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"Le front républicain est contre-productif s'il ne s'accompagne pas d'une stratégie pour faire reculer le FN"

Le PS appelle au "barrage républicain" pour éviter une victoire du FN au second tour des régionales. Que recouvre cette expression ? De quand date cette stratégie ? Francetv info a interrogé le politologue Joël Gombin.

Article rédigé par Anne Brigaudeau - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pierre de Saintignon réagit à l'annonce du score de sa liste PS, arrivée troisième au premier tour des élections régionales, le 6 décembre 2015, à Lille (Nord). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Un mantra. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a appelé lundi 7 décembre à un "barrage républicain" face au Front national après un premier tour des régionales aux allures de sanction pour les partis de gouvernement. La veille, le parti présidé par Marine Le Pen est arrivé en tête dans six régions à l'issue du scrutin. Aussi le PS a-t-il retiré ses listes en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, où le Front national semble en mesure de l'emporter.

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La rue de Solférino applique ainsi la doctrine dite du "front républicain", le désistement en faveur de la liste "républicaine" la mieux placée. A quand remonte cette tactique ? Quelles sont ses références historiques ? Est-ce un mythe ou une réalité ? Les explications de Joël Gombin, politologue à l'université de Picardie Jules-Verne et membre de l'Observatoire des radicalités politiques-Fondation Jean-Jaurès.

Francetv info : d'où vient l'expression "front républicain" ? 

Joël Gombin : Le front républicain est un mythe. Il se réfère à une histoire qui n'existe pas car il n'y a aucune tradition attestée où les partis "républicains" appelleraient systématiquement à battre les partis "anti-républicains".

L'expression a été inventée en 1956 par Jean-Jacques Servan-Schreiber, le fondateur de L'Express. Il s'agissait d'une alliance entre le Parti radical de Pierre Mendès-France, la SFIO [devenue le PS], l'UDSR de François Mitterrand et le gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Sur fond de guerre d'Algérie, cette coalition visait à sauver la IVe République et à faire barrage, à gauche, aux communistes, et à droite, aux poujadistes. Rien à voir avec le front républicain tel qu'on l'entend aujourd'hui !

Cette expression a ressurgi à la fin des années 1980. Elle a été utilisée en 1989 par les socialistes, lors de législatives partielles à Dreux et à Marseille. Battus au premier tour, ils ont appelé à voter à droite pour battre le Front national. Mais cet appel n'était pas généralisé et n'a jamais fait l'objet d'un accord de réciprocité avec la droite. L'expression "front républicain" est donc abusive : ce "front" a toujours été décidé de façon unilatérale par la gauche dans un cadre conjoncturel précis. Or il faut au moins être deux pour faire front !

Pourquoi ce "mythe" fonctionne-t-il alors ? 

Ce qu'il y a derrière ce mythe, c'est la référence indirecte à l'union antifasciste des années 1930, et plus précisément à l'union de la gauche, qui s'est constituée, par la base, des communistes aux radicaux à partir de 1934 [le 6 février de cette année-là éclatèrent à proximité de l'Assemblée des émeutes menées par des ligues d'extrême droite]. La force du référent fascine dans l'imaginaire collectif de gauche. Mais aujourd'hui, la mémoire de ce qu'était le péril d'extrême droite dans les années 1930 s'atténue et la situation n'est pas comparable. 

Désormais, les références au front républicain se font de manière circonstancielle, selon l'intérêt tactique des uns et des autres. Les appels n'obéissent pas à une règle générale : on voit bien que ceux qui s'en réclament un jour le refusent un autre. Il y a aussi des cas particuliers dus à l'économie interne ou aux intérêts tactiques du PS.

Les différentes appréciations sur la nécessité d'un front républicain portées par le Premier ministre, Manuel Valls, ou le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, ne tiennent pas à des différences d'idéologie avec, par exemple, un Jean-Pierre Masseret qui maintient sa liste dans le Grand Est en dépit des appels au retrait de son parti. Elles tiennent à des coûts différents.

Car les coûts immédiats de cette posture sont supportés par le chef de liste et ses colistiers, qui vont y perdre des postes et des mandats. Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, eux, visent le prestige moral associé au front républicain et ne perdent rien dans l'immédiat. D'ailleurs, quelqu'un d'autre, à droite, s'est emparé de ce prestige moral, sans y jouer aucun rôle et sans rien y perdre : la tête de liste des Républicains en Provence-Alpes-Côte d'Azur, Christian Estrosi. Il n'hésite pas à se présenter, depuis le retrait de la liste socialiste, comme "le candidat de la résistance républicaine" face au clan Le Pen. Et il va faire campagne sur ce thème.

Cet appel à la constitution d'un front républicain n'est-il pas contre-productif ?

Il faut distinguer deux temporalités. A court terme, ce front républicain peut aider à faire perdre le Front national dans le cadre d'un duel plutôt que d'une triangulaire. Mais cette tactique apporte un élément de réalité très puissant au Front national, qui dénonce déjà une cartellisation de la vie politique, c'est-à-dire une entente sur son dos pour l'exclure.

A moyen terme, cette tactique est contre-productive si elle ne s'accompagne pas d'une stratégie pour faire reculer le FN. Le front républicain donne bonne conscience à peu de frais, ça ne coûte pas cher. Les partis s'exonèrent ainsi de toute mise en œuvre de réponses politiques sur le long terme.

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