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Euro 2021 : on vous explique la polémique sur le genou à terre en hommage aux victimes du racisme

Article rédigé par Raphaël Godet, Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Les footballeurs belges posent un genou au sol contre le racisme avant le match contre la Russie, à Saint-Pétersbourg, le 12 juin 2021, lors de l'Euro.  (ANATOLY MALTSEV / AFP)

Les Anglais et les Belges l'ont fait, et ont eu droit à des sifflets. Les Français devaient le faire, avant de renoncer. Depuis le début de la compétition, ce geste symbolisant un soutien au mouvement Black Lives Matter prend autant de place sur le terrain qu'à l'extérieur.

Il est 20h59, samedi 12 juin, les hymnes viennent d'être joués, le coup d'envoi de Belgique-Russie va être donné, lorsque des sifflets descendent des tribunes du Gazprom Arena de Saint-Pétersbourg. C'est qu'une partie du public russe n'apprécie guère que les Diables rouges aient osé mettre un genou sur la pelouse en soutien à la lutte contre le racisme et les discriminations. Ce geste, répété dans d'autres stades, pendant d'autres matchs de l'Euro, a ses détracteurs. Après une semaine de compétition, franceinfo pose le pied sur le ballon. 

D'où vient ce geste ? 

Les footballeurs ne sont évidemment pas les premiers à s'indigner contre le racisme. En 2016, l'ancien quarterback des 49ers de San Francisco Colin Kaepernick avait posé un genou à terre pendant l'hymne américain. "Je ne vais pas afficher de fierté pour le drapeau d'un pays qui opprime les Noirs et les gens de couleur", avait-il prévenu à l'époque. Un geste hué, sifflé dans les enceintes de NFL, et qui lui coûtera sa carrière. Une partie des spectateurs et de l'opinion publique y voyait une insulte à la nation. Mais pour Colin Kaepernick, il s'agissait d'une référence au geste de Martin Luther King, qui s'est agenouillé ainsi à Selma (Alabama) en 1965 pour protester contre la ségrégation dont étaient victimes les Noirs. 

Les joueurs de football américain Eli Harold, Colin Kaepernick et Eric Reid (de gauche à droite), agenouillés durant l'hymne américain, le 2 octobre 2016, à Santa Clara (Californie). (THEARON W. HENDERSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Un demi-siècle avant Colin Kaepernick, lors des JO de Mexico en 1968, deux sprinteurs américains, Tommie Smith et John Carlos, respectivement médaillés d'or et de bronze sur 200 m, baissent la tête et lèvent leur poing ganté de noir vers le ciel, au moment de l'hymne américain, lors de la remise des breloques. Un geste pour dénoncer les inégalités raciales aux Etats-Unis, en plein mouvement des droits civiques. "Les mois précédents, Carlos et Smith avaient participé à une campagne pour le boycott des JO, qui n'avait pas abouti. Ils ont donc décidé d'aller sur place et de manifester autrement", détaille auprès de franceinfo Nicolas Martin-Breteau, historien spécialiste des Etats-Unis. Un poing levé qui a coûté très cher.

"Cela a été terrible, mais c'était nécessaire. Il fallait que je me sacrifie pour essayer de faire changer les choses. Pas pour moi, mais pour mes enfants."

John Carlos, médaillé de bronze sur le 200 m aux JO de 1968

à franceinfo

Plus récemment, dans la lignée du mouvement antiraciste Black Lives Matter, ce geste d'indignation s'est propagé sur les terrains de sport. La mort en mai 2020 de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans asphyxié sous le genou d'un policier blanc à Minneapolis (Minnesota), a amplifié le mouvement. Tout comme l'affaire Jacob Blake, cet Afro-Américain de 29 ans grièvement blessé de sept balles dans le dos, le 23 août 2020 par un policier blanc, à Kenosha (Wisconsin).

Des équipes ont-elles posé le genou au sol pendant l'Euro ?

