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Européennes : ces élections sont-elles un succès pour les mouvements d'extrême droite ?

Le scrutin européen renforce sensiblement le groupe Europe des nations et des libertés (ENL) dont font partie le Rassemblement national de Marine Le Pen et la Ligue de Matteo Salvini. Mais, dans certains pays, les europhobes n'ont pas réalisé la percée attendue. 

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Le ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini, en compagnie de la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, et du leader du Parti pour la liberté néerlandais (PVV) Geert Wilders, le 18 mai 2019 à Milan (Italie), lors d'une réunion de partis nationalistes européens, à une semaine des élections européennes.  (MINAKO SASAKO / YOMIURI / AFP)

Des résultats particulièrement observés et redoutés des forces pro-européennes à travers le Vieux continent. Les élections européennes, organisées du jeudi 23 au dimanche 26 mai, ont été marquées par un affaiblissement des forces dominantes au Parlement européen, et par une poussée des formations europhobes et nationalistes.

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Le Parti populaire européen (PPE) et l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), les deux principales forces siégeant à Strasbourg et à Bruxelles, perdent leur majorité, n'obtenant à eux deux que 329 eurodéputés. Le camp des droites eurosceptiques et nationalistes, divisé en trois formations disparates, obtient 172 sièges, contre 154 au cours de la précédente législature, selon les dernières estimations du Parlement européen. 

Est-ce réellement une victoire des nationalistes à travers l'Europe ? Eléments de réponse avec Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et à l'université de Nice-Sophia Antipolis, et spécialiste de l'extrême droite et des mouvements populistes.

Une avancée moins forte qu'attendue

A l'issue de ce scrutin européen, les trois formations rassemblant les mouvements europhobes et nationalistes héritent ainsi, à elles trois, de 172 sièges au Parlement européen. "On peut déjà noter que ces partis sont plus nombreux qu'avant. Depuis cinq ans, depuis la crise des réfugiés, on a assisté dans beaucoup de pays à une remontée de ces mouvements. Leur nombre de sièges est donc mécaniquement à la hausse", décrit Gilles Ivaldi, qui comptait 36 partis nationalistes en 2014, contre 48 en 2019. 

Les conservateurs et réformistes européens (ECR), où siègent entre autres les eurodéputés polonais Droit et justice, ainsi que les conservateurs britanniques, obtiennent 58 sièges contre 76 auparavant. Le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (ELDD), dont font pour l'instant partie les europhobes du parti du Brexit de Nigel Farage, mais aussi les eurodéputés du parti "antisystème" italien Mouvement 5 étoiles (M5S), obtient 56 sièges contre 41 lors de la précédente législature. La formation réalisant la plus forte percée est l'Europe des nations et des libertés (ENL), née en juin 2015, et où siègent entre autres les eurodéputés du Rassemblement national et de la Ligue italienne. Ils obtiennent 58 sièges, contre 37 jusqu'à présent. Soit un gain sensible de 21 sièges.

Si ces résultats étaient attendus, ce succès des forces populistes est cependant moins élevé qu'attendu. "La poussée n'est pas aussi importante qu'on aurait pu le croire. On avait l'impression qu'ils étaient inarrêtables mais, finalement, chaque parti a des scores assez comparables à leurs législatives. Ils se consolident plutôt qu'ils ne gagnent des voix", analyse Gilles Ivaldi.

Un succès indéniable en Italie, en France et au Royaume-Uni

Le groupe Europe des nations et des libertés (ENL) se démarque comme le grand gagnant de ces élections européennes, au sein du camp des eurosceptiques et populistes. Son gain de sièges est directement lié à la poussée incontestable du parti d'extrême droite italien la Ligue, dirigé par le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini. Le parti arrive largement en tête des votes en Italie – 33,64% des voix – et décroche ainsi 28 sièges à Strasbourg et Bruxelles, contre cinq obtenus en 2014. Un score record qui vient sensiblement renforcer les rangs de l'ENL, et qui confirme la place d'"homme fort" de Matteo Salvini sur la scène populiste et eurosceptique européenne, confirme Gilles Ivaldi.  

La victoire est également "incontestable" pour Marine Le Pen, qui évoquait en janvier "l'enjeu clair (...) de battre Macron". Le Rassemblement national arrive en effet en tête des élections européennes en France, avec 23,31% des voix. Un score et une première position qui permettent à la liste conduite par Jordan Bardella d'envoyer 22 députés au Parlement européen, contre 15 élus Rassemblement national siégeant jusque-là.

