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Comment la crise entre l'Ukraine et la Russie bouscule les plans d'Emmanuel Macron pour la présidentielle

En liant son entrée en campagne à la gestion diplomatique du dossier ukrainien, Emmanuel Macron pensait s'offrir une rampe de lancement idéale vers l'élection suprême. Mais avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, à moins de 50 jours du premier tour, le chef de l'Etat doit changer ses priorités.

Article rédigé par Antoine Comte, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Emmanuel Macron, le 24 février 2022, lors d'une allocution depuis l'Elysée, à Paris, sur la guerre en Ukraine. (FRANCEINFO)

Emmanuel Macron avait trouvé une fenêtre de tir rêvée pour entrer dans l'arène. Selon son entourage, le président de la République devait déclarer sa candidature entre la levée partielle des restrictions sanitaires, le 16 février, et son retour de Moscou la semaine dernière avec l'assurance que la Russie opte pour la voix pacifique face à son voisin ukrainien.

Mais avec l'invasion militaire russe de l'Ukraine jeudi 24 février, le calendrier du chef de l'Etat se trouve bousculé. Si des sources à l'Elysée ont confirmé qu'il tiendrait son premier grand meeting de campagne à Marseille le 5 mars, Emmanuel Macron, fragilisé diplomatiquement par la décision de Vladimir Poutine de ne pas respecter sa parole, apparaît également affaibli politiquement sur la scène intérieure. 

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Un coup dur pour le futur candidat, à moins de 50 jours du premier tour. Reste à savoir si du côté de l'opinion publique, Emmanuel Macron, qui préside actuellement le Conseil de l'Union européenne, peut malgré tout profiter de la guerre pour orienter sa campagne sur un terrain qu'il connaît mieux que les autres candidats : la création d'une défense européenne, qu'il prône depuis 2016.

Une date de candidature plusieurs fois décalée

Même si aucune date officielle n'a encore été annoncée pour sa déclaration de candidature, le 16 février a d'abord circulé. Puis c'est la fin du mois de février qui a été avancée avec, notamment, la date du vendredi 25 février, veille de la venue d'Emmanuel Macron au salon de l'Agriculture. 

Des modifications de calendrier qui n'inquiètent pas ses proches. "Tout est prêt pour la campagne. Et ce n'est pas comme si nos opposants avaient mis des propositions dans l'air qui leur avaient permis de marquer des points et de prendre de l'avance", assure un franceinfo un conseiller ministériel. 

"Nous travaillons sur la campagne d'Emmanuel Macron depuis la rentrée de septembre. Le programme est bien ficelé et la date n'est pas vraiment un sujet."

Stanislas Guerini, délégué général de La République en marche

à franceinfo

Le président de la République attendra donc le dernier moment pour se déclarer. C'est durant la semaine du 28 février, juste avant le 4 mars, date limite de dépôt des 500 parrainages au Conseil constitutionnel, qu'Emmanuel Macron devrait se lancer dans la course à sa réélection.

Un nouvel angle d'attaque pour l'opposition

Si une unité nationale semble se dessiner sur la question de l'offensive russe, l'opposition n'a pas épargné Emmanuel Macron ces derniers jours. Parmi les candidats les plus vindicatifs, on trouve Jean-Luc Mélenchon. Le leader de La France insoumise a condamné, lors d'une conférence de presse, "le bilan navrant d'Emmanuel Macron dans cet épisode", tout en jugeant la Russie "responsable" de la crise actuelle. "A-t-il été un leurre pour Poutine ? s'est-il interrogé. C'est un énorme gâchis." Son entourage évoque, lui, "un retour de bâton logique car Emmanuel Macron s'est trop exposé"

Le chef de l'Etat n'avait d'ailleurs pas hésité à se mettre en scène sur son compte Instagram, depuis l'Elysée, lors des négociations téléphoniques avec Vladimir Poutine. 

Du côté de Valérie Pécresse, on n'est pas vraiment plus tendre avec le président sortant. Même si la candidate LR ne veut pas "reprocher au président d'avoir tenté de dialoguer avec Vladimir Poutine", elle considère, sur France Inter, que "ce dialogue a été trop tardif et solitaire". Dans l'entourage de la socialiste Anne Hidalgo, plusieurs parlementaires fustigent "le choix d'Emmanuel Macron de prendre une présidence de l'UE qu'il risque d'escamoter alors qu'il y a des élections en France".

Enfin, à l'extrême droite, Eric Zemmour a sèchement taclé l'initiative de son futur adversaire dans la course à l'Elysée. "Le problème, c'est qu'Emmanuel Macron n'est pas crédible et il n'est pas respecté par Vladimir Poutine", a déclaré le candidat de Reconquête ! sur France Inter. Pour Marine Le Pen, invitée par RTL, "Emmanuel Macron cherche à se servir de cette séquence diplomatie pour entrer en campagne"

Des conséquences incertaines sur l'opinion publique

En montant en première ligne dans le dossier ukrainien, Emmanuel Macron a pris aussi de vrais risques électoraux. Mais, selon le politologue Bruno Cautrès, les conséquences sur sa future campagne ne pourraient être que très limitées. "Depuis le début de cette campagne, la question de la sécurité externe de la France avait été réduite à peau de chagrin. Cette guerre au cœur de l'Europe va donc de facto profiter à Emmanuel Macron car il est le chef de l'Etat et le président du Conseil de l'Union européenne", explique le chercheur du Cevipof. 

"Emmanuel Macron a une longueur d'avance sur les autres candidats car il connaît bien les sujets européens. Le fait qu'il joue à domicile sur un terrain qu'il connaît bien est plutôt une bonne chose pour sa future campagne."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Dans le camp d'Emmanuel Macron, on juge positivement sa volonté de maintenir la paix en Europe et d'avoir essayé de dissuader Vladimir Poutine d'attaquer l'Ukraine. "Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sont trop pro-Poutine pour rassurer l'opinion et la France n'est pas un pays très russophile, juge un conseiller ministériel. Quant à Valérie Pécresse, elle est inaudible sur le sujet et aura du mal à prendre une position qui lui permette de se distinguer."

Mais l'interventionnisme du président sortant dans ce conflit peut aussi constituer une faiblesse. Si, dans les prochains jours, Emmanuel Macron, en tant que président du Conseil de l'Union européenne, échoue à unir une majorité de pays membres de l'UE face à la Russie, les conséquences pourraient être compliquées. "S'il arrive à mener une bonne coordination du cockpit européen, ça passera. En revanche, si c'est l'image d'une impuissance européenne qui se dégage, les critiques seront nombreuses", analyse Bruno Cautrès.

Le président prend aussi le risque d'apparaître comme un candidat hors sol, loin des préoccupations quotidiennes des Français. "Si Emmanuel Macron fait campagne uniquement sur le plan international, ces derniers pourraient lui en tenir rigueur", ajoute le politologue, mettant en avant "son triple agenda de chef de l'Etat, de président de l'Europe et de candidat, qui ne sera pas simple à tenir durant la campagne"

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