"Ce que j'ai vécu peut arriver à n’importe qui" : blessé lors d'une manifestation, un photographe accuse un CRS de l'avoir frappé à la tête
Tuff, photographe indépendant de 24 ans, assure avoir reçu des coups sur le crâne et à la cuisse par au moins un CRS durant une manifestation contre la réforme de la SNCF à Paris, mardi 3 avril. Il souhaite porter plainte.
"Ça résonne dans mon crâne. Comme si j'étais tombé très fort sur du carrelage." Mardi 3 avril, "Tuff", un photographe indépendant de 24 ans, couvre la manifestation contre la réforme de la SNCF depuis la gare de l’Est et en direction de la gare Saint-Lazare à Paris. Il est environ 16 heures, rue de Maubeuge, au nord de la capitale, quand le photographe membre du collectif LaMeute – un collectif de gauche habitué à la couverture des manifestations et qui dénonce les violences policières – note "une agitation certaine".
Je vois des manifestants courir. D’un coup, les CRS arrivent en formation et déclenchent une première charge.
Tuff, photographe indépendant,à franceinfo
Selon la préfecture de police de Paris, les forces de l'ordre sont intervenues "pour faire cesser les troubles" alors que "des dégradations de vitrines de magasins et de mobilier urbain" avaient lieu à hauteur "de la rue de Maubeuge et du boulevard de Rochechouart".
"Je crie que je suis photographe"
Alors qu'il estime la situation "sécurisée", Tuff s'avance en tête du cortège, "plutôt sur le côté, pour diminuer les risques", afin de prendre des clichés, raconte-t-il à franceinfo. Selon lui, une "deuxième charge", qu'il n'anticipe pas, a lieu à ce moment-là.
Les CRS matraquent à tout-va. L'un d'eux arrive vers moi en hurlant. J'agite les mains en l'air et je crie que je suis photographe.
Tuff, photographe indépendantà franceinfo
Tuff, qui assure ne pas être "belliqueux", n'est pas cagoulé, comme c'est le cas d'autres manifestants en tête de cortège. Il tient à la main son appareil photo, mais n'a pas de brassard l'identifiant comme un photographe – comme d'autres journalistes – il considère que celui-ci attire plus d'ennuis qu'il ne protège.
Le CRS me donne un premier coup sur le crâne. Je tombe. Je suis désarçonné, j'ai mal.
Tuff, photographe indépendantà franceinfo
Le jeune homme assure ensuite être "frappé à la cuisse", probablement par "un autre CRS". Un autre photographe, qui se fait appeler Graine, lui aussi membre du collectif LaMeute, assiste à la scène. Il confirme à franceinfo la version de ce dernier.
Il criait 'photographe, photographe'. Le CRS ne pouvait pas ne pas savoir.
Graine, photographe indépendantà franceinfo
Sur une photo qu'il capture à ce moment, on voit un CRS, matraque à la main, s'approcher de Tuff et d'un autre homme, qui a, lui, le visage caché.
Sur une autre photographie, prise quelques instants plus tard par un troisième photographe, on peut voir Tuff, à terre et cherchant à se protéger. Un CRS est penché au dessus de lui, matraque à la main.
"Je veux témoigner"
Immédiatement après son agression, Graine porte secours à son confrère, en l'emmenant à l'écart de la manifestation. Tuff enlève le bonnet qu'il portait, "et c’est là que tout le sang coule".
Je comprends à ce moment-là que c’est un peu plus grave qu’un simple bleu comme je le pensais.
Tuff, photographe indépendantà franceinfo
Il demande alors à son ami de le prendre en photo, le sang ruisselant sur le visage. "C'est mon seul moment de lucidité, assure le jeune homme blessé. Je veux témoigner, je me dis que c'est grave ce qui se passe."
Un journaliste indépendant qui couvre lui aussi la manifestation, publie ensuite sur Twitter une photo où figure le sang de Tuff répandu par terre.
Plusieurs traces de sang au sol témoignent de la violence des charges pic.twitter.com/M3vijVNpMy
— A. Kraland (@akraland) 3 avril 2018
Traumatisme crânien et hématome
Selon le récit de Graine et Tuff, les "street medic" (manifestants auto-formés aux premiers secours) ont ensuite porté assistance au photographe blessé, en attendant l'arrivée des pompiers. Il est évacué à l'hôpital Lariboisière, dans le 10e arrondissement. Le certificat établi à cette occasion, que franceinfo a pu consulter, constate un "traumatisme crânien" avec une "plaie de 7 cm", nécessitant la pose de "sept agrafes", ainsi qu'un "hématome à la cuisse droite". Un arrêt de travail de quatre jours, lui aussi consulté par franceinfo, est en outre prescrit mercredi 5 avril à Tuff par un médecin qu'il va voir pour vérifier l'état de sa plaie.
Avec le recul, le photographe s'estime "chanceux" d'être "encore vivant". "Mon bonnet a bien amorti le choc." Il dit vouloir porter plainte auprès de l'Inspection générale de la police (IGPN) et promet de "retourner en manifestation faire [s]on travail" dès qu'il sera remis.
Ce que j'ai vécu peut arriver à n’importe qui, carte de presse ou pas.
Tuff, photographe indépendantà franceinfo
Contactée par franceinfo, la préfecture de police de Paris dit ne "pas avoir eu connaissance" de cet incident. Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT Police, également joint par franceinfo, a été mis au courant par voie de presse mais n'a pas parlé aux policiers accusés. S'il reconnaît que "l'image [du CRS et de Tuff] est choquante, évidemment", il attend de connaître le contexte dans lequel Tuff a été frappé pour se prononcer sur la légitimité ou non des violences. Le syndicaliste rappelle simplement que "frapper la tête n'est pas enseigné en formation" mais il reconnaît qu'"avec les mouvements de foule, le coup qui doit atterrir dans le torse peut être dévié. Je ne peux pas imaginer qu'un CRS ait choisi de frapper volontairement la tête."
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