: Reportage Européennes 2024 : à Niort, des lycéens "un peu perdus" et "pas sûrs" de se rendre aux urnes pour voter pour la première fois
Des dépliants bleu et jaune ont été disposés sur le bureau, et une guirlande de drapeaux des Etats européens accrochée au fond de la salle de classe. Ce lundi après-midi, une quarantaine d'élèves du lycée professionnel Gaston-Barré de Niort (Deux-Sèvres) suivent un atelier sur l'Union européenne. Parmi eux, une quinzaine de "primo-votants", comme 1,8 million de jeunes majeurs qui pourront glisser un bulletin dans l'urne pour la première fois de leur vie, dimanche 9 juin, pour élire les 81 députés européens français. Les candidats ne s'y trompent pas et multiplient les appels pour tenter de mobiliser la jeunesse dans la dernière ligne droite de la campagne.
A quelques jours du scrutin, ces terminales en filière pro option logistique, carrosserie et mécanique, sont encore nombreux à ne pas savoir s'ils iront voter. En France, seuls trois jeunes sur dix se déclarent d'ailleurs certains de se rendre dans l'isoloir, selon une enquête de l'institut Ipsos pour France Télévisions et Brut parue le 29 mai.
Des jeux pour expliquer le fonctionnement de l'UE
C'est pour mieux informer les jeunes sur l'UE et leurs droits en tant qu'électeurs que l'association Jeunes européens, créée en 1992 en France, multiplie les ateliers pédagogiques et les opérations de tractage. Cet après-midi-là, Laure Niclot, Elise Galy et Adrien Delpiroux, trois étudiants bénévoles, ont concocté un quiz pour les lycéens. Et, après une question facile sur le nombre d'Etats membres (27), ça se corse : combien de langues officielles ? Dans la salle silencieuse, peu se risquent à tenter une réponse. "Vingt-et-une", répond Laure Niclot, présidente de l'association, face à un auditoire assez peu bavard.
Au tableau, les bénévoles dessinent un triangle, avec à chaque pointe la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil des ministres, le tout chapeauté par le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement. "Ce sont les big boss, en quelque sorte", traduit Laure Niclot. Les lycéens acquiescent. "Qui dirige la Commission ?", enchaîne-t-elle. "Von der quelque chose ?", tente un élève au fond de la salle, sur la bonne voie pour identifier Ursula von der Leyen.
Au tableau, les schémas se complexifient, avec un diagramme des sept groupes politiques qui composent le Parlement européen. "A Strasbourg, les eurodéputés ne siègent pas par pays, mais par idéologie", explique Laure Niclot. Cette séance de révisions des institutions est bien accueillie par les élèves. L'établissement a beau avoir obtenu en 2019 le label "lycée ambassadeur du Parlement européen" ou organisé des voyages scolaires à Bruxelles et des séjours Erasmus+, beaucoup s'estiment insuffisamment informés sur les enjeux du scrutin du 9 juin. "Je me sens un peu perdu", admet Léo, 18 ans. Il trouve que les heures d'enseignement moral et civique (EMC, 13 heures par an en terminale bac pro) ne suffisent pas pour comprendre le rôle des institutions et leur impact.
Manque d'information et sentiment d'illégitimité
Beaucoup ne connaissent pas les formalités pratiques du vote et presque tous ignorent qu'ils ont été automatiquement inscrits dans le bureau de vote le plus près de chez eux le jour de leurs 18 ans. Pourtant, la mairie de Niort a organisé le 24 mai une cérémonie officielle pour remettre aux primo-votants leur toute première carte d'électeur, afin de les inciter à voter. Mais en classe, Traore, 20 ans, reste persuadé qu'il n'était pas inscrit, puisqu'il n'a fait aucune démarche. Il a toutefois réfléchi à son vote, plutôt à travers le prisme écologique, car "les députés européens peuvent faire changer les comportements des gens" dans ce domaine.
Ce manque d'information des jeunes concerne la plupart des territoires, observe Laure Niclot. Au fil de ses interventions en milieu scolaire à travers tout l'Hexagone, elle a constaté une profonde distance entre les très jeunes électeurs et les politiques. "Leur abstention découle soit d'une indifférence, soit d'un sentiment de ne pas être légitimes à voter", résume-t-elle.
"Beaucoup disent qu'ils ne comprennent pas assez bien les enjeux de l'UE pour s'exprimer et qu'ils ont peur de faire un mauvais choix."
