Élection présidentielle : l'abstention, ce candidat à part qui pourrait battre un record
Dans une campagne ouverte et soumise aux rebondissements incessants, le taux de participation pourrait jouer un rôle décisif dans l'élection présidentielle à venir. Revendiquée ou non, l'abstention risque de battre un record.
Le 23 avril prochain, jour du premier tour de l'élection présidentielle, ils pourraient dépasser 30% du corps électoral, selon les prévisions du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Ils constituent même ce que l'on appelle communément "le premier parti de France". Mais si ce taux se confirme, les abstentionnistes représenteront surtout cinq millions d'électeurs "perdus" par rapport à l'élection présidentielle de 2012 où l'abstention au premier tour s'était établie à 20%.
Phénomène nouveau : de plus en plus politisés, nombre de ces électeurs "silencieux" veulent se faire entendre. "Le taux d'abstention est un moyen de s'exprimer, car il est relayé par les médias, explique Pierre, qui a rejoint le Parti des abstentionnistes et des sans-voix (PAS). Notre objectif est de montrer que les abstentionnistes ont des idées politiques qu'ils ne peuvent pas exprimer aujourd'hui à travers le vote."
L'abstention touche autant les diplômés que les non-diplômés
"Je ne suis pas là pour me contenter du moins pire", acquiesce Sabine, elle aussi membre du PAS. Mais l'abstention "n'est pas facile à assumer", ajoute la jeune femme : "J'en ai parlé avec mon colocataire qui m'a presque insulté en me disant 'Si le FN passe j't'éclate !' Les gens sont formatés".
Pierre et Sabine ne sont plus des exceptions. Les plateformes et mouvements appelant au boycott des élections sont nombreux. "Au moins deux tiers des abstentionnistes sont aujourd'hui très politisés", précise le journaliste Antoine Peillon, auteur de Voter, c'est abdiquer. Ranimons la démocratie ! Il a étudié le phénomène : "Ce qui est totalement nouveau en 2017, c'est que le taux d'intention d'abstention est équivalent chez les diplômés et chez les non-diplômés".
L'idée que l'abstention concerne avant tout les pauvres ou les non-instruits n'a plus de sens aujourd'hui.
Antoine Peillonà franceinfo
Ne nous trompons pas : l'abstention plus "classique", motivée par le désintérêt ou le dégoût pour la chose politique, existe encore. Dans la rue, des jeunes nous confient n'avoir jamais voté de leur vie : "Je n'y comprends rien. Je m'en fous de la politique", commentent-ils. Le politologue Patrick Lafarge l'analyse comme une acculturation politique de plus en plus forte, et que n'arrange pas le feuilleton des "affaires" qui agite la campagne. "Pendant quinze jours, on va par exemple se demander si Benoît Hamon va 'conclure' avec Yannick Jadot... Ou on parle des problèmes de François Fillon... Vous avez un monde réel et un monde politique un peu en décalage", explique-t-il.
Un réservoir de voix conséquent pour les partis
Qu'ils soient politisés ou non, ceux qui se disent aujourd'hui abstentionnistes restent pour la plupart indécis. Beaucoup hésitent à se déplacer le 23 avril. "Rien ne dit que ces électeurs vont finir par se mobiliser. Mais si c'était le cas, cela pourrait changer la donne sur la ligne d'arrivée de cette élection présidentielle", explique Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof.
On a 2% d'abstentionnistes certains. Mais on a surtout 10% d'abstentionnistes probables et 20% d'abstentionnistes potentiels.
Bruno Cautrèsà franceinfo
Aux QG des partis, on affirme prendre en compte ces abstentionnistes. Mais les nuances entre candidats sont marquées. Les équipes d'Emmanuel Macron nous glissent ainsi viser plutôt l'électorat indécis. Le candidat d'En Marche ! ayant l'électorat le plus volatile, "sa stratégie de campagne est avant tout de capter et fidéliser le vote de ceux qui sont incertains", analyse Bruno Cautrès. Celui qui s'intéresse le plus aux abstentionnistes n'est autre que Jean-Luc Mélenchon : le candidat de La France insoumise en parle à chaque meeting et en a fait un cheval de bataille.
Du côté du Front national, qui bénéficie déjà d'un électorat très mobilisé, on voit malgré tout dans les abstentionnistes un formidable réservoir de voix. "Lors des élections européennes de 2014, nous avons eu de bons résultats, qui se sont accompagnés d'une hausse de la participation. Le FN a eu cette capacité à faire revenir les Français vers les urnes, analyse Nicolas Bay, le secrétaire général du parti. Nous faisons à nouveau ce pari-là."
En coulisse, les stratèges du FN espèrent une participation entre 70 et 75%, ni trop forte, ni trop faible, ne marquant ni un désintérêt des classes populaires, ni une surmobilisation. Le chiffre de l'abstention sera le premier dévoilé le 23 avril au soir. On saura alors quelle "voie" ont choisi ces millions de Français. La voie des urnes ou la voie du silence.
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