Polémique autour de la Hongrie à l'Euro de football : "L'UEFA soutient le point de vue du gouvernement hongrois", tance le géographe Sylvain Kahn
En interdisant à Munich d'illuminer son stade aux couleurs de l'arc-en-ciel symbolisant la communauté LGBT, l'UEFA fait de la politique et "prend parti", accuse l'enseignant, signataire d'une tribune dans "Le Monde".
"Pour l'UEFA, ça n'existe pas de dire 'on ne fait pas de politique' : dans la mesure où elle interdit une initiative, elle prend déjà parti", estime mercredi 23 juin sur franceinfo le géographe Sylvain Kahn, enseignant à Sciences Po et cosignataire de la tribune "Nous n'accepterions pas que la finale de l'Euro soit à Budapest" publiée dans Le Monde [article payant]. La Hongrie est sous le feu des critiques européennes en plein Euro de football : outre des cris de singe en tribunes et une banderole homophobe déployée dans un stade, le gouvernement a récemment voté un texte interdisant "la promotion" de l'homosexualité. L'UEFA, de son côté, est accusée de complaisance après avoir refusé que le stade hébergeant la rencontre Allemagne-Hongrie arbore les couleurs de l'arc-en-ciel.
franceinfo : Avant la polémique concernant l'Euro, l'homophobie était déjà institutionnalisée par le gouvernement hongrois ?
Sylvain Kahn : Le gouvernement hongrois se singularise dans l'UE par des pratiques que certains juristes peuvent qualifier de discriminatoires et stigmatisantes. Très récemment, il y a eu l'interdiction de tous les manuels scolaires d'évoquer ne serait-ce que l'existence de l'homosexualité, ou de toute situation type LGBT, au motif de la protection de l'enfance, ce qui paraît un motif assez farfelu en l'espèce. Le gouvernement de Viktor Orban a gagné les élections trois fois de suite depuis 2010, et se singularise depuis par un manque de tolérance, un manque de respect du pluralisme, une érosion de l'État de droit.
L'UEFA a refusé d'illuminer le stade de Munich aux couleurs de l'arc-en-ciel, couleur des droits LGBT, pour le match Allemagne-Hongrie ce soir, en arguant qu'elle n'avait pas vocation à faire de politique. C'est une victoire pour Orban ?
On peut dire que oui, puisque pour l'UEFA, ça n'existe pas de dire "on ne fait pas de politique" : dans la mesure où elle interdit une initiative, elle prend déjà parti. De plus, l'UEFA soutient le point de vue du gouvernement hongrois en évoquant la possibilité d'organiser la finale de l'Euro à Budapest au lieu de Londres. Or, on a tous vu que dans ce stade hongrois, le gouvernement n'impose ni gestes barrières, ni masques, ni jauge [le stade était plein avec 56 000 personnes lors de France-Hongrie]. Jusqu'à ce que Londres recule hier, la finale devait se dérouler avec des gestes barrières stricts allant jusqu'à une quarantaine. L'UEFA a dit : "Quand même, on a 2 500 spectateurs VIP pour la finale, il est hors de question de leur imposer une quarantaine".
"L'UEFA voulait un passe-droit."
Sylvain Kahn, enseignant à Sciences Poà franceinfo
Du coup, l'Italie a fait quelque chose d'assez marrant : Mario Draghi, de façon assez habile, a dit : "Si pour des raisons sanitaires la finale ne peut pas se jouer à Londres, jouons-la à Rome !". C'est une manière de dire à l'UEFA : "si vous décidez de déplacer la finale" - ce qui à mon avis est un bras d'honneur à ceux qui respectent les gestes barrières, sachant qu'il y a quand même eu plus de 900 000 morts du Covid en Europe donc ce serait bien que l'UEFA ne s'exempte pas de civisme -, "en tout cas ne la jouez pas à Budapest !". Ce serait vraiment apporter sur un plateau d'argent un soutien politique à Orban, au moment où celui-ci est considéré comme se mettant de lui-même en dehors des valeurs de l'UE.
Cette polémique est une illustration des divisions européennes, selon vous ?
En effet, mais en l'occurrence, une dizaine de ministres européens et de gouvernements, dont Clément Beaune en France, ont pris position pour dire : "Quand un gouvernement de l'UE prend une loi qui discrimine les LGBT, il n'est pas en phase avec nos valeurs de tolérance, de pluralisme, d'État de droit et de garantie du droit des minorités". En Europe, tout le monde n'est pas forcément d'accord, mais ce que fait Viktor Orban depuis 2010 consiste à éroder, progressivement, les conditions du débat démocratique.
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