Oui, quatre équipes l'ont fait depuis le début de la compétition. Dernières en date : la Turquie et le pays de Galles, mercredi 16 juin. Avant, il y a eu la Belgique contre la Russie, et l'Angleterre contre la Croatie. Lors de ces deux rencontres, l'initiative n'a pas été très bien accueillie. La formation des Three Lions, qui affrontait la Croatie à Wembley (Londres) le 13 juin, a essuyé le mécontentement d'une partie de son public. Quelques heures plus plus tôt, la fédération anglaise de football avait pourtant publié un communiqué (lien en anglais) demandant "aux supporters de l'Angleterre de s'unir dans la lutte contre les discriminations".

Ce n'est pas la première fois que les joueurs anglais se font siffler pour ce geste. Début juin, déjà, ils avaient connu ce même type d'accueil lors de leurs deux matchs de préparation à domicile face à l'Autriche (2 juin) et la Roumanie (6 juin). Lors d'une interview accordée à une chaîne britannique, leur propre ministre de l'Intérieur, Priti Patel, a par ailleurs expliqué "ne pas soutenir les gens qui font ces gestes, et qui participent, d'une certaine manière, à cette politique du geste".

Même geste, mêmes huées pour les Belges qui affrontaient la Russie, chez elle, à Saint-Pétersbourg, le 12 juin. Assis en tribune de presse, le journaliste Manuel Jous, envoyé spécial de la RTBF, a encore en tête ces sifflets "bruyants" mais "relativement attendus venant des supporters russes". En face, les quelques supporters de Romelu Lukaku n'ont pas fait le poids en termes de niveau sonore. Pas de quoi le déstabiliser : "Je m'en fous, je ne me bats pas uniquement pour le [Black Lives Matter], mais pour toutes les causes : les femmes, la sexualité… Tout le monde doit être respecté", a ensuite assuré l'attaquant des Diables rouges à la chaîne belge VTM. Le joueur de l'Inter Milan finira même par lever son poing pour accompagner sa génuflexion. 

Qu'en pensent les autres équipes ?

Elles ne sont pas toutes sur la même longueur d'ondes. Certaines refusent de suivre le mouvement, mais n'ont pas renoncé à la cause défendue. "En fait, on ne l'a jamais fait jusqu'ici, s'est défendu le capitaine des Pays-Bas, Georginio Wijnaldum. Seuls les Anglais avaient l'habitude de s'agenouiller. Lors de nos précédents matchs internationaux, nous ne l'avons jamais fait. Mais cela ne nous empêche pas de participer au débat et d'appuyer les initiatives de notre fédération contre le racisme."

La fédération croate, elle, a annoncé qu'elle n'imposerait pas à ses joueurs de mettre un genou à terre, expliquant que le geste de soutien à Black Lives Matter, "dans la culture et la tradition croates, ne symbolise pas la lutte contre le racisme ou la discrimination". Enfin, si les Ecossais n'ont pas plié le genou face à la Slovaquie, c'est que la signification de ce geste s'est "un peu diluée", a estimé le sélectionneur Steve Clarke. 

L'équipe de France a-t-elle déjà fait ce geste ?

Oui, les Bleus se sont déjà agenouillés, notamment lors de leur rencontre amicale de préparation face au pays de Galles, le 2 juin, à Nice. Un geste qu'ils n'ont en revanche pas répété pour le moment lors de l'Euro : contrairement à ce qui était prévu (provoquant la colère dans les rangs de l'extrême droite), l'équipe de France n'a en effet pas mis un genou à terre avant son match contre l'Allemagne, mardi soir. "On part du principe que si on doit le faire, toutes les nations doivent le faire, s'est défendu après coup le capitaine des Bleus, Hugo Lloris, sur RMC. Cela ne veut pas dire qu'on ne soutient pas la cause, on ne veut surtout pas de racisme dans notre sport et dans la société. On voit plus les joueurs britanniques le faire car c'est dans la lancée de leur championnat. Il n'y a pas de débat, on est tous ensemble dans la décision."

