Procès des viols de Mazan : "La justice ne prend jamais ses ordres auprès de la vindicte populaire", répondent des avocates face à la polémique sur le verdict


En tout, ils ont été condamnés à plus de 420 ans de prison. Les peines prononcées par la cour criminelle du Vaucluse au procès des viols de Mazan à l'encontre de plusieurs accusés, a suscité des remous devant le tribunal où sont amassées de nombreuses personnes pour soutenir Gisèle Pelicot, a constaté la reporter de Radio France sur place. "Honte ! Justice !", a crié la foule. Aucun des 51 coaccusés, des hommes de 27 à 74 ans, n'a été acquitté. La cour a prononcé des peines de trois ans, dont deux avec sursis, à 20 années de réclusion.
Dominique Pelicot a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle, dont deux tiers de sûreté. Mais les autres peines sont globalement inférieures aux réquisitions. Sur les 51 condamnés au procès des viols de Mazan, 41 vont immédiatement en détention, selon un décompte de franceinfo.
Sur ces 41 hommes, 18 ont comparu devant la cour criminelle du Vaucluse alors qu'ils étaient en détention provisoire (dont Dominique Pelicot), les 23 autres font l'objet d'un mandat de dépôt immédiat. Pour le reste des condamnés, trois font l'objet d'un mandat de dépôt différé et les six derniers restent libres.
"La vengeance ne répare pas le monde"
Mais, en écho aux enfants de Gisèle Pelicot, "déçus de ces peines basses" selon un membre de la famille, des organisations féministes se disent "déçues" voire "indignées" par certaines peines prononcées. La Fondation des femmes exprime "incompréhension" et "déception face à certaines des peines, malgré les témoins et les preuves, des peines en-dessous des réquisitions pour les faits de viols aggravés".
"La justice ne prend jamais ses ordres auprès de la vindicte populaire", rappelle ce jeudi sur franceinfo Michelle Dayan, avocate spécialiste en droit de la famille et présidente de l’association Lawyers for Women. L'avocate n'apprécie pas ces réactions : "Je suis féministe, je lutte tous les jours contre les violences faites aux femmes. Elle dépose leur souffrance, leur viol, ces crimes dans mon cabinet. Mais je reste avocate et je reste humaine et éthique", a-t-elle expliqué sur franceinfo.
"La prison n'a jamais éduqué personne, n'a jamais réparé personne. "
Michelle Dayanà franceinfo
"La vengeance ne répare pas le monde et ne fait pas avancer la cause des femmes. Huer des victimes ou des accusés, c'est pour moi, en tant qu'humaine et en tant qu'avocate, quelque chose qui n'est pas bon signe pour la société", a-t-elle conclu.
Ne pas "déshumaniser" la justice
"Les peines prononcées n'ont rien de surprenant. Elles sont conformes à ce que l'on observe habituellement partout ailleurs devant les cours criminelles départementales", a expliqué pour sa part Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes, spécialisée en droit des femmes et de la famille. "En fonction des profils et des antécédents, ça tourne entre six et dix ans de détention", a-t-elle précisé. "La cour a eu vraiment un souci d'appliquer l'individualisation des peines, autrement dit de ne pas faire des peines pour l'exemple", a-t-elle remarqué.
Pour Anne Bouillon, il est "heureux" que la "cour individualise" les peines et qu'"elle ne fasse pas un package où tout le monde serait sanctionné à la faveur de l'émotion légitime que ce procès a constituée", a-t-elle exprimé.
"On juge bien dans la nuance" parce qu'"on essaye d'appréhender la personne dans sa complexité et sa globalité. C'est ça aussi une bonne justice", dit-elle. "Si finalement la justice est réduite à distribuer des peines comme ça en mode distributeur automatique, (...) alors on déshumanise la justice", a-t-elle assuré.
Quelques minutes après l'énoncé du verdict, Gisèle Pelicot a tenu à prendre la parole devant la presse. La victime, âgée de 72 ans, a confié sa "profonde émotion", évoquant un "procès (qui) a été une épreuve très difficile". Gisèle Pelicot a dit penser à ses proches mais aussi "à toutes les autres familles touchées par ce drame", "aux victimes non reconnues, dont les histoires demeurent souvent dans l'ombre. Je veux que vous sachiez que nous partageons le même combat". Enfin, interrogée par la presse sur le verdict, Gisèle Pelicot a simplement ajouté: "Je respecte la cour et la décision du verdict."
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