Justice : quatre questions sur le procès des "chibanis" marocains contre la SNCF
La cour d'appel de Paris examine 800 dossiers d'anciens employés de la SNCF de nationalité ou d'origine marocaine, qu'ils accusent de "discrimination".
Ils se désignent souvent comme les "déclassés de la SNCF", ou "indigènes du rail". Le combat des chibanis, ces travailleurs immigrés marocains à la retraite, contre la SNCF se poursuit, lundi 15 et mardi 16 mai, devant la cour d'appel de Paris. En première instance, la SNCF avait été condamnée pour "discrimination".
Franceinfo revient sur cette longue procédure judiciaire.
Qui sont les "chibanis" de la SNCF ?
En arabe, le mot chibani signifie "cheveux blancs". En France, il désigne les vieux travailleurs immigrés d'origine maghrébine. La SNCF a recruté environ 2 000 Marocains dans les années 1970, grâce à une convention signée entre la France et le royaume chérifien. Ils sont aujourd'hui à la retraite. Dans cette affaire, 800 d'entre eux poursuivent la SNCF, certains depuis douze ans.
Que reprochent les plaignants à l'entreprise ?
La SNCF est poursuivie pour discrimination. Sur le papier, la convention signée entre la France et le Maroc prévoyait "l'égalité des droits et de traitement avec les nationaux". Dans les faits, les chibanis ont le sentiment d'avoir été moins bien traités que leurs collègues français. La grande majorité des plaignants étaient contractuels, donc avec un CDI de droit privé, et n'ont pas pu bénéficier du statut des cheminots, plus avantageux et relevant d'une caisse de retraite spécifique. Une centaine, naturalisés, a pu y accéder, mais en perdant leur ancienneté.
Ils accusent donc la SNCF, qui conteste toute discrimination, de les avoir délibérément "cantonnés" aux plus bas niveaux de qualification et de salaires, ce qui les a pénalisés à l'heure de la retraite. Selon leur avocate, Me Clélie de Lesquen-Jonas, 100% des plaignants sont restés agents d'exécution, contre 25% des personnels au statut et avec une ancienneté comparable. "Je n'ai pas eu de carrière, ils ont pris quinze ans de ma vie en plus", a dénoncé lundi l'un d'entre eux, expliquant que "les collègues français partent (à la retraite) à 55 ans, moi à 70".
Dans leur viseur, la clause de nationalité qui permet de ne donner le statut de cheminot qu'aux Français. "Contrairement à nombre d'affaires que vous avez à traiter, la discrimination ici ne prospère pas dans l'opacité, elle est organisée, statutaire", "en gros assumée", a déclaré lundi devant la cour d'appel, l'avocat du Défenseur des droits. "Les chibanis n'étaient pas des cheminots à part entière", mais "entièrement à part". Pour lui, la SNCF a mis en place "une sorte de préférence nationale".
Qu'a décidé la justice en première instance ?
En première instance, la SNCF avait été condamnée pour discrimination dans la quasi-totalité des dossiers. Le montant des dommages et intérêts prononcés en septembre 2015 devant le conseil de prud'hommes de Paris, suspendus par l'appel formé in extremis par le groupe public, s'élevait à 170 millions d'euros.
Outre une réparation de leur "préjudice intégral" de carrière et de retraite, recalculé à la hausse, les chibanis attendent cette fois la reconnaissance de "préjudice moral", car ils "ont ressenti une vraie humiliation", explique leur avocate.
Comment se défend la SNCF ?
Le groupe ferroviaire dément toute discrimination. Panels de comparaison à l'appui, la SNCF assure, au contraire, avoir "toujours traité de la même manière ses salariés, quelle que soit leur origine ou nationalité". Mais son dernier panel présenté en appel hérisse l'avocate des chibanis : "Il est encore plus sophistiqué dans la tricherie", estime-t-elle.
Comme en 2015, la SNCF explique avoir strictement "respecté les règles statutaires" qui réservent le statut aux ressortissants européens âgés de moins de 30 ans lors de leur embauche. A la RATP, la clause de nationalité a été supprimée en 2002. SUD-Rail et la CGT-Cheminots demandent qu'il en soit de même à la SNCF.
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