Laure Niclot, présidente de l'association Jeunes européensà franceinfo
C'est le cas de Shannya, 18 ans, "pas sûre" de se rendre dans l'isoloir. "J'ai peut-être des trucs à faire dimanche, en famille. Et puis, je n'y connais rien. Je ne m'intéresse pas à la politique. Quand j'en entends parler aux infos, souvent je trouve que c'est n'importe quoi, beaucoup de conflits pour rien...", balaie-t-elle. A côté d'elle dans la cour du lycée, Pacôme, 18 ans également, a une solution : "Pour les européennes, je fais confiance à mes parents." Dimanche, il votera donc comme eux. "Une présidentielle, c'est plus important, j'aurais fait mon propre choix, assure-t-il. Mais les européennes, on voit pas trop l'impact sur nos vies..."
Dans la salle, les bénévoles passent maintenant à un autre quiz, pour tester les connaissances des élèves sur la campagne. Projetés sur le tableau, les portraits des principales têtes de liste défilent. "Qui connaît cette personne ?" Tous lèvent la main pour Jordan Bardella, président et candidat du Rassemblement national, mais le silence règne face à d'autres photos. Un malin utilise Google Lens pour trouver la réponse : "C'est Marie Toussaint !" Un autre s'esclaffe face à une photo de Raphaël Glucksmann : "On dirait Philippe Poutou !" La tête de liste PS-Place publique a pourtant ponctué ses discours d'appels à la jeunesse. Mais il semble quasiment inconnu pour les terminales du lycée Gaston-Barré, qui assurent pourtant suivre un peu l'actualité politique et la campagne "sur les réseaux", c'est-à-dire "Insta" et TikTok.
"Les partis traditionnels n'arrivent pas vraiment à donner envie aux jeunes de voter, observe Laure Niclot. Mais quand les jeunes se mobilisent, cela a un impact dans les urnes : en 2019, leur participation a augmenté par rapport à 2014, dans un contexte de manifestations pour le climat. Cela a profité à la liste des Verts", rappelle l'étudiante en master affaires européennes.
Séduits par Bardella, mais majoritairement indécis
Cette année, la mobilisation des primo-votants pourrait surtout bénéficier au RN, en tête des intentions de vote chez les 18-21 ans, selon le sondage Ipsos pour France Télévisions et Brut. Dans cette classe de terminale, les rares électeurs qui ont déjà fait leur choix optent pour Jordan Bardella. "C'est normal d'aller voter, on a tous une opinion à exprimer", explique Thaïs, certaine de participer au scrutin. La jeune femme a lu des articles sur les programmes, et elle a aussi discuté avec sa mère et son frère avant de faire son choix, principalement motivé par "l'insécurité", dit-elle. "Il y a beaucoup de dealers dans le centre-ville de Niort".
Kevyn ira lui aussi voter par devoir citoyen. "Il faut donner sa contribution", justifie ce futur logisticien. "J'ai lu les programmes, un peu à gauche, à droite", raconte-t-il, avant d'opter pour la tête de liste RN. C'est avant tout sa façon de faire campagne qui lui a plu : "Il interagit avec le public, il se déplace, sort de son bureau."
Mais ces futurs nouveaux électeurs sûrs de leur choix restent ici minoritaires par rapport aux abstentionnistes et aux indécis. Quand la sonnerie retentit, les élèves sortent de la salle de classe un peu mieux informés, mais toujours aussi hésitants, et bien souvent plus préoccupés par les épreuves du bac, le 18 juin, que par l'échéance électorale. "Mes parents m'ont toujours dit qu'il faut aller voter, même quand on ne sait pas pour qui. On doit y aller et on peut voter blanc", témoigne Léo.
"J'irai voter dimanche, mais je m'y perds... Quand je regarde les informations sur les listes, les programmes, je ne comprends pas toujours tout."
Léo, lycéen de 18 ans en terminale pro logistiqueà franceinfo
Timothé, lui, fêtera sa majorité deux jours après le 9 juin. Il regrette de ne pas pouvoir se rendre dans un bureau de vote dimanche. "Les gens se plaignent des politiques, mais souvent, ils ne sont même pas allés voter", lance-t-il. En attendant de glisser son bulletin dans l'urne pour la première fois, il se concentre sur ses examens et sur le permis de conduire, d'autres rituels d'entrée dans la vie d'adulte.
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