Sarre-Union (Bas-Rhin), Castres (Tarn), Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), Tracy-sur-Mer (Calvados), Wizernes (Pas-de-Calais), Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Seine-Maritime)... En 2015, la liste des profanations de cimetières ne cesse de s'allonger. Mais sont-elles vraiment plus nombreuses que les années précédentes ? Certaines régions de France sont-elles plus touchées que d'autres ? L'antisémitisme est-il le premier mobile ? Ou les profanations de cimetières israélites sont-elles plus médiatisées que celles touchant les cimetières chrétiens ? Ce 10 mai, la France se souviendra de la tristement célèbre profanation du cimetière israélite de Carpentras (Vaucluse), survenue il y a vingt-cinq ans. Un fait divers qui a bouleversé notre société et modifié à jamais notre perception de ces dégradations volontaires plus répandues que l'on ne le croit.
Carpentras, symbole malgré elle de "l'abomination"
Ça a été le déferlement. On ne savait plus ce qui nous tombait sur la tête. Pourquoi cela a pris une telle ampleur ? On ne sait pas.
Alain Freund
Vingt-cinq ans après, Alain Freund ne comprend toujours pas ce qui s'est passé à Carpentras ce 11 mai 1990. Ce septuagénaire enjoué, qui vit depuis près d'un demi-siècle dans la région, se souvient d'un tsunami médiatique et politique. "On était complètement paumés. Notre président [de la communauté israélite de Carpentras] de l'époque était dépassé par les événements. On ne réalisait pas tellement. Alors quand on a vu tout ce monde arriver…"
La veille, dans le cimetière israélite de cette commune du Vaucluse, deux femmes ont découvert des dizaines de stèles brisées. Et un cadavre gisant sur une pierre tombale. Il s'agit de Félix Germon, un octogénaire inhumé quelques semaines plus tôt. Comble de la monstruosité, on a tenté de décapiter son corps avant de le mettre en scène, un parasol planté entre les cuisses dans ce qui ressemble à une simulation d'empalement. Dans la communauté juive de Carpentras, implantée dans la ville depuis au moins le XIIIe siècle, c'est la consternation. Les descendants de ceux que l'on appelait "les Juifs du pape" ne comprennent pas que l'on ait pu s'en prendre à un des plus anciens cimetières israélites de France.
Pendant que des membres de la communauté s'empressent d'enterrer à nouveau le corps de Félix Germon, la nouvelle se répand dans Carpentras, puis dans les médias. Pierre Joxe, le ministre de l'Intérieur de l'époque, se trouve justement en déplacement à Nîmes (Gard). Et il est particulièrement touché lorsqu'il apprend la nouvelle. "Un de ses amis (qui était conseiller municipal à Paris) est enterré là. D'ailleurs, il était venu à son enterrement", se souvient Alain Freund.
Avant même de se rendre sur place, Pierre Joxe s'exprime depuis Nîmes avec des mots très forts : "Nous pensions que des abominations racistes, et tout simplement des abominations qui sont des crimes contre l'humanité, ne pouvaient pas se produire dans notre pays. Hélas, elles viennent de se produire à l'égard de morts, à l'égard de dépouilles mortelles." Pour Joxe, le doute n'est pas permis. Les profanateurs ont agi par antisémitisme. "De tels actes de profanations barbares demandent une condamnation solennelle et indignée qui s'exprimera, j'en suis sûr, à travers la France dans les heures qui viennent."
Il ne croit pas si bien dire. Des dizaines de journalistes sont déjà en route pour Carpentras. Le 14 mai 1990, 200 000 personnes défilent à Paris à l'appel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) avec, en tête du cortège, pour la première fois dans l'histoire de la République, le président, François Mitterrand. Le Front national est montré du doigt.
Mais l'emballement médiatique et politique est inversement proportionnel à l'avancée de l'enquête. Elle durera sept ans. Pendant des années, toutes les pistes sont explorées. On parle de jeux de rôles organisés dans ce cimetière niché sous les arbres, le long de l'aqueduc d'Avignon. De parties fines organisées avec des fils et filles de notables. De légionnaires, très présents dont la région.
