Euro 2021 : que pensent les arbitres de la VAR, l'assistance vidéo censée leur faciliter la tâche ?
Utilisée dans la plupart des grandes compétitions, l'assistance vidéo n'a pas fait totalement disparaître les polémiques et concentre les critiques d'anciens membres du corps arbitral.
Un joueur qui explose de joie après avoir fait trembler les filets, un drapeau qui se lève pour un potentiel hors-jeu, une joie qui se transforme en déception, un début d'agitation autour de l'arbitre : voilà un ascenseur émotionnel habituel sur les terrains de football. L'équipe de France l'a vécu lors de l'Euro 2021, durant le match nul contre le Portugal (2-2), mercredi 23 juin.
Avant d'accorder le deuxième but de Karim Benzema aux Bleus, l'arbitre a consulté, non pas l'oracle, mais la VAR, l'assistance vidéo à l'arbitrage, au bord du terrain. Quelques secondes pour revoir l'image au ralenti, sous plusieurs angles, et prendre une décision. Alors que les demi-finales de l'Euro débutent mardi 6 juillet, cette technologie a (encore) nourri quelques débats lors de la compétition. Si elle est généralement défendue par les instances et par les arbitres en activité – peu diserts sur le sujet en réalité – elle n'est pas épargnée par les critiques.
Un outil "pas adapté pour le football" ?
Car la VAR, qui ambitionnait initialement d'éradiquer l'erreur humaine des terrains, n'a pas évacué les polémiques. Vidéo ou non, les débats demeurent, alors que celle-ci est utilisée dans quatre cas concrets : sur tous les buts marqués, les situations de penaltys, les distributions de cartons rouges directs et les problèmes d'identification de joueur. "L'outil ne peut être parfait du jour au lendemain, cela demande du travail et de la maîtrise", plaide pour franceinfo Stéphane Lannoy, ancien arbitre international, aujourd'hui responsable de l'assistance vidéo à la FFF. Mais selon lui, le bilan est "positif" et pas aussi sombre que celui dépeint par les détracteurs de la technologie.
Pour défendre l'outil, les arbitres mettent volontiers en avant les chiffres. "Il permet de réduire les erreurs et ça, c'est factuel. Rien qu'en Ligue 1, entre 75% et 80% des erreurs ont été corrigées grâce à l'assistance vidéo. C'est un vrai plus pour la justice sportive", clamait en conférence de presse Clément Turpin, l'arbitre français retenu pour l'Euro, alors que Stéphanie Frappart est présente en tant que quatrième arbitre, une première pour une femme. Selon elle, la VAR est assimilable à une "bouée de sauvetage".
Mais dans les faits, cette bouée n'empêche pas l'arbitre de patauger, voire de boire la tasse durant certains matchs. Lors de la finale de la dernière Coupe du monde, en 2018, l'arbitre a notamment sifflé un penalty sur une main d'un joueur croate, ce qui a permis à Antoine Griezmann de donner l'avantage à la France. Pour les Croates, il n'y a pas main, ce qui fait dire à Michel Platini que l'arbitre de la rencontre est devenu "une sorte de marionnette". "Il y a main ou pas main du Croate ? questionne l'ancien président de l'UEFA dans L'Equipe (article abonnés). A vitesse réelle, et même au ralenti, sûrement pas, mais avec la loupe du super-ralenti, qui décortique sur quinze secondes une action qui a duré un millième, alors là, oui, l’arbitre voit enfin quelque chose et siffle penalty. Toute la Croatie hurle à la main involontaire et toute la France hurle à la main volontaire : où est le progrès, où est la justice ?"
Ce genre de situations litigieuses et sujettes à interprétations se répètent. Finalement, "on n'a fait que déplacer le problème du terrain au replay center", assure l'ancien arbitre international Bruno Derrien, faisant référence au car-régie où se trouvent les deux arbitres assistants vidéo chargés de contrôler les images, et d'alerter l'arbitre principal si besoin. Une faute manifeste "est mieux prise en compte", assure un autre ancien arbitre international, Joël Quiniou. Mais la VAR "ne garantit pas complètement son utilisation judicieuse en particulier sur la nature d’interprétation de la faute, qui relève plus de la perception que peut en faire chaque arbitre", tempère-t-il. "Et il n'y a rien de pire que de mettre de l'interprétation alors que les clubs attendent 100% de réussite de la part de ce système", s'inquiète l'ancien "sifflet" Saïd Ennjimi.
"Le 'zéro déchet' est impossible quand il y a interprétation. Il est possible quand c'est du factuel et que cela peut être tranché."
