ENQUETE FRANCETV INFO. Malgré la parité, le sexisme siège toujours dans les conseils départementaux
Les assemblées ont beau accueillir autant d'hommes que de femmes, les élues se voient souvent écartées des dossiers financiers et économiques, au profit notamment de l'enfance ou de la famille.
Les femmes s'occupent des enfants, les hommes gèrent les comptes. Non, il ne s'agit pas du partage des tâches au sein d'un couple du siècle dernier, mais de la répartition des missions entre élu(e)s dans les nouveaux conseils départementaux, d'après les statistiques de francetv info, publiées lundi 15 juin.
Le scrutin de mars dernier était censé apporter davantage de parité, avec l'élection de binômes mixtes. Pour la première fois, les assemblées départementales comptent donc autant d'hommes que de femmes, quand ces dernières n'étaient que 17,8% à siéger dans les anciens conseils généraux.
Pourtant, seules huit élues ont accédé à la présidence de l'un des 98 départements concernés par le scrutin. Existe-t-il d'autres disparités entre hommes et femmes au sein de ces assemblées ? Pour le savoir, francetv info a épluché les dossiers confiés aux vice-présidents et vice-présidentes de ces départements. Selon les résultats de notre enquête*, malgré la parité affichée, les stéréotypes de genre ont encore la vie dure dans le monde politique. Voici trois enseignements tirés de notre étude.
Les vice-présidentes sont moins nombreuses que les vice-présidents
Le chiffre : 48,6%. C'est la proportion de femmes parmi les 1 071 vice-présidents de conseils départementaux recensés par francetv info.
L'explication. A défaut d'imposer la parité à la présidence des départements, la loi est censée "favoriser" l'équilibre hommes-femmes au sein des vice-présidences des assemblées, sans totalement l'imposer.
En effet, les prétendants à ce poste sont élus par les conseillers départementaux, au scrutin de liste. Et, d'après le Code général des collectivités territoriales, sur chacune de ces listes, "l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un". Concrètement, pour 9 postes à pourvoir, par exemple, il est possible d'avoir 4 femmes et 5 hommes candidats sur une même liste, ou 5 femmes et 4 hommes.
Avec des vice-présidences parfois en nombre impair, cette subtilité profite à la gent masculine. Le déséquilibre vient des collectivités de droite : la distribution des postes est quasi-égalitaire dans les conseils départementaux de gauche.
Toutes les stratégies d'évitement de la parité sont exploitées. Dès qu'il y a la moindre possibilité, la moindre brèche, ce sont toujours les hommes qui en profitent.
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"Est-ce que le 50-50 est un objectif en soi ?", s'interroge de son côté l'ancien ministre Dominique Bussereau (Les Républicains). Président de l'Assemblée des départements de France, il salue le "renouvellement" des élus, "toujours profitable", observé lors des dernières élections, mais il explique ne pas être partisan de ce mode de scrutin obligatoirement paritaire : "Je n'aime pas que cela soit imposé par la loi."
Les femmes s'occupent peu des finances et beaucoup de la famille
Le chiffre : 21,9%. C'est la proportion de femmes parmi les vice-présidents chargés des dossiers financiers, économiques ou budgétaires. Les élues sont également quasi absentes quand il s'agit de parler infrastructures, routes ou voirie (11,6%). A contrario, elles sont largement surreprésentées dans les domaines de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées (85,3% des vice-présidents affectés à ces dossiers sont des femmes) et de l'enfance et de la famille (82,3%).
L'explication. Peu après le scrutin, le Haut Conseil à l'égalité s'inquiétait déjà d'une possible répartition "stéréotypée" des portefeuilles. "On se pose toujours la question de la compétence d'une femme, moins souvent d'un homme", regrette Lara Million, vice-présidente (Républicains) chargée des finances et du budget dans le Haut-Rhin. "C'est pareil dans les conseils municipaux et régionaux, assure Margaux Collet. On renvoie les femmes à leurs qualités naturelles supposées, par exemple avec tout ce qui est du domaine de la famille. Quand il s'agit de parler de sujets 'sérieux', de là où vraiment se trouve le nerf de la guerre, l'argent, les femmes ne semblent pas être en capacité d'occuper ces postes."