Le dénouement intervient le 30 juillet 1996. Yannick Garnier, un ancien skinhead devenu agent de sécurité, se présente à la police et avoue être l'auteur, avec quatre complices, de la profanation de Carpentras. Lors de son procès, six mois plus tard, il raconte être devenu "antisémite par conformité" à la fin des années 1980. Visant à célébrer Hitler, la profanation avait été longuement préméditée et orchestrée par Jean-Claude Gos, un ancien militant du Parti nationaliste français européen (PNFE), un groupuscule nationaliste dont le slogan était "France d'abord, blanche toujours", et Olivier Fimbry, qui effectuait à l'époque son service militaire. Mort en 1993 dans un accident de moto, Gos ne sera jamais jugé. Organisé en commando quasi-militaire, le groupe d'hommes cagoulés raconte s'être infiltré dans le cimetière dans la nuit du 8 au 9 mai 1990 pour s'acharner sur la sépulture de Félix Germon, repérée quelques jours auparavant.
Garnier, qui a manifesté des remords et s'est excusé pendant le procès, est condamné, de même que son complice Bertrand Nouveau, à 20 mois de prison ferme. Le sergent Olivier Fimbry, chez qui les enquêteurs ont découvert un buste d'Hitler et Patrick Laonegro, un autre ancien militant du PNFE, qui confesse admirer "l'aspect social et le travail pour tout le monde" du IIIe Reich, écopent de deux ans.
Si les coupables ont été condamnés et que le calme est depuis longtemps revenu à Carpentras, le nom de la ville évoque toujours cette profanation de 1990. L'épouse d'Alain Freund, Katia, se charge depuis quelques mois de faire visiter la synagogue aux touristes. Elle aimerait beaucoup passer à autre chose : "Notre but, c'est de préserver notre patrimoine, que ce soit la synagogue ou le cimetière. On essaie de vivre tranquillement. On est en très bonne entente avec toutes les communautés et c'était déjà le cas à l'époque. Il n'y a aucun problème majeur donc, on ne parle pas d'oubli parce que, c'est comme la Shoah, c'est comme tout le reste, il ne faut pas oublier. Il faut y penser, il faut en parler calmement sans idée de revanche ou de vengeance, mais il arrive un moment où c'est dur pour nous et pour Carpentras de voir associés, constamment, communauté juive de Carpentras à cimetière et profanation. On préférerait qu'on dise que Carpentras, c'est le soleil, la fraise et le melon !"
Réunis par petits groupes sur la place de la cathédrale Saint-Siffrein pendant la pause déjeuner, les élèves des lycées environnants pourraient bien exaucer son vœu. La plupart confessent être "vite fait au courant de l'histoire". Informés par leurs parents, certains ont conscience que "c'était une affaire qui avait fait beaucoup de bruit et qu'aujourd'hui, on associe Carpentras à ça." Et tous déplorent que le sujet n'ait jamais été abordé à l'école par leurs enseignants.
Une profanation peut en cacher une autre
L'affaire du cimetière israélite de Carpentras marque une rupture. Depuis le 10 mai 1990, les profanations ne sont plus vécues de la même façon par les Français. Leurs médiatisations récurrentes font ressurgir cette statistique effrayante : en France, un cimetière est profané tous les deux jours (216 actes ont été recensés en 2014).
Mais qu'entend-on exactement par profanation ? Si l'on s'en tient à la définition donnée par Le Petit Larousse, profaner un cimetière signifie "violer son caractère sacré".
De son côté, le Code pénal énumère les actes sur lesquels repose la définition de profanation. D'après l'article 225-17, on parle de profanation de cimetières quand il y a "atteinte à l'intégrité d'un cadavre, violation ou profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures ou de monuments édifiés à la mémoire des morts".
En novembre 2011, le rapport parlementaire d'un groupe d'étude sur "la politique de prévention et de lutte contre les profanations dans les lieux du culte et les cimetières" précisait que le terme "profanation" désignait "des saccages, des bris de sépulture, des actes de vandalisme prenant pour cible des accessoires, des plaques funéraires, des inscriptions, des bris d'emblèmes, la destruction de plantation et autres vols".
De fait, comme le souligne ce rapport présenté par l'ancien député UMP Claude Bodin, "les profanations au sens strict apparaissent très peu nombreuses". Les exhumations, comme à Carpentras, restent exceptionnelles.
L'est de la France plus touché que le reste du pays ?
Ce rapport met en lumière une répartition géographique inégale des profanations. Selon les informations analysées par le ministère de l'Intérieur, si la moitié des départements français sont concernés par ces délits, la majeure partie des actes visant des cimetières se concentre dans quatre régions : le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie, la Lorraine et l'Ile-de-France.
Après Herrlisheim, Wolfisheim, Brumath ou Haguenau, la récente profanation du cimetière israélite de Sarre-Union (Bas-Rhin) a remis sous le feu des projecteurs l'est de la France, théâtre régulier de dégradations dans ses cimetières, quelles que soient leurs confessions.