Stéphane Lannoy, responsable de l'assistance vidéoà franceinfo
"Dans certaines situations, il est difficile d'être 100% d'accord. Faites le test lors d'une soirée entre amis, détaille l'ancien arbitre Tony Chapron. Dans une formation que je donnais, sur un fait observable au ralenti : 'Quelle équipe obtient la touche ?' Sur seize personnes dans la pièce, c'était du 50-50." L'appréciation des hors-jeu est également dans sa ligne de mire : "C'est une arnaque, tacle-t-il. On nous fait croire qu'on juge au millimètre, mais c'est technologiquement impossible avec les outils dont on dispose aujourd'hui."
"On a vendu du rêve aux gens en disant que cela allait régler les problèmes, mais cela dépend du ressenti de chacun. Il n'y a jamais eu autant de polémiques", alerte Tony Chapron, particulièrement critique envers un outil "pas adapté pour le football", selon lui.
Des hommes et des yeux
Pour beaucoup, le recours même à l'outil en cours de rencontre pose question. "L'arbitrage sera mieux accepté quand il sera homogène, analyse Bruno Derrien. Il faudrait une même grille de lecture." Faut-il davantage l'utiliser ou limiter au maximum son utilisation ? Les arbitres semblent avoir le short entre deux chaises. "Soit on fait comme aux Etats-Unis, [en NBA, la ligue professionnelle de basket, ou en NFL, en football américain], on l'utilise tout le temps, soit on limite l'utilisation aux décisions binaires, développe Saïd Ennjimi. Là, cela frustre les spectateurs et les acteurs, mais c'est également humiliant pour l'arbitre, qui ne peut pas décider tout seul."
Sur ce point, la Direction technique de l'arbitrage (DTA) précise qu'il n'a jamais été question d'utiliser la VAR pour "réarbitrer". Les arbitres doivent continuer à prendre leurs décisions et tenter d'y faire appel le moins possible. "Il y a très peu de recours à la VAR quand les arbitres sont très bons, juge Tony Chapron. Lorsque que vous apprenez à piloter un avion, on ne vous montre pas comment se servir du parachute en premier. On vous inculque la meilleure façon de le faire voler et atterrir. Il faut donc mieux former les arbitres."
Une quinzaine de rassemblements par an ont lieu à Clairefontaine dans ce but. Au menu, des visionnages d'anciennes rencontres, des mises en situation. "On les marque à la culotte pour les faire 'performer'", précise Stéphane Lannoy. Car en cas de mauvaises prestations le week-end, la sanction peut tomber. Lorsqu'ils vont voir la vidéo et qu'ils maintiennent une décision erronée, ils écopent d'un double malus. "Les arbitres sont évalués en permanence. Plus ils ont recours à la VAR, plus leur note finale s'en ressentira, car en temps réel ils auraient commis plusieurs erreurs", étaye Stéphane Lannoy. "Notre travail est que les arbitres prennent le maximum de bonnes décisions sur le terrain et qu'ils ne tombent pas dans la facilité du 'réarbitrage' grâce à la vidéo", clôt Pascal Garibian, le patron de la DTA, dans L'Equipe.
Accepter les failles de l'humain
Un outil dont aurait bien aimé disposer Stéphane Lannoy dans certaines circonstances. "Lors de la rencontre Brésil-Côte d'Ivoire du Mondial 2010, Luis Fabiano contrôle le ballon avec le haut du bras au départ d'une action qui se termine par un but. Avec la VAR, le but aurait été refusé", raconte-t-il à franceinfo. Joël Quiniou, autre ancien arbitre international, aurait aimé l'utiliser dans "des circonstances particulières et exceptionnelles : 'Est-ce que le ballon a franchi la ligne ?', 'Lors d'un penalty, la faute a-t-elle été commise à l'intérieur ou à l'extérieur de la surface ?' Et en s'en tenant à la notion de 'faute claire et évidente'", énumère-t-il à franceinfo.
Mais, malgré cela, certains anciens plaident carrément pour la fin de la VAR. A condition d'accepter le droit à l'erreur de chacun. "Le joueur peut se tromper en ratant sa passe ou un penalty. L'arbitre aussi, c'est ce qui fait la beauté de ce sport", estime Saïd Ennjimi. "Le jeu est fait par des hommes qui sont faillibles, c'est presque philosophique. Les erreurs nous construisent. On se grandirait en acceptant que l'arbitre puisse en faire", acquiesce Tony Chapron. Intention louable. On en reparle lors de la prochaine décision en défaveur des Bleus ?
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