Toutefois, cette victoire est en "demi-teinte", selon le spécialiste de l'extrême droite. "Cette année, il y avait un contexte porteur pour le Rassemblement national : une crise sociale, le mouvement des 'gilets jaunes', les violences, l'alliance avec des partenaires européens... Le RN pouvait en tirer des bénéfices mais les résultats sont normaux. Il n'y a pas de dynamique supplémentaire", note Gilles Ivaldi, qui rappelle que le score du Front national en 2014 était plus important (24,86%, mais près de 570 000 voix de moins qu'en 2019). "Je n'ai pas noté [dimanche soir] de discours excessivement triomphant de la part de Marine Le Pen ou Jordan Bardella."

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Outre-Manche, la victoire du parti du Brexit, jeune formation créée en janvier par Nigel Farage après son départ de l'Ukip, est "éclatante", commente le chercheur. Ce jeune parti europhobe et populiste obtient 31,71% des voix au Royaume-Uni et, en conséquence, 29 sièges au Parlement européen, dans l'attente de l'entrée en vigueur effective du Brexit. Il fait ainsi mieux qu'en 2014 avec l'Ukip, où il avait obtenu 26,77% des voix et 24 sièges d'eurodéputés. "C'est un parti né il y a quelques mois, qui n'a pas de structures, pas d'argent, mais qui s'est constitué sur un enjeu précis : le Brexit", explique Gilles Ivaldi.

Il faut également noter la percée des mouvements Aube dorée (4,85%) et Frères d'Italie (5,84%), respectivement en Grèce et en Italie. "Ce sont des groupuscules ultranationalistes violents qui entrent [au Parlement européen]. C'est l'indication d'une certaine crispation identitaire autour de l'immigration", note Gilles Ivaldi. 

Quant au Fidesz, parti national-conservateur du Premier ministre hongrois Viktor Orban, il remporte une nouvelle fois largement les élections européennes, avec 52,33% des voix en Hongrie et 13 eurodéputés, contre 12 élus en 2014. Suspendu du Parti populaire européen (PPE), le Fidesz rejoindra-t-il un groupe marqué plus à droite ? C'est l'une des grandes questions au lendemain du scrutin.

L'échec surprise des nationalistes aux Pays-Bas

Ces succès de part et d'autres du continent sont néanmoins à nuancer, notamment avec la victoire surprise des travaillistes aux Pays-Bas. Le Forum pour la démocratie (FvD), formation nationaliste et anti-immigration dirigée par Thierry Baudet, était attendu comme le grand vainqueur du scrutin à l'échelle néerlandaise, avec l'obtention de cinq sièges sur les 26 que comptent les Pays-Bas. Mais le Parti travailliste néerlandais (PvdA) est arrivé en tête, avec 18,9% des voix et six sièges à Strasbourg et Bruxelles. Le Forum pour la démocratie de Thierry Baudet n'obtient, lui, que trois sièges, avec seulement 10,9% des votes.

Le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, formation d'extrême droite membre de l'Europe des nations et de la liberté, est lui aussi en nette perte de vitesse : avec seulement 3,50% des voix, il ne gagne aucun siège, contre quatre obtenus en 2014. Quant au parti d'extrême droite autrichien FPÖ, fragilisé par l'"affaire d'Ibiza", il arrive troisième avec 17,20% des voix et obtient ainsi trois sièges, contre quatre au cours de la précédente législature. 

Des résultats inégaux, donc. "La plupart des résultats sont très largement nationaux. Il y a beaucoup de variations entre les pays, selon le contexte, mais pas de vague uniforme européenne", analyse Gilles Ivaldi.

"Le véritable enjeu, c'est le système d'alliance"

Si le chercheur répète qu'"il n'y a pas de poussée globale", il souligne toutefois que les prochains mois détermineront la victoire – ou non – de ces mouvements. "Le véritable enjeu, c'est le système d'alliance", assure Gilles Ivaldi. Pour le spécialiste, les partis "ont beaucoup de liens idéologiques mais ne sont pas forcément prêts à coopérer entre eux". "Leur succès électoral est avéré, institutionnalisé. Mais s'ils veulent pouvoir concurrencer les groupes traditionnels, avoir un impact, ils doivent trouver des alliances au Parlement." Pour l'instant, même si leur nombre de sièges augmente, ils ne forment toujours pas un "groupe central et incontournable dans le Parlement européen".

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