Le cimetière israélite de Cronenbourg, un quartier populaire de l'ouest de Strasbourg, a été plusieurs fois la cible de dégradations volontaires. En avril 2002, une bombe artisanale y a été découverte. Les coupables, sept jeunes (dont six musulmans) issus du même quartier, ont été arrêtés et jugés quelques mois plus tard.
La dernière profanation remonte à 2010. Dans la nuit du 26 au 27 janvier, veille de la journée internationale consacrée à la mémoire des victimes de l'Holocauste et du 65e anniversaire de la libération d'Auschwitz, 18 stèles sont taguées avec une croix gammée de couleur brune et 13 autres sont renversées. L'information est reprise dans tous les médias français et le ministre de l'Intérieur de l'époque, Brice Hortefeux assiste à une cérémonie du souvenir dans le cimetière, le 28 janvier 2010.
La gardienne du cimetière, en poste depuis vingt-huit ans, ne s'en souvient que vaguement. "C'était quelque part par là-bas", gesticule-t-elle sans conviction, indiquant un coin de la nécropole. Ce dont elle se souvient parfaitement, en revanche, c'est qu'elle "n'avait rien vu et rien entendu", tout comme les marbriers qui étaient à l'œuvre au moment des profanations. "Je fais attention, mais je ne peux pas tout voir. Cela s'est passé en journée. C'est une dame qui était là en pèlerinage qui est venue me prévenir. Ça vous fait drôlement bizarre quand vous êtes en train de faire la popote et qu'on vient vous dire qu'il y a des tags sur les tombes", explique-t-elle. Depuis ces incidents, des caméras de surveillance ont été installées. Sûrement plus dissuasives que Luna, la chienne mi-caniche, mi-bichon de la gardienne. Et le calme est revenu dans ce cimetière de 6 500 tombes, entouré d'immeubles récents aux couleurs chaudes, qui ne reçoit que de très rares visiteurs, généralement entre les fêtes juives de Roch Hachana et Kippour. Un soulagement pour la gardienne, qui déplore avoir à se déplacer au commissariat. "Je touche du bois pour que ça n'arrive plus. J'en ai marre d'aller faire ma déposition", ajoute-t-elle.
La présence des juifs en Alsace remonte aux alentours de l'an 1000. Selon l'historien Thierry Legrand, interrogé par France24, "si les profanations de cimetières juifs sont aussi nombreuses en Alsace, ce n'est pas parce qu'il y aurait plus de groupes néonazis qu'ailleurs, bien au contraire, il y a un dialogue interreligieux qui fonctionne très bien dans la région. C'est tout simplement parce que l'Alsace a été, durant de nombreux siècles, une terre d'accueil pour la communauté juive et qu'il y a de nombreux cimetières juifs." En 1808, l'Alsace et la Lorraine représentaient encore 79% des juifs de France et ces deux régions abritent près de 150 cimetières juifs.
Jusqu'au XVIIe siècle, en Alsace, les juifs, bien que tolérés, ne pouvaient pas résider dans les villes. C'est pour cette raison que l'on trouve aujourd'hui de nombreux cimetières disséminés en pleine campagne. C'est le cas du cimetière israélite d'Herrlisheim-près-Colmar (Haut-Rhin). Minuscule carré de 400 tombes coincé entre deux vignobles sur la route des vins d'Alsace, ce cimetière a été profané quatre fois depuis 1992.
La dernière date de 2004. Au matin du 30 avril (date anniversaire du suicide d'Adolf Hitler), des inscriptions pronazies et antisémites ont été découvertes sur 117 stèles. Des tags "SS" ou "Juden raus" ("Les juifs dehors") et des croix gammées et celtiques ont été inscrites en rouge sur les stèles. Trois ans plus tard, trois individus adeptes de l'idéologie nazie ont été condamnés à des peines de prison ferme.
Hormis quelques bénévoles de l'association des Bienfaiteurs du cimetière israélite de Hattstatt-Herrlisheim, qui se chargent de son entretien, ce cimetière reçoit peu de visiteurs. En témoigne le registre tenu à la mairie d'Herrlisheim. Ici, on vous remet volontiers la clé du portail en échange de votre identité. En moyenne, l'hôtel de ville recense deux à trois passages par an. Et l'employée de mairie est formelle : "Ce cimetière a toujours été fermé. Je suis là depuis 1977 et je l'ai toujours connu comme ça." Ce qui n'a jamais empêché les profanations. Il n'est pas si difficile d'escalader le mur qui entoure le cimetière, haut d'à peine plus d'1,80 m. On imagine sans peine que d'autres visiteurs moins scrupuleux ne prennent pas la peine de chercher la clé.
