Municipales : à Bastia, "la carpe, le lapin et le loup" nationaliste s'allient contre l'héritier
Arrivé deuxième du premier tour, le nationaliste modéré Gilles Simeoni, qui s'est allié à l'UMP et à un dissident de gauche, est le favori du second tour. Il pourrait bien battre Jean Zuccarelli, dont la famille tient la ville depuis 1968. Reportage.
"Souris un peu !" En ce jeudi matin d'entre-deux-tours, Emile Zuccarelli, maire PRG (Parti radical de gauche) de Bastia (Haute-Corse), aimerait bien que son "fiston" offre un visage un peu plus avenant aux caméras qui se pressent dans la permanence du boulevard Paoli. Candidat à la mairie de Bastia, Jean, 50 ans, n'a pourtant pas beaucoup de raisons de sourire. Dimanche 30 mars, il pourrait être le premier Zuccarrelli depuis 1968 à perdre une élection municipale à Bastia.
> Les résultats des élections municipales à Bastia
La citadelle Zuccarelli, construite par son grand-père Jean (maire de 1968 à 1989) et son père Emile (1989-2014), vacille. Au premier tour, Gilles Simeoni, chef de file des nationalistes modérés, est arrivé à 29 petites voix (32,34% contre 32,51%) de sa liste investie par le Parti radical de gauche et le Parti communiste. Surtout, son adversaire a su former un front anti-Zuccarelli avec le dissident de gauche François Tatti (14,64%) et l'UMP Jean-Louis Milani (9,73%) pour le second tour.
Le mai 1981 des nationalistes
Si le candidat nationaliste l'emporte, ce ne sera pas seulement la fin de la maison Zuccarelli. "Ce sera un peu comme l'arrivée au pouvoir des socialistes en 1981", observe André Fazi, politologue à l'université de Corse, à Corte. Les "natios" ont déjà gouverné de petites villes de l'île, ou participé à des majorités de gauche ou de droite. Mais jamais ils n'ont emporté la mairie d'une grande ville de Corse.
Au soir du premier tour, Gilles Simeoni, 47 ans, n'a pas hésité à parler de "tsunami politique". "Lundi matin, la première chose que vous faites, c'est d'aller voir le préfet pour lui dire 'n'ayez pas peur ?'", lui a demandé, mi-sérieux, mi-amusé, un journaliste local quelques jours plus tard. Au-delà de la boutade, Gilles Simeoni est bien conscient que son étiquette fait peur. Alors, il tente de rassurer tout le monde. "Je garderai mes convictions, mais je serai le maire de tous les Bastiais", explique-t-il.
"Les idées nationalistes imbibent l'ensemble de la société"
Ses convictions nationalistes ne prônent ni l'indépendance, ni la violence clandestine, mais un nouveau statut pour la Corse et la victoire par les urnes. C'est pour cette raison qu'il n'a pas voulu s'allier avec Corsica Libera, la frange indépendantiste du mouvement nationaliste, qui a pourtant rassemblé 5,4% des suffrages.
Selon lui, sa performance du premier tour s'inscrit dans un contexte général de "poussée du nationalisme modéré". "Les idées portées par les nationalistes ont imbibé l’ensemble de la société corse", constate-t-il. Son adversaire minimise. "Nous sommes simplement dans une phase haute du cycle nationaliste. Ce mouvement surfe sur un phénomène de type Front national, alimenté par la crise et la peur de la mondialisation", estime Jean Zuccarelli. Il reconnaît cependant que le mouvement s'est "trouvé un leader".
Un avocat charismatique et "fils de"
Gilles Simeoni n'est pas un inconnu en Corse. Il est le fils d'Edmond, le "père" du nationalisme corse, condamné pour l'occupation violente d'une cave viticole en 1975 à Aleria. Et cet avocat de profession s'est fait un prénom en défendant Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Erignac. Charismatique et éloquent, il a su, à partir de 2008, fédérer des militants autour de lui et bâtir dans l'opposition une vraie machine politique, l'association Inseme per Bastia ("Ensemble pour Bastia").
Pour le politologue André Fazi, la personnalité de Gilles Simeoni est "une part très importante de son succès". Elle lui permet "d'aller chercher le vote de gens qui ne sont pas nationalistes". "Il suffit de regarder les nationalistes à Corte ou à Ajaccio, qui ne font qu'autour de 10%, alors qu'ils sont unis entre modérés et indépendantistes", développe-t-il.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.