A Auch, les fidèles orphelins après l'incendie criminel de leur mosquée
Quatre jours après le drame, les fidèles, toujours sous le choc, tentent de trouver une nouvelle salle de prière. Reportage.
Rue Jeanne d'Albret, à Auch (Gers), Aslanbek pousse les grilles du portail vert. D'un pas lent, il emprunte le chemin goudronné qui mène à la mosquée Salam – "paix", en arabe – et s'arrête devant les murs noircis par les flammes. "C'est pas possible. Je ne trouve pas les mots", lâche-t-il. Les yeux bleus perçants et le regard triste, Aslanbek tient contre lui ses quatre enfants, tous fidèles de la mosquée depuis leur arrivée dans la cité gersoise. C'était en 2002. D'origine tchétchène, la famille venait tous les vendredis et dimanches à la mosquée pour la prière et les cours d'arabe. "Ça fait vraiment bizarre. J'aimais bien venir apprendre les sourates. La mosquée, c'est un peu ma deuxième maison", se désole Adam, 14 ans, l'aîné de la fraterie.
Pour cette famille comme pour toute la communauté musulmane auscitaine, l'incendie criminel de la mosquée, survenu dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 août, est un véritable désastre. Mohamed, 50 ans, est venu constater les dégâts. D'un air grave, il fait le tour de l'édifice en silence. "Ce qui se passe est très triste. On ne sait plus où aller maintenant. On est obligé de prier chez soi, chacun de son côté", regrette-t-il.
Depuis dimanche, Mohamed Jilali, le trésorier de l'association cultuelle qui gère la mosquée, ouvre le portail aux fidèles, mais peine encore à réaliser ce qui se passe. "C'est pire que choquant", confie-t-il, le regard masqué derrière ses lunettes de soleil.
On n'a pas voulu détruire un lieu de culte, mais les musulmans et tous les Occitans en général.
Déclenché vers 3h30 du matin, l'incendie a duré près d'une heure. 70% de l'édifice est détruit, alors que des travaux d'agrandissement étaient en cours. "On a perdu 850 m² de surface", détaille Mohamed Jilali.
Odeur d'essence, murs brûlés et toit effondré
A l'intérieur, des morceaux de parpaing, de tôle et de laine de verre jonchent le sol. Le toit s'est effondré sur la salle de pière. Des fils électriques s'étalent sur les tapis de prière, couverts de cendres. A travers le trou béant causé par l'effondrement du toit, on aperçoit le minaret, miraculeusement resté intact. "Les traces roses, c'est les marques de l'hydrocarbure qui a servi à démarrer l'incendie", indique le trésorier, en montrant un morceau de laine de verre. "Dimanche, ça sentait vraiment l'essence. Ceux qui ont fait ça étaient bien organisés." Quatre jours après le sinistre, l'enquête se poursuit. Aucune information sur le ou les auteurs du crime n'a pour l'heure été communiquée.
Fouzi El Moussoui, 32 ans, se trouvait chez sa mère samedi, dans l'immeuble juste en face de la mosquée. C'est lui qui a alerté les pompiers dans la nuit : "Je suis sorti sur le balcon fumer une cigarette. Une demi-heure après que je sois rentré, j'ai entendu des crépitements, une odeur de fumée. J'ai d'abord cru que c'était l'immeuble, et puis j'ai vu de la fumée sortir du toit de la mosquée."
En arrivant sur le site, les enquêteurs ont aussitôt relevé des traces d'essence, et constaté d'un bout de grillage, qui servait de clôture à l'arrière du bâtiment, avait été arraché. "Il s'agit d'un acte volontaire, réfléchi", a annoncé le procureur de la République d'Auch, Pierre Aurignac. "Est-ce lié à des tensions internes, externes, à un acte crapuleux ? Les hypothèses peuvent être nombreuses." Le 15 janvier 2015, déjà, des lardons avaient été jetés sur les murs de la mosquée. Le ou les auteurs de cette provocation n'avaient pas été retrouvés. Le procureur avait alors qualifié l'incident de "blague potache".
La piste de l'extrême droite évoquée
A écouter les habitants du Garros, quartier de la basse-ville de 3 000 habitants construit dans les années 1960, les différentes communautés cohabitent en paix. "On n'a jamais eu de problèmes. Il y a beaucoup de communautés musulmanes qui viennent du Kosovo, de Tchétchénie, ou d'Albanie, mais elles s'entendent bien. Tout le monde se retrouve à la mosquée", assure Mohamed, assis sur un banc. "C'est sûr que c'est un quartier défavorisé, mais c'est très calme", acquiesce une jeune femme devant l'entrée d'un immeuble. En janvier, trois voitures ont malgré tout brûlé dans les rues, et quelques faits divers ont été répertoriés depuis. "Il y a pas mal de trafics de drogues, et des bagarres en bas de chez moi, raconte Raymonde, 70 ans. Moi ça me fatigue beaucoup."
D'autres évoquent la piste de l'extrême droite. "Il est prématuré de parler de groupuscules extrêmistes, il faut attendre les résultats de l'enquête", commente Christophe Zoia, journaliste à Auch pour La Dépêche du Midi, interrogé par francetv info. "Ces groupes sont moins notoires à Auch qu'à Toulouse. Mais en même temps, qui d'autres ?" En 2008, la mosquée de Colomiers (Haute-Garonne) avait été taguée et incendiée par le "Languedoc War", un groupe de jeunes néonazis qui fêtaient l'anniversaire d'Adolf Hitler. "On y pense, c'est sûr, mais ça ne reste qu'une supposition", note le journaliste.
Une plainte contre X a été déposée
En attendant, la principale préoccupation des fidèles reste de trouver une nouvelle salle de prière. "Le vendredi, 200 à 300 fidèles venaient à la mosquée, se souvient Ahmed Mouhouche, l'ancien président de la mosquée. C'est un bijou, un travail de longue haleine et collectif qui a disparu." Financée grâce à des dons (à hauteur de 180 000 euros), le lieu avait été inauguré en 2007, et sa main d'oeuvre avait été faite uniquement par les habitants.
Les responsables de la mosquée ont porté plainte contre X, et sont aujourd'hui en contact avec la mairie d'Auch pour trouver une nouvelle salle. Personne ne sait combien de temps prendront les réparations, ni le coût qu'elles représenteront. "On subit, on résite, mais on tiendra", assure Ahmed Mouhouche.
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