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Neuf questions que vous vous posez sur le bitcoin, la star des monnaies électroniques

Sa valeur a explosé ces derniers mois et elle se présente comme une alternative innovante face aux devises traditionnelles. 

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Dans ce café de Vancouver (Canada), une machine à convertir des dollars en bitcoins a été installée le 28 octobre 2013. (ANDY CLARK / REUTERS)

Et si, demain, votre épicier se mettait à accepter les bitcoins ? Ces derniers mois, la monnaie électronique rencontre un succès grandissant. Son prix explose sur les marchés, de plus en plus de boutiques en ligne se mettent à l'accepter, et les histoires de passionnés d'informatique devenus virtuellement millionnaires grâce à cette devise se multiplient. 

Pour vous aider à vous y retrouver dans ce système de paiement au fonctionnement inédit, francetv info revient sur les questions soulevées par le bitcoin.

Attendez une seconde. D’abord c’est quoi, le bitcoin ?

C’est un peu l’équivalent de l’argent liquide sur internet. Il s'échange de personne à personne, sans passer par l'intermédiaire d'une banque (contrairement à ce qui se passe lorsque vous payez avec votre carte bleue sur une boutique en ligne) ou d'une autre entreprise (contrairement à ce qui se produit lorsque vous achetez un objet sur eBay ou Le Bon Coin en passant par PayPal). 

A la différence de l’euro ou du dollar, il n’existe pas de banque centrale rattachée à un Etat pour émettre des bitcoins ou contrôler leur circulation. L’argent est en fait créé et géré par les "mineurs", des milliers d’individus qui ont mis spécialement à disposition du réseau des ordinateurs chargés de vérifier la régularité des transactions.

Lorsque qu'un de ces "mineurs" parvient à valider un ensemble important de transactions, il est récompensé en empochant 25 bitcoins. Cette somme versée au "mineur" est programmée pour être divisée par deux tous les quatre ans. Il s'agit en effet de ne pas produire trop de monnaie virtuelle. Car à terme, 21 millions de bitcoins doivent être mis en circulation, et pas davantage. Jusqu'ici, un peu plus de 12 millions de bitcoins ont été émis.

C’est bien gentil, mais concrètement, ça apporte quoi ?

Pas mal de choses. D’abord, un anonymat quasi-total dans les transactions. Comme avec l’argent liquide, vous n’avez en effet pas besoin de connaître l’identité de votre interlocuteur pour le payer ou être payé. Il suffit de créer un porte-monnaie virtuel, doté d’une adresse à l’allure un peu barbare (du genre 1CuEySvQ8R32qhFR9ERyWeS8RtXME6W7xR) pour envoyer ou recevoir des bitcoins.

La contrepartie de cet anonymat est la transparence des échanges : n’importe quel internaute peut consulter les mouvements de portefeuille à portefeuille. Un site internet référence même en temps réel les transactions qui ont lieu sur le réseau Bitcoin. De leur côté, les "mineurs" retracent le parcours de chaque bitcoin depuis sa création. Afin d'éviter la fraude, ils vérifient notamment que les bitcoins émis n'ont pas été dépensés deux fois.

Mais pour le commun des mortels, le plus précieux avantage du bitcoin est de ne plus dépendre des établissements bancaires pour effectuer des transactions. Contrairement à un achat en ligne classique, lors d’un paiement en bitcoins, aucun intermédiaire ne prend de commission sur le montant déboursé. L’acquéreur, s'il le souhaite, peut verser une fraction de centime de bitcoin aux "mineurs" pour les remercier de faire fonctionner le réseau et voir sa transaction validée plus rapidement, mais rien ne l’y oblige.

C'est aussi valable pour un transfert d’argent : là où un organisme spécialisé facture au minimum 25 euros pour transférer 1 000 euros de France en Algérie, une telle opération ne coûte que quelques centimes d’euros en passant par le protocole Bitcoin.

Ça a l’air super ! J’ai envie d’échanger tous mes euros contre des bitcoins maintenant. C’est possible ?

Oui, mais vu la volatilité du cours du bitcoin, c’est une très mauvaise idée. Début 2013, un bitcoin s’échangeait contre 13 dollars (9,50 euros). Un peu plus d'un an et des montagnes russes sur les marchés plus tard, il vaut environ 722 dollars (530 euros). Et il est impossible de savoir à quel niveau il s’échangera dans quelques semaines. On est loin de la tranquillité d’un Livret A.