Qui sont les profanateurs ?
Si quelques profanateurs revendiquent une affinité avec le néonazisme, ils représentent toutefois une minorité. Selon les données répertoriées par le Système de traitement des infractions constatées (Stic), analysées dans le rapport parlementaire déjà mentionné, on estime qu'en 2010, 17% des profanations de cimetières (tous cultes confondus) étaient d'inspiration néonazie.
Comme l'indique la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans un rapport paru en 2006, les auteurs de profanation sont "pour la plupart des jeunes en déshérence et en rupture avec le milieu scolaire ou professionnel". Les profanations sont souvent le fait d'égarements individuels plus que l'expression d'une idéologie précise. En 2010, pour 214 faits de profanations, seules 53 personnes ont été interpellées. Parmi elles, on comptait 37 mineurs, soit près de 70% du total. "Lorsque des adultes sont en cause, les actes sont généralement plus graves, mais il s'agit bien souvent de personnes souffrant de troubles psychiatriques sérieux."
En 2011, le rapport parlementaire relevait également que "les passages à l'acte se produisent souvent en groupe, du fait d'une consommation excessive d'alcool, facteur de désinhibition". De fait, les profanations ont souvent lieu "à des périodes plus propices à des rassemblements collectifs, à savoir les week-ends, au début des beaux jours et à la fin de l'été".
Les cimetières militaires, cible des attaques islamophobes
La France métropolitaine ne compte que deux cimetières publics musulmans : celui de Strasbourg (Bas-Rhin), ouvert en 2012, et celui de Bobigny (Seine-Saint-Denis), inauguré en 1937. Il existe par ailleurs environ 70 carrés musulmans, inclus dans les cimetières communaux – dont le plus important est celui de Thiais (Val-de-Marne) – et dans quelques cimetières militaires français.
Depuis 2003, plusieurs de ces carrés musulmans ont fait l'objet de profanations. C'est le cas de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais). Plus grande nécropole militaire française, elle abrite les dépouilles d'environ 45 000 combattants morts sur les champs de bataille entre octobre 1914 et septembre 1915. Le carré musulman compte 576 tombes. Il a été profané à trois reprises, entre 2007 et 2008. La dernière profanation, la plus importante, reste non élucidée. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2008, la quasi-totalité des tombes musulmanes ont été marquées par des inscriptions néonazies.
Depuis, le cimetière est équipé de caméras de surveillance. "C'est toujours la nuit que ça se passe, explique un garde d'honneur de la nécropole. En ce temps-là, il n'y avait pas de caméras. Mais maintenant, en cinq minutes, la gendarmerie est là, c'est vraiment dissuasif." Effectivement, aucun incident n'est à déplorer depuis 2008. Ce n'est pas le cas d'autres carrés musulmans. En octobre 2009, huit tombes de soldats marocains ont été profanées et recouvertes d'inscriptions néonazies au cimetière de Montjoie-Saint-Martin (Manche). Le 6 mai 2010, sept stèles de soldats musulmans morts lors de la première guerre mondiale ont été profanées dans le carré militaire du cimetière de Tarascon (Bouches-du-Rhône).
Propriété du ministère de la Défense, la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette fait la fierté des gardes d'honneur, ces bénévoles qui en assurent la garde et accueillent les visiteurs. Parmi ces derniers, beaucoup d'enfants et d'adolescents en voyage scolaire.
Devant le carré musulman situé au bout de la nécropole, des élèves de 3e du collège de Desvres (Pas-de-Calais) découvrent ces tombes à l'allure particulière. "On a demandé au garde pourquoi une tombe n'était pas de la même forme que les autres. Il nous a expliqué que les musulmans, c'était ici, et que le cimetière avait été profané."
Une institutrice explique, devant une classe de CM2, les attaques subies par ce carré : "Une profanation, c'est quand on va marquer des bêtises ou faire des choses dégradantes sur les tombes. On sait qui a fait ça maintenant, donc ne vous inquiétez pas."
Plus loin, une professeur d'histoire avoue ne pas aborder le sujet lors de cette visite historique où l'on s'en tient au programme. Une décision que déplorent les élèves, toutes classes confondues, qui souhaiteraient que l'école leur parle de ces faits de société.
Des profanations toujours plus nombreuses ?
