Euro 2024 : face à la curiosité des journalistes, comment garder sa composition d'équipe confidentielle ?

Article rédigé par Andréa La Perna, Hortense Leblanc - envoyés spéciaux en Allemagne
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Face aux journalistes qui rivalisent d'ingéniosité pour percer le mystère d'une composition d'équipe, les sélectionneurs multiplient les astuces pour maintenir le secret. (Margaux Moroch / franceinfo: sport)
Presque avant chaque rencontre de l'équipe de France, la composition d'équipe est déjà connue, au grand déplaisir des sélectionneurs qui tentent parfois de berner les journalistes.

"Griezmann devrait débuter contre la Belgique". A trois jours du huitième de finale des Bleus à l'Euro 2024, L'Equipe glissait déjà une première indiscrétion sur la composition d'équipe de Didier Deschamps. Le quotidien sportif n'est pas le seul média à dévoiler le onze de départ des Bleus avant leurs matchs. C'est même un défi pour une partie des envoyés spéciaux lors des grandes compétitions, au point que certains redoublent d'ingéniosité pour "craquer le huis clos", c'est-à-dire trouver une faille pour regarder le dernier entraînement avant le match, généralement fermé au public.

Cela donne l'illusion aux passionnés et aux supporters qu'ils sont au plus près du terrain, tout en offrant de la matière aux débats. Mais, d'un autre côté, l'entraîneur ne peut plus vraiment s'appuyer sur l'effet de surprise. "Un jour, j'ai dit aux journalistes en conférence de presse avec un peu de provoc' : 'Vous divulguez nos informations à l'ennemi. En temps de guerre, vous seriez tous condamnés pour haute trahison", se souvient Raymond Domenech, sélectionneur des Bleus de 2004 à 2010. Ce jeu du chat et de la souris existe depuis une trentaine d'années quand les séances à huis clos ont été introduites.

Elaguer les arbres et bâcher les environs

"Aimé Jacquet n’était pas obsédé par ça, Roger Lemerre l'était un peu plus. Didier Deschamps essaye aussi de faire respecter le huis clos, mais il n’a jamais piqué une crise de colère", raconte Philippe Tournon, le chef de presse des Bleus de 1983 à 2004, puis de 2010 à 2018. L'actuel sélectionneur prend toujours garde de ne pas tomber dans le piège des questions orientées d'interlocuteurs un peu trop curieux. "Tu veux que je te donne la compo ?" est un classique en conférence de presse d'avant-match.

En Allemagne pour l'Euro, entre chaque match, une séance d'entraînement est ouverte en intégralité aux médias, généralement la plus éloignée du prochain rendez-vous sportif. Les titulaires effectuent souvent un travail adapté à part. D'autres sont ouvertes 15 minutes, laissant seulement le temps d'assister à l'échauffement et à un début d'exercice. C'est le cas de la session très convoitée de veille de match.

Une grille du stade de Paderborn bâchée et barrée par une rubalise, le 29 juin 2024, à deux jours de France-Belgique à l'Euro. (ANDREA LA PERNA / FRANCEINFO: SPORT)

Pour France-Pologne, un dispositif de sécurité renforcé de l'UEFA a été déployé autour de la Home Deluxe Arena de Paderborn, où une grille qui laissait entrevoir un bout de terrain a notamment été complètement obstruée. Cela n'a pas empêché L'Equipe de dévoiler qu'Antoine Griezmann serait remplaçant. Huit jours plus tôt, avant le choc contre les Pays-Bas, il était possible d'espionner les Bleus depuis une benne à l'extérieur du terrain d'entraînement à Düsseldorf. Un jeune supporter perché dans un arbre s'était amusé à prendre la séance en vidéo, avant de la partager avec des journalistes. C'est sûrement pour cette raison que, malgré le fait que France-Belgique se joue à Düsseldorf, les Bleus ont décidé de faire leur dernier entraînement à Paderborn.

