Maire, sénateur, menuisier, agriculteur… Que sont devenus vos anciens députés ?
Au téléphone, la voix est enjouée. "Là, je suis en peignoir de bain, au bord de la route, sur le chemin de la plage, raconte Marylise Lebranchu, ex-députée PS du Finistère, quand on lui demande de ses nouvelles. A Plougasnou, l'eau est à 16°C, je suis à la retraite, j'en profite." La mer pour horizon, plutôt qu'un énième mandat électif. Ministre de Lionel Jospin et François Hollande, l'ancienne élue a décidé de raccrocher. "J'ai fait vingt ans de politique au niveau national, c'est assez", estime-t-elle, tout en confiant garder un œil sur le Parti socialiste.
Comme Marylise Lebranchu, de nombreux anciens députés ont quitté l'hémicycle pour une paisible retraite. Marie-Odile Bouillé (PS, Loire-Atlantique), "femme des pôles", prépare un voyage en Antarctique. François Scellier (LR, Val-d'Oise) explore la généalogie, "un vrai plaisir". Guy Chambefort (PS, Allier) lance un web-magazine local et joue les écrivains publics pour "aider les gens qui ont des soucis avec l'administration, France Telecom ou pour trouver un emploi". Philippe Plisson (PS, Gironde) fait du vélo "deux fois par semaine" et "chasse la bécasse".
Beaucoup n'ont cependant pas raccroché. Parce qu'ils n'avaient pas l'âge pour prendre leur retraite, parce qu'ils avaient d'autres mandats ou parce qu'ils n'avaient pas envie de mettre un terme à leur vie politique... Que faire après l'Assemblée quand la politique nationale a occupé une grande partie de sa vie ? Pour le savoir, franceinfo a contacté ces députés sortants, en se penchant plus particulièrement sur les 251 qui ont siégé pendant au moins deux mandats.
"Un atterrissage plus ou moins difficile"
Cinq d'entre eux ont simplement changé de chambre, pour s'installer au Sénat. "La campagne législative de mon successeur terminée, j'ai commencé à sillonner le département pour les sénatoriales. Il n'y a pas eu de période de sevrage", raconte Jean-Pierre Decool (LR, Nord). Pourquoi le palais du Luxembourg plutôt que le Palais-Bourbon ? "On a été maltraité et méprisé pendant la dernière législature, avec des tas d'amendements déposés mais pas pris en compte", explique son collègue Marc-Philippe Daubresse (LR, Nord), ravi "de retrouver une ambiance plus calme et collaborative au Sénat".
Par choix, pour se plier à la règle du non-cumul des mandats, ou par défaut, après une défaite aux législatives, une grande partie des anciens députés ont conservé leur écharpe d'élu local. Parmi notre échantillon, 79 anciens députés sont aujourd'hui maires à temps plein. Un changement vécu avec plus ou moins de bonheur. Jean-Pierre Gorges (LR, Eure-et-Loir) se consacre désormais à sa mairie de Chartres, où il se sent, comme beaucoup, davantage capable de changer les choses. "Chez moi, je construis, se réjouit-il. A l'Assemblée, j'ai eu l'impression de beaucoup discuter sans voir le concret, avec un sentiment de vide, car ceux qui arrivent après nous désinstallent souvent ce qu'on a fait."
S'il savoure sa "liberté retrouvée", Dominique Baert (PS, Nord), lui, a vécu un "atterrissage plus ou moins difficile" à Wattrelos. Lorsqu'il était député, il avait baissé son salaire de maire, "de 3 500 à 1 500 euros". L'ajustement inverse est mal passé : la presse locale a consacré ses gros titres à son augmentation et il a été visé par "des déclarations scandaleuses comme quoi ce serait honteux pour un socialiste".
<span>Si j'avais eu une arme chez moi ce soir-là, je ne suis pas sûr que je serais encore vivant.</span>
Les départements et les régions sont un autre débouché pour les anciens députés. Dix d'entre eux, comme les anciens ministres Philippe Martin (PS, Gers) ou Dominique Bussereau (LR, Charente-Maritime), président un département, quatre, comme Valérie Pécresse (LR, Yvelines) ou Alain Rousset (PS, Gironde), sont à la tête d'une région.