Plus de 700 dollars pour UN bitcoin ? C’est super cher ! Pourquoi les prix se sont autant envolés ?

Parce que son cours n’est pas du tout régulé : le prix du bitcoin n’est fonction que de l’offre et de la demande, et il en existe une quantité limitée. Lors des derniers mois, les caractéristiques de cette monnaie l’ont rendue de plus en plus populaire, et son prix a grimpé en conséquence.

"Il ne faut pas oublier que dans l’univers du bitcoin, aucune banque centrale n’existe pour faire tourner la planche à billets et faire descendre artificiellement la valeur de la monnaie, explique Philippe Herlin, chargé de cours au Conservatoire national des arts et métiers, auteur de La révolution du bitcoin et des monnaies complémentaires (Eyrolles, 2013). En ce sens, il est très similaire à l’or : sa quantité est par nature limitée, et c’est ce qui en fait un actif de confiance."

Le problème, c’est que l’envolée des cours a incité les détenteurs de bitcoins à épargner plutôt qu’à dépenser leur argent. Cette tendance à la spéculation ne place pas la devise dans une situation idéale. "A l’heure actuelle, on estime que seuls 20% des bitcoins en circulation servent de monnaie d’échange", reconnaît Philippe Herlin.

Il y a vraiment des geeks qui sont devenus richissimes avec leurs bitcoins ?

Oui, et leurs histoires font souvent le bonheur des médias. Alors qu'il étudiait les systèmes informatiques de chiffrement, un jeune Norvégien du nom de Kristoffer Koch avait ainsi acquis, en 2009, la bagatelle de 5 000 bitcoins pour l'équivalent de 18 euros. Quatre ans plus tard, le cinquième de son pécule lui a permis d'acheter un appartement à Oslo, rapporte Le Figaro.

L'histoire de James Howells, racontée par Le Monde.fr, est moins heureuse. A la faveur d'un grand nettoyage de son bureau durant l'été 2013, cet ingénieur britannique de 28 ans jette le disque dur de son ancien ordinateur, devenu inutilisable. Grossière erreur : il contenait le mot de passe qui lui permettait d'utiliser les 7 500 bitcoins qu'il avait accumulés début 2009. Il a tout perdu. 

Si on peut perdre ses bitcoins, est-ce qu'on peut aussi se les faire voler ?

Oui. La cible des pirates est le porte-monnaie, un fichier informatique qui contient deux éléments : les bitcoins de son propriétaire et une clé de sécurité. C'est ce dernier élément, représenté par une suite complexe de chiffres et de lettres, qui permet d'envoyer des fonds. Si ce porte-monnaie est installé sur un ordinateur mal protégé, un pirate peut en subtiliser une copie. S'il arrive en plus à déchiffrer la clé de sécurité autorisant le transfert de fonds, la partie est perdue : il n'existe aucun moyen de "faire opposition" à un virement dans le protocole Bitcoin.

Il est également possible de confier son porte-monnaie à un site internet spécialisé, qui gère alors la clé de sécurité. Cela permet d'utiliser ses bitcoins sur n'importe quel appareil connecté à internet, mais implique d'accorder une confiance aveugle au site en question : s'il se fait pirater, vous pouvez dire adieu à vos bitcoins.

Paradoxalement, le plus sûr moyen de conserver cette monnaie virtuelle est de créer un "porte-monnaie papier". Il faut alors générer la clé de sécurité sur un ordinateur déconnecté d'internet, l'imprimer sur un bon vieux morceau de papier, la supprimer du disque dur, puis placer la précieuse feuille dans un coffre-fort. 

J’ai lu quelque part que la Banque de France n’aimait pas trop les bitcoins. Pourquoi ?

La Banque de France a effectivement publié une note, début décembre, pour mettre en garde les Français contre "les dangers liés au développement des monnaies virtuelles", en ciblant particulièrement le bitcoin. Elle n’est pas la seule : la Banque populaire de Chine et l’Autorité bancaire européenne ont, elles aussi, diffusé des dossiers déconseillant de recourir aux monnaies numériques.

