dents de mon aînée, j'ai dû prendre une mutuelle à 140 euros par mois, et encore il m'en reste un peu de ma poche après. Alors qu'on ne me dise pas que les taxes servent à ça..."
Cyril : "Que Macron vive avec 1 200 euros"
Les températures négatives du petit matin ne l'ont pas effrayé. Cyril Bouchu s'est présenté au rendez-vous de 7 heures avec son gilet jaune… et son short. "J'en mets même quand je vais au ski, assure-t-il. Mais bon, la dernière fois à la neige, c'était en 2008."
Ce boulanger-pâtissier salarié de 38 ans est venu manifester, pour la première fois depuis 1995, pour s'opposer aux taxes qui l'obligent à limiter son train de vie. "Je gagne 1 200 euros par mois, alors on paie les factures et ensuite, on voit ce qu'il reste, résume ce père de quatre enfants. Cet été, pour les vacances, on a été dans un camping pas cher dans le Gers."
Il est prêt à camper, de nouveau. Mais cette fois, autour du rond-point. "Avec mon aîné, j'ai pris de quoi tenir le week-end, avec toile de tente, couvertures et duvets dans le coffre", assure-t-il. Sa femme garde les trois autres enfants. Elle est sans emploi depuis que son patron boulanger a fermé boutique en début d'année – la faute aux charges, selon Cyril Bouchu. Il appelle donc le gouvernement à "baisser quelques taxes et à privilégier les petits patrons plutôt que les gros".
Il rêverait aussi qu'Emmanuel Macron "vive avec 1 200 euros par mois". En 2017, cinq ans après avoir voté pour François Hollande, il avait glissé un bulletin Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. "On ne peut pas savoir ce que cela aurait donné, reconnaît-il. On ne croit plus trop en eux. Cela aurait peut-être été pire, mais je voulais essayer." En 2018, pour se faire entendre différemment, il a choisi les "gilets jaunes".
Sara : "On peine à faire nos courses"
Au loin, un appel à l'aide et, depuis le rond-point, des dizaines de "gilets jaunes" remontent en courant la file des voitures bloquées. Sara (qui n'a pas souhaité donner son nom de famille) fait face à une voiture qui a tenté de forcer le barrage pour se rendre à sa salle de sport. "Il a voulu me rouler dessus", raconte la femme de 20 ans, après que le véhicule a été contraint de rentrer dans le rang.
#17novembre "Il a voulu me rouler dessus." Sarah a failli se faire renverser par l'automobiliste qui a tenté de passer en force à Reims. Elle me raconte la scène. pic.twitter.com/oiNXMWidnW
— Yann Thompson (@yannthompson) 17 novembre 2018
Cette Portugaise est arrivée en France il y a sept ans, dans le sillage de ses parents qui voulaient lui offrir un avenir meilleur. Ont-ils déchanté depuis ? Leur fille a repoussé ses études supérieures pour travailler, le temps de les financer. Elle a fait les vendanges durant l'été, encadré des enfants dans un centre de loisirs à la Toussaint, mais le compte n'y est pas. "Je vis dans un studio avec mon conjoint, qui gagne 700 euros par mois, confie-t-elle. Après les aides, il nous reste 200 euros de loyer. On en a pour 90 euros d'électricité, 200 euros d'essence. On peine à faire nos courses."
Je n'ai pas les moyens d'allumer le chauffage chez moi, alors qu'il faisait -3°C cette nuit à Reims.
Saraà franceinfo
Disant espérer que "les choses changent" grâce à la mobilisation des "gilets jaunes", elle se dit d'ores et déjà réconfortée par cette journée, qui a permis l'expression d'une colère au travers d'un collectif. Elle conclut par un appel : "Baissez les taxes. Ou aidez-nous. On ne demande que de l'aide."
Christian : "Je manifeste pour les autres"
Veut-il moins de taxes, moins d'impôts ? "Moins de gouvernement déjà, moins de primes et de frais de représentation pour les politiques !" Pour Christian Le Port, 40 ans, la classe politique doit faire son examen de conscience. En écoutant une émission de radio, récemment, sur RMC, ce chauffeur-routier dans les travaux publics a été révolté par le cas d'un élu cumulard "qui palpe 7 000 euros par mois et qui n'est pas fichu de s'acheter un costard tout seul".
Les élus peuvent aller chez Brice ou Kiabi, comme tout le monde.
Christian Le Portà franceinfo
S'il estime "bien gagner" sa vie, Christian Le Port dit se mobiliser "pour les autres". Il mentionne sa mère, "interdit bancaire", qui vit avec 800 euros par mois. "C'est la première manif de ma vie, affirme-t-il. Comme disait Coluche, on est dans la merde et il faut qu'on remue cette merde pour que l'odeur remonte tout en haut."
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