Eleveur, menuisier, médecin
Pour les autres, il a fallu retrouver un travail. Battue en juin, Chantal Berthelot (apparentée PS, Guyane) a repris à temps complet son métier d'agricultrice, à Macouria. "Je suis en train de revoir les choses, pour aller vers un élevage un peu plus développement durable, avec un peu plus de permaculture", explique-t-elle. Arrivé à l'Assemblée en 2016 après le décès de Sophie Dessus, Alain Ballay (PS, Corrèze) a repris la menuiserie, pour financer les études de ses enfants.
Je fais de petits travaux d’aménagement de maison, des placards. Je travaille avec un artisan qui me prend pour donner un coup de main.
Chirurgien urologue de profession, Bernard Debré "continue à opérer en Chine", à Tongji, près de Shanghai, où il enseigne également.
D'autres figures plus médiatiques ont mis à profit leur expérience à l'Assemblée pour se réorienter. Ancien magistrat et président de la commission d'enquête sur le 13-Novembre, Georges Fenech (LR, Rhône) a été recruté par la chaîne CNews comme "consultant justice et antiterrorisme" et anime une formation à l'université Panthéon-Assas sur le renseignement et la sécurité.
"Etre ancien député n’est pas un sésame"
Les fonctionnaires, eux, ont regagné leur fonction publique d'origine, grâce au système du détachement. Un retour pas toujours simple. Pascale Got (PS, Gironde) est redevenue "responsable culture, sport et vie associative" dans une mairie. "Cela change beaucoup. Par rapport au mandat de député, on perd beaucoup d'autonomie et d'indépendance", explique-t-elle, en précisant qu'elle ne s'"interdit pas de chercher ailleurs". Parfois, la perte est salariale. Directeur général des services (DGS) d'une mairie avant son élection en 2012, Christophe Léonard (PS, Ardennes) n'a pas retrouvé ce poste de numéro un de l'administration locale. "Entre ma situation de DGS et mon poste aujourd'hui, ma rémunération a baissé de 20%", souligne-t-il, en réponse à ceux qui "imaginent que les députés repartent tous avec une indemnité" de l'Assemblée.
Tout au long de leur mandat, les députés cotisent en effet pour financer leur "allocation de retour à l'emploi". D'une durée maximale de trois ans et dégressive tous les six mois, cette indemnité – 5 599,80 euros brut les six premiers mois – ne concerne que les députés en recherche d'emploi. Plusieurs anciens élus sont dans cette situation. "J'ai 58 ans, c'est pareil que pour un tas de gens, il ne faut pas être vieux sur notre marché du travail, explique Véronique Massonneau (écologiste, Vienne). Ce n'est pas si simple de se vendre après cinq ans à l'Assemblée, ancien député n'est pas non plus un sésame."
"Quand on est député, on est considéré comme vivant dans un monde à part, et ça continue même après la fin de mandat, déplore Jean-Patrick Gille (PS, Indre-et-Loire), qui cherche dans le domaine de la formation professionnelle. Les employeurs ont du mal à vous imaginer dans un boulot, c'est un frein." C'est même un boulet pour Christophe Léonard. "Une entreprise mettrait plus d'entrain à recruter un ancien footballeur qu'un élu", constate le fonctionnaire, qui réclame une vraie réflexion sur le statut de l'élu, pour faciliter les allers-retours entre la vie professionnelle et la vie publique.
<span>Aujourd'hui, si vous êtes un homme politique, il y a la présomption que vous êtes un escroc, un voleur, un feignant...</span>
"C'est comme un plan social"
L'un de leurs anciens collègues est encore plus dépité. "On n'est pas aidé, on est laissé pour compte, c'est comme un plan social. Du jour au lendemain, la République, pour qui on a tout donné, est très froide, lâche cet ancien élu de l'Ouest, en demandant l'anonymat. Le regard des gens est aussi terrible : vous avez de l'indifférence totale, ceux qui viennent vous plaindre et ceux qui disent 'bien fait pour ta gueule'".
Sans mandat ni emploi, François Lamy (PS, Essonne) tient tout de même à relativiser. "Je trouve ça un peu limite pour les citoyens. On n'est pas à plaindre par rapport à quelqu'un qui se retrouve au chômage", insiste l'ancien ministre, avant de reconnaître que sa recherche d'emploi est pour le moment "très compliquée".
