"Dix secondes à ne pas rater" : comment l'arrivée des Bleus à Clairefontaine est devenu un rendez-vous incontournable de la mode

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le défenseur Ibrahima Konaté à son arrivée à Clairefontaine, dans les Yvelines, le 29 mai 2024. (FRANCK FIFE / AFP)
Une partie des internationaux français sélectionnés pour l'Euro sont réunis à Clairefontaine depuis mercredi. L'occasion pour les joueurs de soigner leur arrivée avec des tenues qui sont de plus en plus scrutées et commentées.

Des santiags à talons, un jean taille haute, une cravate orange, un blouson de cuir et une paire de lunettes futuriste. Jules Kounde pouvait difficilement passer inaperçu en arrivant à Clairefontaine, dans les Yvelines, lors du rassemblement de l'équipe de France mercredi 29 mai. Le joueur du FC Barcelone est devenu au fil de ces retrouvailles entre internationaux au centre national du football celui dont les tenues sont les plus scrutées et commentées. Le défenseur tricolore est le symbole d'une nouvelle génération de joueurs très attentive à son look et la preuve que mode et ballon rond font bon ménage.

Ça n'a pas toujours été le cas, les lignes commençant à bouger durant les années 1990. "Certains joueurs ont développé un affect pour la mode, comme le Japonais Hidetoshi Nakata, David Beckham ou Djibril Cissé", énumère Elssy Célina, rédacteur en chef du site Caminotv.com, spécialisé dans le "lifestyle". L'influence de l'autre côté de l'Atlantique, aux Etats-Unis, se fait sentir. Car la NBA a mis en scène "ses basketteurs qui marchent dans les couloirs et les tunnels" des salles où ils jouent, éclaire le photographe Julien Soulier, cofondateur du magazine Sport Etude.

"Ils ont conscience qu'il faut faire attention"

En Europe, le FC Barcelone a été le premier club à suivre la tendance et désormais les caméras des plus grands clubs européens captent la déambulation des joueurs dans les tunnels. Le rituel de Clairefontaine obéit aux mêmes règles : arrivée des internationaux, un à un, marche de quelques mètres jusqu'aux portes du château et pose devant les photographes. Un ballet bien rodé que certains maîtrisent à la perfection. "Kylian Mbappé sort à droite de la voiture plutôt qu'à gauche – comme cela est l'usage – pour avoir plus de temps pour les photos et les vidéos. Il ne manque jamais une occasion de saluer la presse de la main gauche, même s'il est droitier : il ne faudrait pas que l'on rate sa montre", observe Baptiste Fernandez Mota, photographe pour l'agence Icon Sport, dans le magazine XXI.

Kylian Mbappé arrivant à Clairefontaine, dans les Yvelines, le 29 mai 2024. (FRANCK FIFE / AFP)

Fans de foot et de mode, les membres de Caminotv.com "ont eu envie de donner leur avis sur les tenues", lorsqu'ils ont vu ces images fleurir sur les réseaux sociaux. Chaque rassemblement, présenté comme un moment convivial par les images diffusées par la Fédération française de football, est désormais disséqué en vidéo.

"C’est un peu comme la rentrée des classes, tu as envie d’être beau, car tu sais que tu vas être regardé ou chambré. Les photos font le tour du monde, elles restent, donc tu as envie que ton image qui circule soit valorisante."

Elssy Célina, rédacteur en chef de Caminotv.com

à franceinfo

Ce rituel est aussi attendu par les joueurs. Ainsi, Marcus Thuram n'a pas hésité à charrier sur Instagram Jules Kounde, qui présentait un maillot, en lui adressant le message : "Tu viens comme ça demain ?"

"L'image est devenue primordiale, les sportifs ont conscience qu'il faut y faire attention", analyse le directeur artistique Youth Soumahoro, qui conseille les internationaux tricolores Axel Disasi, Sakina Karchaoui ou l'artiste Jaden Smith. Encore plus dans une époque où les réseaux sociaux et les communautés associées font caisse de résonance. "Etre appelé en équipe de France est déjà hyper excitant, c'est une très bonne visibilité. Il faut donc taper juste dans sa manière de s'habiller, ils ne veulent pas rater ce rendez-vous mode, même s'il ne dure que 10 secondes", explique-t-il.

"L'argent ne fait pas le bon goût"

En quelques décennies, les footballeurs ont donc changé de statut. Finie l'image ringarde et bling-bling qu'ils pouvaient renvoyer. "C'est amusant de constater à quel point désormais les joueurs de foot sont suivis vestimentairement parlant", sourit Gloria Despioch, analyste mode.

"Avant, les footballeurs ne représentaient pas quelque chose de séduisant pour les enseignes de luxe."

Gloria Despioch, analyste mode

à franceinfo

Mais la mode a évolué, s'est démocratisée et "les grandes marques font appel à des ambassadeurs venus de milieux plus populaires dont les footballeurs sont parfois issus", ajoute-t-elle. "Aujourd'hui, les sportifs ont pris de l'importance à leurs yeux. Ils peuvent développer leur 'street credibility', ou 'borderline', avec une volonté de casser les codes", abonde Virgile Caillet, expert en marketing sportif. Le football, mais le sport en général, et la mode sont désormais connectés. Il suffit de regarder les premiers rangs des défilés de la "fashion week" où les stars des stades côtoient les acteurs, actrices ou artistes.