Les joueurs français Antoine Griezmann et Corentin Tolisso, genoux à terre pour montrer leur soutien au mouvement antiraciste, contre le pays de Galles, le 2 juin 2021, à Nice. (FRANCK FIFE / AFP)

Le sélectionneur des champions du monde n'a d'ailleurs pas apprécié qu'on puisse critiquer le manque d'audace de son équipe. "La moindre petite chose, quoi qu'on fasse moi ou les joueurs, quoi qu'on dise, ça amène de l'interprétation, a déclaré Didier Deschamps, toujours sur RMC. Il y a toujours de la récupération, dans un sens ou dans l'autre. Forcément, ce n'est pas quelque chose de bien. Il y a un tel climat où ça part dans tous les sens."

A la décharge des Bleus, rappelons aussi que l'avant-match a été mouvementé sur la pelouse de l'Allianz Arena de Munich : quelques instants avant le coup d'envoi, un ULM de Greenpeace, qui souhaitait se poser, a heurté un câble, perturbant le protocole. En conférence de presse, mercredi, Raphaël Varane a expliqué que les Bleus soutenaient toujours la cause mais avaient estimé, entre eux, que le geste était devenu "un symbole de tension et de crispation par rapport au fait qu'une équipe puisse mettre le genou à terre et qu'une autre équipe non". "On n'a pas un élan collectif avec un message clair et fort de façon unanime [entre toutes les équipes] donc le message n'est pas celui qu'on souhaite", a-t-il clarifié.

Que dit l'UEFA ?

L'UEFA ne condamne pas le fait de mettre un genou à terre pour dénoncer le racisme. Au contraire, elle l'encourage. Contactée par nos soins, l'instance explique qu'elle a "une tolérance zéro contre le racisme, par conséquent, tout joueur qui veut exiger l'égalité entre les humains en posant un genou à terre est autorisé à le faire". Elle exhorte aussi les spectateurs à "faire preuve de respect envers les joueurs et les équipes qui font ce geste". Elle déploie elle-même des banderoles "Non au racisme" lors de certains matchs et assume de lutter ouvertement contre les discriminations.

Que faut-il attendre pour la suite ?

Les joueurs anglais ont déjà prévenu : même si une partie de leur public est contre, même si leur ministre de l'Intérieur est contre, ils continueront à poser le genou à terre. C'est ce qu'a affirmé mardi le défenseur Tyrone Mings. "Tout le monde a droit à son opinion. La ministre de l'Intérieur est l'une des très nombreuses personnes qui s'opposent à ce que nous nous agenouillions ou qui refusent de le défendre, a déclaré le joueur d'Aston Villa. Nous avons nos propres convictions sur ce que nous pensons pouvoir faire pour aider en tant que joueurs qui peuvent être influents et défendre ce en quoi nous croyons." Ils sont "plus déterminés que jamais" à mettre un genou au sol avant le début des rencontres, a assuré leur sélectionneur Gareth Southgate. "Ce geste est personnellement important pour les joueurs et les valeurs que l'équipe représente collectivement", a répété la fédération anglaise dans son communiqué publié samedi.

Quant aux Bleus, poseront-ils cette fois le genou face à la Hongrie samedi après-midi ? Difficile de le savoir pour le moment, aucune information n'ayant été donnée. Peut-être quand même un indice chez vous : dans le stade de Budapest où les Français vont jouer, une partie du public a allègrement sifflé les Irlandais qui ont exécuté ce geste, le 8 juin, lors d'un match amical. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a ensuite défendu ces sifflets des spectateurs, en répétant qu'une telle démonstration n'avait "pas sa place sur un terrain de sport" et que la Hongrie "n'avait jamais été concernée par la traite d'esclaves". 

Contactée par franceinfo, la fédération française de football nous assure qu'"aucune consigne" n'est donnée aux joueurs. Comprendre : les Bleus sont libres de le faire ou de ne pas le faire.

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