Au-delà de ces difficultés de reconversion, le retour à "la vraie vie" réserve parfois des surprises. Membre de la Hadopi et du comité exécutif de l'Union sociale de l'habitat, Marcel Rogemont (PS, Ille-et-Vilaine) doit réapprendre à gérer seul son emploi du temps après vingt ans à l'Assemblée nationale. La veille de notre appel, il s'est rendu à deux réunions annulées, qu'il avait oublié de supprimer de son agenda. "J'avais des collaborateurs qui géraient mes communications et mon emploi du temps. Là, je suis un peu dans la patouille, je dois gérer d'un coup ça tout seul. Et quand j'ai deux heures de libre, je ne sais pas quoi faire", explique-t-il, conscient des critiques que cette histoire risque de lui attirer.
<span>Ça paraît bête, les gens vont dire "les élus, d'un seul coup, ils redécouvrent la vraie vie". Mais voilà.</span>
"C'est une autre façon de vivre"
La majorité des anciens députés souligne cependant une qualité de vie retrouvée. "Je m'occupe de mes deux filles, ce que je n'ai pas pu faire pendant quinze ans. Je rentre dîner plus d'une fois par semaine", énumère Stéphanie Pernod-Beaudon (LR, Ain). "Sur le plan personnel, cela me laisse un peu plus de temps avec mon épouse Michèle [Alliot-Marie]. On se retrouve le soir, alors qu'avant, il y avait les séances tardives à l'Assemblée", abonde Patrick Ollier (LR, Hauts-de-Seine). Supporter du FC Metz, Denis Jacquat (LR, Moselle) n'hésite plus à jouer les prolongations le samedi soir. "Avant, je filais à la fin du match. Là, je reste pour commenter le résultat et boire un coup, c'est une autre façon de vivre", savoure-t-il.
D'autres ont plus de mal. "J'ai un copain député, il ne vivait que de ça, c'était sa vie. Et du jour au lendemain, son téléphone ne sonne plus et il est vraiment mal, raconte Philippe Plisson, à propos d'un ancien élu des Bouches-du-Rhône. Du coup, il m'appelle, m'envoie des photos de nos anciennes activités à l'Assemblée. Il se fait chier comme un rat mort." Un ennui et un coup de blues que l'intéressé n'a pas évoqués lors de son entretien avec nous.
Pour remédier à cette nostalgie, certains retournent régulièrement au Palais-Bourbon, pour son restaurant, son salon de coiffure ou sa bibliothèque. "Comme j'ai siégé pendant dix-huit ans, je suis membre honoraire du Parlement, explique Alain Suguenot (LR, Côte-d'Or). J'y vais avec plaisir et un petit pincement au cœur. On peut aller partout, sauf dans l'hémicycle pendant les sessions." Une partie de la tribune donnant sur l'hémicycle est néanmoins réservée aux anciens députés.
On surnomme cette tribune "le cimetière"
Capitaine pendant dix ans du XV parlementaire, Pascal Deguilhem (PS, Dordogne) n'a pas encore raccroché ses crampons, malgré son départ de l'Assemblée. "J'ai 62 ans et une prothèse de hanche. Donc je ne joue que quand ce n'est pas trop difficile", tient-il tout même à préciser.
D'autres trouvent le moyen de continuer à travailler pour l'Assemblée. Georges Fenech suit les débats législatifs sur ses sujets de prédilection et envoie des "suggestions d'amendements" aux députés de sa famille politique. Lucien Degauchy (LR, Oise) n'a, lui, pas vraiment abandonné son mandat. Agé de 80 ans, l'homme à la veste jaune moutarde est devenu le suppléant de son successeur, Pierre Vatin, son assistant parlementaire pendant vingt et un ans. "Je participe encore beaucoup sur le terrain et j'aide Pierre sur le travail administratif", explique le maire de Courtieux. L'équipe, la permanence et ses horaires d'ouverture sont restés les mêmes. "Rien n'a changé, se félicite l'octogénaire. Les gens qui viennent au bureau retrouvent les mêmes visages."