"Cela montre la méconnaissance de ces organisations féministes vis-à-vis des missions des conseils départementaux, répond Dominique Bussereau, exemple à l'appui.
Dans mon département de Charente-Maritime, le vice-président aux routes gère 30 millions d'euros de budget. Aux affaires sociales, c'est 600 millions d'euros. Il faut arrêter avec les idées préconçues.
Comment faire mentir les statistiques et être nommée aux finances ou à la voirie quand on est une femme ? Les vice-présidentes interrogées par francetv info mettent en avant leur légitimité à ce poste. "Je suis inspecteur divisionnaire des finances publiques, donc ça aide pour être vice-présidente dans ce domaine, s'amuse Lara Million. Je forme les fonctionnaires du Haut-Rhin aux finances locales depuis 1996. C'est mon expertise, ma spécialisation." Après déjà deux mandats au conseil général de la Mayenne, Nicole Bouillon (DVD) estime avoir mérité ses responsabilités. "Je ne suis pas féministe, je suis juste une élue qui fait son boulot, explique-t-elle. Je ne vois pas pourquoi je ne prendrais pas le poste auquel je peux prétendre."
C'est peut-être le reproche qu'on peut faire à certaines femmes : ne pas prendre la place qu'elles méritent.
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A l'entendre, les élues seraient aussi victimes d'autocensure, ce qui expliquerait en partie ces différences. "Déjà, sans la parité imposée par la loi, il y aurait eu plus de velléités de candidatures masculines, confirme Bérengère Bastide, vice-présidente (PS) chargée du personnel, des finances départementales et de l'administration générale en Ardèche. Je ne pense pas que je me serais battue pour être investie, je ne me serais pas forcément imposée." L'autocensure est un faux problème, répond Osez le féminisme. "Si les femmes ne se proposent pas, c'est surtout parce qu'elles ont toujours été écartées de ces postes, affirme Margaux Collet. Il ne faut pas rejeter la faute sur les élues."
"Tout cela dépend de ce qu'ont envie de faire les gens, réagit Dominique Bussereau. Les missions correspondent aux intérêts de chacun, mais aussi à l'organisation de la société française : il y a des professions majoritairement féminines dans le domaine du social, par exemple. Ce n'est pas étonnant de retrouver cette répartition dans les conseils départementaux. Cela évoluera avec l'intérêt des gens pour ces fonctions."
La gauche est un peu plus vertueuse que la droite
Le chiffre : 31,4%. C'est la proportion de femmes parmi les vice-présidents chargés des finances, de l'économie ou du budget dans les conseils départementaux de gauche. Le retard est nettement plus important à droite, où elles ne sont que 17,8%.
L'explication. "Il faut se souvenir que l'UMP était le parti qui avait payé le plus de pénalités financières pour le non-respect de la parité aux législatives de 2012, rappelle Margaux Collet. A contrario, à gauche, Europe Ecologie-Les Verts a été plutôt précurseur." Pour autant, la parité est loin d'être une évidence des deux côtés de l'échiquier politique, insiste la porte-parole d'Osez le féminisme : "Des efforts sont à faire partout."
Les conseils départementaux de gauche s'en sortent mieux dans notre enquête, mais l'équilibre hommes-femmes y est encore loin d'être atteint. Par exemple, seuls 30% de leurs vice-présidents chargés de la famille ou de l'enfance sont des hommes. Côté socialiste, on ne fanfaronne donc pas. "On est encore dans un vieux schéma archaïque, c'est comme quand on dit que les garçons préfèrent jouer avec des camions, observe Alexandre Pourchon, vice-président (PS) à l'enfance, à la famille, à l'insertion et à la lutte contre les exclusions dans le Puy-de-Dôme. L'arrivée des femmes a dépoussiéré ces assemblées de notables, mais les conservatismes ont la peau dure. Et ils n'ont pas de couleur politique."
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