Réforme de la SNCF : "Le statut de cheminot, ce n'est pas le problème numéro un à régler"
Le gouvernement a présenté hier sa réforme du rail, provoquant la colère des syndicats qui promettent une grève très importante. Franceinfo a interrogé Patrice Salini, spécialiste des transports, sur cette réforme.
"Ce que nous proposons, c'est un nouveau pacte ferroviaire entre la nation, la SNCF et les cheminots." Lundi 26 février, le Premier ministre, Edouard Philippe, a présenté les grandes lignes de sa réforme de la SNCF avec, entre autres, le recours aux ordonnances, la fin du recrutement sous le statut de cheminot ou le maintien des "petites lignes"... Les grands axes de cette réforme ont immédiatement crispé les syndicats. La CGT se dit prête à mener "un mois de grève" pour "faire plier le gouvernement". Le point de non-retour entre le syndicat et l'exécutif est-il atteint ? Franceinfo a posé la question à Patrice Salini, économiste, spécialiste des transports, ancien directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux Transports, le socialiste Charles Josselin, entre 1985 et 1986.
Franceinfo : "Le monde change, la SNCF doit changer aussi", a dit Edouard Philippe en préambule de son discours. Y-a-t-il vraiment urgence à réformer la SNCF ?
Patrice Salini : Je ne sais pas ce que l'on met derrière le mot réforme. Mais il y a le constat sur la situation actuelle de la SNCF : elle n'est pas satisfaisante, ça tout le monde est d'accord. Vous demandez aux syndicats, aux dirigeants de la SNCF, aux connaisseurs du dossier, ils vous diront que la situation n'est pas durable. Il y a d'abord une dimension financière, avec la structure même du bilan de la SNCF qui est en cause, et puis il y a la rentabilité de l'entreprise et la qualité du service de celle-ci. Et puis, il y a les solutions proposées.
De mon point de vue, je ne sais pas trop où l'on va. Je n'ai pas compris véritablement quel était le sens de ces réformes. En quoi la modification du statut va-t-elle changer quelque chose aux conditions de concurrence des cheminots français ? Je ne comprends pas. En plus, le recrutement de quelques centaines de cheminots, voire quelques milliers par an, ne va pas changer radicalement les choses avant des dizaines d'années.
Concernant ce statut. Est-il "particulièrement rigide" comme le dit Edouard Philippe ? Les cheminots sont-ils privilégiés ?
Si on proposait aux trois-quarts des Français d'avoir les conditions de travail des cheminots, ils refuseraient ! Il y a des contraintes et les contreparties, qui sont historiques, c'est effectivement le statut. Est-ce que ce sont des privilégiés ? Je n'en sais rien. Ce statut est le fruit d'une histoire qui remonte aux anciennes compagnies ferroviaires et à la création de la SNCF. Il faut regarder aussi les conditions de travail des cheminots : ils travaillent en horaires décalés, la nuit, le week-end...
On voit bien que ce statut a une valeur mystique, presque religieuse. On veut toucher à un symbole. Or, pour faire avancer la SNCF, il faut moins se battre sur des symboles que sur des questions concrètes.
Patrice Salinià franceinfo
Ces questions concrètes, c'est : quelle stratégie pour la SNCF ? Qu'est-ce qu'on veut faire de cette entreprise ? Avec quels moyens ? Comment on règle le problème de la dette ? Comment on gère l'entretien du réseau ? Finalement, c'est se poser la question de la mission de la SNCF et de comment elle la remplit. Si on est dans la situation actuelle, c'est que des décisions inadéquates ont été prises dans le passé. Mais ce n'est pas la faute du statut, ni des cheminots. Le statut, ce n'est pas le problème numéro un à régler.
Le Premier ministre a écarté l'idée d'une privatisation de la SNCF. Peut-il y revenir plus tard ? Ce scénario est-il inéluctable ?
Ca fait partie des sujets que j'estime idéologiques. Le problème n'est pas de savoir si la SNCF sera un jour privatisée ou pas. La question, c'est de savoir quelle est sa stratégie, comment on la finance... Il ne faut pas non plus prendre les dirigeants de la SNCF pour des imbéciles. S'ils pouvaient faire nettement mieux, ils le feraient. Ce que je leur reproche parfois, c'est de ne pas avoir de vision stratégique suffisamment imaginative et innovante. Ils se sont laissé embarquer sans trop de protestations dans cette espèce de mirage du développement du tout-TGV en laissant tomber un certain nombre de liaisons, et là il y a un vrai problème.
Il y a un point dont on ne parle pas beaucoup, c'est celui de la dette de la SNCF, proche de 47 milliard d'euros. L'Etat peut-il la reprendre à son compte, comme l'a laissé entendre Edouard Philippe ?
Lors de la création de la nouvelle SNCF, nous avions attiré l'attention des pouvoirs publics, quand j'étais dans un service d'études du ministère des Transports, sur l'explosivité de la dette. On avait des prévisions très précises qui se sont révélées justes, montrant qu'on allait rentrer dans une dérive absolument pas maîtrisée. On a continué et approfondi le problème. A l'époque, on nous avait d'ailleurs dit "surtout taisez-vous, vous nous embêtez avec ce truc". C'est un héritage que tout le monde connaît. La question de savoir si l'Etat doit la supporter est une question de pure affichage vis-à-vis des règles de Maastricht et vis-à-vis du fonctionnement de la compagnie elle-même qui, de toute façon, doit assurer le service de la dette.
La question est de savoir si ce surendettement excessif est viable pour l'entreprise. Si on maintient la dette à l'intérieur de la SNCF, il faudra augmenter les subventions à la compagnie ferroviaire.
Patrice Salinià franceinfo
Les syndicats sont tout de suite montés au créneau après les annonces d'Edouard Philippe. La CGT a promis un mois de grève. Faut-il se préparer à un mouvement historique ?
Je suis bien incapable de vous dire quel est l'état de mobilisation du personnel par rapport à tout ça. Psychologiquement, tactiquement, il y a un bug dans la stratégie gouvernementale. On s'appuie sur un rapport qui n'a aucune ébauche de stratégie. Les gens se demandent pourquoi on vient les provoquer sur une base symbolique, le statut, alors que le problème n'est pas là. On n'a jamais tant réformé la SNCF que depuis vingt ans. Mais, pour quel résultat ? Là, vous renforcez les positions légitimes des syndicats mais aussi les éventuels archaïsmes. Une posture idéologique provoque nécessairement des réactions idéologiques.
Selon un sondage, une majorité des Français approuve la réforme du rail du gouvernement et notamment la fin du statut de cheminot. Est-ce la carte maîtresse du gouvernement : jouer la confrontation entre les Français et les syndicats ?
Oh, ils peuvent essayer, oui. C'est tentant. Honnêtement, cela m'est arrivé quand j'étais en responsabilité de pester contre l'attitude de tels ou tels syndicats de cheminots. On peut être tenté de dire : "Regardez, cette profession ne veut pas évoluer, on demande à tous d'évoluer et eux ne veulent pas." Mais est-ce que c'est le problème ? Dire que le statut est essentiel, qu'il faut commencer par là, c'est inverser les choses. Il y a un risque que les Français se disent dans un premier temps "ah oui, oui, le gouvernement a raison" et après ils vont se rendre compte de la réalité des conditions de travail.
On pourrait aussi se poser la question de la prolifération des postes des cadres qui sont beaucoup plus payés qu'il y a dix ou vingt ans. C'est une question que l'on ne traite pas. Autre point : est-il prioritaire de maintenir des grands projets comme Lyon-Turin ? C'est aussi légitime que de se poser la question du statut des cheminots.
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