Depuis 2008, le ministère de l'Intérieur recense les atteintes aux édifices religieux et aux sépultures perpétrées à l'encontre des religions chrétienne (catholique et protestante), israélite et musulmane. Dans son rapport daté de 2011, le groupe d'étude parlementaire signalait qu'avant ce recensement systématique, on estimait qu'il y avait en France une atteinte aux sépultures tous les deux jours, ce qui est sensiblement toujours le cas.
Depuis 2008, on observe toutefois une forte recrudescence des faits de profanation (+43% entre 2008 et 2014), dont la grosse majorité concerne les cimetières chrétiens.
Il faut toutefois nuancer ces chiffres en les rapportant aux nombres de cimetières recensés, environ 40 000 sur tout le territoire.
Interrogé par Le Nouvel Obs, Maxime Cumulen, directeur de l'Observatoire du patrimoine religieux, constate que notre société est plus sensible à ces questions qu'auparavant : "Les dégradations sont plus spectaculaires, c'est certain. Mais il faut différencier l'acte lui-même de la perception qu'il provoque. Il y a quelques années, quand une église était taguée, ça ne provoquait pas autant de réactions et d'émotions qu'aujourd'hui. Les gens vivent moins bien les profanations."
Les sépultures chrétiennes, proies des satanistes ?
A Elne (Pyrénées-Orientales), on ne comprend toujours pas, sept ans plus tard, ce qui s'est passé dans la tête du jeune homme qui s'est acharné sur 248 tombes du cimetière dit "neuf" situé dans la zone industrielle de cette commune de 8 000 habitants.
Le 1er juin 2008, un visiteur découvre, au centre de la nécropole, outre des croix renversées et des pots de fleurs brisés, des tags sur les stèles représentant des croix inversées, le nombre 666 ou encore "Satan".
A peine vingt-quatre heures après la découverte des faits, un jeune de 21 ans appelle la gendarmerie pour se dénoncer. Il avoue avoir agi seul, par besoin de reconnaissance. C'est ce même désir qui l'a poussé à se dénoncer. S'il déclare être attiré par le satanisme, la perquisition effectuée chez sa tante, où il vit, ne permettra pas de confirmer ces dires.
A la mairie, un employé se souvient : "On le voyait tous les matins. C'était un jeune qui travaillait au Centre d'aide par le travail (CAT). Jamais on aurait imaginé qu'il allait péter les plombs comme ça."
Dans son rapport, le groupe d'étude sur "la politique de prévention et de lutte contre les profanations dans les lieux du culte et les cimetières" précisait que "les profanations motivées par une doctrine ou l'adhésion à une croyance telles que le satanisme ou celle d'une secte demeurent extrêmement rares". En 2010, seules 3% des profanations étaient considérées comme étant à caractère sataniste.
Sous l'impulsion de l'ancien député UMP Claude Bodin, ce rapport parlementaire présenté en 2011 faisait état de 12 propositions visant, d'une part, à recenser de manière plus précise les profanations et, d'autre part, à "favoriser la prévention de ces actes et la conduite d'actions de sensibilisation".
Qu'en est-il en 2015 ? "Je crains que pas grand-chose n'ait été pris en compte, nous avoue Claude Bodin. Je ne suis plus parlementaire et personne n'a pris le relais au Parlement. Au niveau national, je suis sûr que rien n'a été repris. Au niveau local, je ne sais pas. Certaines préconisations, comme le renforcement de la surveillance des cimetières, pouvaient être prises en compte localement, mais je n'ai aucun éclairage."
Selon lui, dans un contexte actuel de surmédiatisation de tels évènements, "il est paradoxal et étonnant que personne ne se soit saisi du dossier. C'est vraiment du travail de parlementaire qui nécessite un travail de fond, mais en dehors des périodes de crise." Et d'ajouter, malicieux : "J'ai beaucoup d'espoir pour 2017."
A Carpentras, on garde simplement l'espoir que la tranquilité retrouvée ne sera plus troublée. Aujourd'hui, comme en 1990, le cimetière israélite, privé, est toujours interdit aux visiteurs. Seules les familles des personnes qui y sont inhumées possèdent la clé du portail. Quelques visites sont organisées chaque année (cinq sont prévues en 2015), commentées par Alain Freund. Comme à chaque fois qu'il pénètre dans le cimetière depuis vingt-cinq ans, il aura une légère appréhension en se promenant dans ses allées ombragées. Comme à chaque fois, il consentira, à regret, à montrer aux plus curieux la tombe de Félix Germon.