Ces organismes publics reprochent plusieurs choses au bitcoin : de ne pas être régulé, de ne pas être adossé à une activité réelle, et de ne pas disposer de filet de sécurité permettant aux petits épargnants de retrouver leur investissement en cas d’effondrement du cours. En outre, le fait qu’il puisse être échangé de manière anonyme encouragerait les activités criminelles, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

"Une monnaie émise par un Etat a comme support une banque centrale qui détient des devises et/ou de l’or, et surtout une nation et son économie. Le bitcoin ne vaut que ce que chacun de ceux et celles qui jouent à cette roulette maléfique est prêt à lui donner comme valeur", s’agace ainsi sur son blog Georges Ugeux, patron de la banque d’affaires Galileo Global Advisors, et ancien membre du comité de direction de la Bourse de New York.

Un avis que ne partage pas du tout Philippe Herlin. Pour l'auteur de La révolution du bitcoin et des monnaies complémentaires, le réseau informatique déployé par les "mineurs" rend "le bitcoin au contraire très concret !" "Et puis, nous pourrions retourner la question : quelle est la valeur intrinsèque de l’euro ? Depuis que les monnaies ne sont plus adossées à l’or, elles n’ont de valeur que grâce à la confiance qu’on leur porte", continue l’économiste.

Pour lui, les accusations des organismes publics concernant les activités criminelles que faciliteraient le bitcoin ne tiennent pas davantage. "Lorsqu’en octobre, le FBI a fait fermer Silk Road [un site de vente et d’achat de drogues et d'autres marchandises illégales où le bitcoin était la seule monnaie acceptée], le cours du bitcoin n’a quasiment pas bougé. Si le trafic illicite était si important dans le succès de cette monnaie, sa valeur se serait effondrée."

Tout ça est très intéressant, mais qu’est-ce qui me dit que le bitcoin existera toujours dans cinq ans ?

C’est un peu la question à 1 000 bitcoins. Pour les uns, cette monnaie virtuelle n’est qu’au début de son succès. Son fonctionnement aurait déjà ringardisé les banques, et les prochains mois devraient voir le cours du bitcoin poursuivre son envol. Pour les autres, comme Georges Ugeux, il ne s’agit que d’une "fausse monnaie", un "château de cartes" hyper-spéculatif amené à s’effondrer, et dont les victimes seront ceux qui auront pris le train en marche trop tardivement.

Reste la question de la sécurité informatique du protocole utilisé par le bitcoin pour sécuriser les transactions. Est-on absolument sûr de sa résistance aux attaques de pirates ? "On peut l'être", répond Stéphane Bortzmeyer, ingénieur spécialisé dans les réseaux et utilisateur de la monnaie virtuelle. "Le protocole du bitcoin est libre : son code est ouvert et peut être examiné par n’importe qui", continue-t-il. Cette caractéristique rend les grandes failles de sécurité très rares. "Et lorsque l’on en trouve, des discussions ont lieu pour corriger rapidement le code et adopter une nouvelle version."

Donc mes arrière-petits-enfants auront peut-être abandonné l’euro pour le bitcoin ?

C’est assez peu probable. Philippe Herlin estime que la monnaie décentralisée ne pourrait remplacer un jour la monnaie d’un Etat que si celle-ci venait à subir une crise de confiance de la part de ses utilisateurs. "Cela s’est déjà produit par le passé : lors des guerres de Yougoslavie dans les années 1990, le dinar yougoslave avait tellement perdu de valeur que les habitants de la région ont commencé à se servir du mark allemand comme d’une monnaie complémentaire de confiance, développe l’économiste. On peut imaginer aujourd’hui qu’un pays qui serait confronté à une hyperinflation choisisse de se tourner vers le bitcoin."

Un scénario écarté par Georges Ugeux. L’ancien membre du comité de direction de la Bourse de New York s’attend "à une crise à cours terme du bitcoin". "La hausse de son cours lors des derniers mois est absurde ! Le jour où ceux qui ont mis la main sur énormément de bitcoins avant qu’il explose décideront d’encaisser leurs profits, le système s’effondrera, prédit-il. Et avec un marché qui pèse 10 milliards et demi de dollars, comme aujourd’hui, la tentation est trop grande pour que ce scénario ne se produise pas."

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