Les goûts des footballeurs se sont également affirmés. "Ils vont pour la plupart piocher dans des pièces et des marques assez sûres, déclare Gloria Despioch. Mais ils peuvent étonner. Par exemple, on n'aurait jamais imaginé qu'un footballeur puisse porter du Miu Miu", une marque italienne, qui appartient à Prada, comme Marcus Thuram, en mars dernier. "Ils avaient l'habitude d'empiler les marques et les gros logos, mais maintenant on voit que c'est devenu une passion parce qu'il y a une recherche plus pointue, certains vont chercher des marques particulières", note Elssy Célina.

"L'argent ne fait pas le bon goût, ce n'est pas parce qu'on porte des marques qu'on sait bien s'habiller", confirme une employée d'une maison de luxe, heureuse de constater que les footballeurs sont "désormais conscients de leur image". Entouré de stylistes ou de conseillers, le joueur de football est "devenu pointilleux en termes de mode", confirme Youth Soumahoro. "Il est à l'écoute de ce qu'on peut lui proposer et il nous suit assez facilement", salue le directeur artistique. Dans le vestiaire d'un joueur de football, on retrouve donc des enseignes de luxe, Louis Vuitton en tête, Givenchy, Christian Dior, mais aussi des créateurs, comme Nocta, Off White, marque créée par Virgil Abloh ou encore Supreme.

"Le sportif est devenu un mannequin"

En équipe de France, "Jules Kounde a été un précurseur, assure Youth Soumahoro. Il suit la mode et il a même sa place dans les 'moodboards' des maisons de mode. Avant les footballeurs s'inspiraient de la mode et lui a inversé ça. C'est lui qui l'inspire." "Il peut être raillé, mais c'est en fait très pointu, il ne porte jamais n'importe quoi", avance Gloria Despioch. Le défenseur n'est même pas accompagné par un styliste : il choisit seul ses habits, comme il le raconte dans le magazine GQ .

"Mon style est un peu caméléon. Je suis fier de ce que je trouve. J'adore chercher moi-même."

Jules Kounde, international français

dans le magazine "GQ"

Le défenseur du FC Barcelone, mais aussi "Marcus Thuram et Eduardo Camavinga se détachent", note Elssy Célina. "Le sportif est devenu un mannequin depuis quelques années, ce n'est plus seulement un consommateur avec beaucoup d'argent", résume le photographe Julien Soulier.

Le look est soigneusement travaillé. "Pour le dernier rassemblement de l'équipe de France féminine, avec la joueuse Sakina Karchaoui, on a réfléchi pendant une semaine", observe Youth Soumahoro. Pour habiller les joueurs, le directeur artistique fait des demandes de pièces aux bureaux de presse, et pour un seul événement propose généralement quatre ou cinq tenues à son client. "On ne tape forcément aux portes des grandes marques, on s'adapte au client et à sa renommée. La marque nous donne son accord ou pas, elle peut être parfois réticente à habiller certaines personnes", constate le styliste. 

"On a pu me dire non pour un joueur et oui pour un autre pour un même événement."

Youth Soumahoro, directeur artistique

à franceinfo

Les grandes maisons étudient au cas par cas, en fonction des valeurs qu'elles veulent véhiculer. Si le nombre de followers ou les performances importent, les activités hors des terrains sont aussi primordiales. "Si c'est Kylian Mbappé, elles sont preneuses. Si c'est un remplaçant, ça peut moins les intéresser, poursuit-il. Mais pour le rassemblement à Clairefontaine, la plupart des marques sont quand même contentes de travailler avec la plupart des joueurs."

Le futur ancien joueur du PSG demeure toutefois un cas à part. Il est l'un des rares à être ambassadeur de plusieurs marques de luxe (Dior, Rimowa pour les bagages, Hublot pour les montres), toutes sous pavillon LVMH. "Il incarne une réussite décomplexée à la française, un jeune, originaire de banlieue, réfléchi... Il coche beaucoup de cases. On a aussi le côté 'street', mais pas dans la transgression", analyse Virgile Caillet. A l'instar du buteur star, les joueurs sont eux-mêmes "devenus des marques, des outils de communication", poursuit l'expert en marketing sportif. Ils bénéficient d'une audience exponentielle, plus vaste et mainstream dont les grandes maisons peuvent bénéficier. 

S'afficher avec des vêtements hors de prix est également un marqueur de réussite pour les joueurs. C'est aussi une manière d'attirer l'attention, l'occasion de recevoir des invitations à des défilés lors de la "fashion week" et pourquoi pas devenir des représentants. "Ce n'est pas du football, mais le groupe de rap Arsenik ne s'affichait qu'en Lacoste au point d'être choisi par la marque pour en devenir une des égéries, rappelle Gloria Despioch. C'est une relation gagnant-gagnant."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.