Plus à cheval que Didier Deschamps sur le respect du huis clos et peut-être parfois piqué par les conflits avec certains journalistes, Raymond Domenech a mis en place plusieurs stratégies pour éviter que son onze de départ soit entièrement connu de son adversaire plus de 24 heures avant le match. "Ce qu'on essaie de faire, déjà, c'est de protéger le terrain. On essayait de fermer le stade. On mettait des bâches. On coupait les arbres parce que les journalistes grimpaient dans les arbres. Sur le terrain, on échangeait les chasubles. Je variais beaucoup les options. En théorie, il en faut au moins trois [pour créer le flou]", se souvient-il. 

"A Clairefontaine, on a dépensé des milliers d’euros en bâches. On avait décidé d’en mettre partout sur la rue qui montait le long du centre technique, mais les journalistes venaient dans une camionnette et amenaient une échelle pour monter dessus [et observer l'entraînement par-dessus les bâches]", retrace Philippe Tournon. Avant la Coupe du monde 2018, lors d'un entraînement fermé au QG des Bleus, alors qu'il conduisait Samuel Umtiti en voiturette en direction de la salle des soins, il se rappelle avoir reçu un texto d'un journaliste lui demandant si la blessure était sérieuse : "Il était perché sur un arbre certainement ou sur une échelle dans la rue".

La fuite peut aussi venir des joueurs

"A l'Euro 2008 en Suisse, il faisait tellement mauvais que le terrain n'était pas bon. Au dernier moment, on est partis s'entraîner sur un autre terrain. On m'a dit de prévenir les journalistes et je n'ai prévenu personne. Ils sont arrivés à la fin de l'entraînement", confie Raymond Domenech, reconnaissant de la "provocation inutile". Pour lui, tout huis clos est forcément "fictif" et le combat est perdu d'avance. "Il y a toujours quelqu'un qui voit des choses, le gardien du stade ou alors quelqu'un qui a été payé dans un immeuble [et qui a la vue sur le terrain]", appuie-t-il, fataliste.

"Le sélectionneur essaie d’avoir un peu de tranquillité, mais force est de constater que le score de ce match est en faveur des journalistes, qui mènent même largement."

Philippe Tournon

à franceinfo: sport

"C'est de plus en plus fermé mais, en même temps, on n'a jamais su autant de choses que depuis six ou sept ans. De toute façon, le repli sur soi ne sert à rien. Cela donne aux entraîneurs l'illusion qu'ils maîtrisent tout. Dans la réalité, ils maîtrisent ce qu'il se passe dans leur vestiaire mais pas ce qui en sort", analyse Vincent Duluc, journaliste football au journal L'Equipe depuis 1995. Même si le secret du huis clos reste bien gardé, cela n'empêche pas la circulation de l'information par d'autres voies.

"Personne ne pouvait imaginer qu'Aurélien Tchouameni allait jouer contre les Pays-Bas avant que L'Equipe et Le Parisien sortent l'information la veille. La fuite ne peut venir que du côté de Tchouameni. Il peut l'avoir dit à sa femme, à son agent et à la fin, les journalistes finissent par avoir l'info", en déduit Raymond Domenech, qui se souvient de joueurs qui appelaient les journalistes directement après l'entraînement pour leur donner la composition d'équipe. Quand on occupe ces postes-là, on devient un peu schizo (sic)". Lui-même avait été accusé d'être la taupe lors du Mondial 2010 quand L'Equipe avait publié sa une avec les insultes de Nicolas Anelka à son encontre.

"En plus de ne pas se tromper, les sélectionneurs ont envie de pouvoir surprendre. Faire le bon choix ça ne leur suffit pas, il faut que ce soit le choix auquel l'adversaire ne s'attend pas. Mais je ne pense pas que ce soit décisif. Sur les quatre dernières phases finales, Didier Deschamps va trois fois en finale, ça n’a donc absolument aucun impact sur les résultats", développe Vincent Duluc, qui suit l'équipe de France de près dans cet Euro. Accorder trop d'importance à la confidentialité de son onze peut même mener l'entraîneur à se tirer une balle dans le pied.

"La veille du France-Danemark décisif à la Coupe du monde 2002, Roger Lemerre a fait exprès de créer une fausse mise en place pour que la presse n'ait pas la bonne équipe. Mais, le problème c'est que ses joueurs non plus n'avaient pas la bonne équipe. Le soir même, un joueur était allé au casino de l'hôtel Sheraton qu'on partageait et il ne savait pas qu'il serait titulaire", déroule Vincent Duluc.

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