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DOCUMENT FRANCEINFO. "Les gars, ça va donner l'assaut" : la prise d'otages de l'Hyper Cacher enregistrée par la BRI

franceinfo, Stéphane Pair le mardi 1 septembre 2020

Les forces de police aux abords de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, le 9 janvier 2015. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Il est un peu plus de 17 heures le 9 janvier 2015 devant l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris. "Les gars, ça va donner l’assaut", lance une voix dans un talkie-walkie. "Visières, les gars, visières". D’ici quelques minutes, le terroriste Amedy Coulibaly sera tué par la BRI (Brigade de recherche et d'intervention) et le Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) après être entré dans le supermarché quatre heures plus tôt. Les forces de l’ordre libéreront 27 otages et déploreront quatre morts.

"Ca va péter les gars", dit un homme à ses collègues de la BRI, dans un document sonore inédit que franceinfo s'est procuré. Quelques secondes plus tard, on entend l’explosion d’une grenade assourdissante puis des tirs nourris. "Il en a pris 24", lance un policier. "Ouais, il est mort", renchérit un autre. "Il y a un collègue blessé !", hurle l’un des membres de la BRI qui réclame des secoursAu même moment, les otages sortent du magasin en criant face aux policiers lourdement équipés. "Derrière le camion, allez ! Allez !" La tension finit par retomber.

"Jusqu'au moment où Coulibaly a été neutralisé, on avait la préoccupation que ça saute", confie à franceinfo Christophe Molmy, patron de la BRI, présent ce jour-là, alors que s'ouvre mercredi 2 septembre 2020 le procès des attentats de janvier 2015. Armé de Kalachnikov, le terroriste avait aussi suffisamment d’explosifs avec lui "pour raser la supérette et ce qu’il y avait autour sur 30 ou 40 mètres", raconte Christophe Molmy. Amedy Coulibaly a d’ailleurs tiré sur le sac d’explosifs au moment de l’assaut, en vain.

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L'enregistrement que franceinfo révèle aujourd'hui témoigne de l'extrême tension qui a accompagné la prise d'otages de l'Hyper Cacher, y compris pour des policiers aussi aguerris que ceux de la BRI et du Raid. Des heures très longues qui marquent aussi la fin de trois jours d’attentats en France.

"Et là, on a supposé que c’était Coulibaly"

Des membres de la BRI, le 9 janvier 2015 près de l'Hyper Cacher.  (THOMAS SAMSON / AFP)

Au moment où Amedy Coulibaly entre dans l’Hyper Cacher, les frères Kouachi sont cachés dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne. Deux jours plus tôt, la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée. La veille, une policière a été tuée à Montrouge et un joggeur blessé dans un parc de Fontenay-aux-Roses. "Entre le matin de Charlie Hebdo et la résolution de la crise, on a très peu dormi", raconte Christophe Molmy, patron de la BRI. Entre les perquisitions à mener et la traque des terroristes, la fatigue se fait sentir. "On est rentrés chez nous seulement pour se changer et prendre une douche et on était quasiment en permanence à la disposition des enquêteurs. Ça a été un engagement total sur plusieurs jours", raconte-t-il. D’autant que dès le mercredi 7 janvier, le patron de la BRI se rend dans les locaux de Charlie Hebdo et sait qu'il y a "assez peu de chances d'aboutir à une négociation et une reddition et que probablement, ça se terminera dans un échange assez violent", avec les terroristes.

Le vendredi matin, aux alentours de 9h30, lorsque les frères Kouachi sont repérés, la BRI déploie une équipe autour de l’imprimerie où ils se trouvent, à Dammartin-en-Goële. "Très vite sur place, j'ai compris qu'on ne servirait pas à grand-chose parce qu'il y avait déjà tout le GIGN, et le Raid était là aussi", raconte Christophe Molmy. Le chef de la BRI demande l’autorisation au préfet de police de pouvoir quitter les lieux pour retourner à Paris. "Une initiative heureuse", dit-il aujourd'hui. A ce moment-là, il ne sait pas encore qu’il sera engagé dans quelques heures avec ses hommes dans une prise d’otages dans la capitale. 

De retour à Paris, Christophe Molmy entend sur les ondes de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) qu’un braquage aurait lieu porte de Vincennes. "On a écouté ça d'une oreille distraite mais dès qu’il s’est agi de discuter de Kalachnikov, on a quand même été beaucoup plus intéressés", se souvient-il. "Et puis, ils ont parlé d'un black et ont précisé qu'il s'agissait d'un magasin cacher. Et là, on a supposé que c’était Coulibaly, qu'on cherchait par ailleurs."

La BRI décide alors de se rendre sur place mais se retrouve bloquée sur le périphérique. Les policiers laissent sur place les véhicules et un chauffeur et finissent à pied. "On était à quelques centaines de mètres, pas beaucoup plus. On a pris rapidement la décision de s'équiper et de prendre tout le matériel possible." Christophe Molmy reconnaît que cette situation était "atypique", mais il retient surtout le silence pesant lorsqu’il arrive avec ses hommes devant le supermarché. "Il n'y avait pas un bruit. Tout était figé et on a compris tout de suite qu’il se passait quelque chose de très grave."

Une négociation impossible

Les forces de l'ordre ont pris position sur le périphérique, l'Hyper Cacher est juste à côté, le 9 janvier 2015.  (ERIC FEFERBERG / AFP)

A l’intérieur de l’Hyper Cacher, Amedy Coulibaly tente de réunir tous les otages. Il leur dit qu’il est en lien avec les frères Kouachi qui ont tué deux jours plus tôt une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo. Le terroriste a déjà abattu quatre personnes dans le magasin et menace de faire encore plus de victimes. "La marge de négociation est quand même assez étroite", reconnaît Christophe Molmy.

Il y a une femme enceinte et un enfant qui sont à l’intérieur. Les négociateurs essayent de se servir de ça pour au moins les laisser sortir eux. Il va aller très vite en disant 'non, c'est des juifs, je les garde avec moi.' C'est assez glaçant et on comprend qu'on n'aura pas beaucoup de marge.

Christophe Molmy

Rapidement, le patron de la BRI sent que l’issue sera violente. "On explique aux autorités politiques que de toute manière, il y a de fortes chances pour qu'on soient amenés à lancer une intervention à force ouverte, parce qu'on ne pourra vraisemblablement pas obtenir la libération d'une partie des otages, et en aucun cas de la totalité des otages."

Alors que les équipes de la BRI et du Raid installent leur poste de commandement autour du supermarché, Christophe Molmy arrive à obtenir des informations sur ce qui se passe à l’intérieur de l’Hyper Cacher, grâce aux otages qui communiquent avec leurs téléphones portables. "L'image d'Epinal, c'est un otage qui est contraint les mains sur la tête et qui ne peut pas bouger. En réalité, ce n'est pas ce qui s'est passé dans l'Hyper Cacher, raconte-t-il à franceinfo. Il leur laissait la liberté de bouger, de manger, de boire, de téléphoner et donc on a eu pas mal de retours comme ça."

Cette situation inédite a donné un avantage aux policiers qui ont pu entrer en contact avec les otages. "Un collègue vient me voir et me dit ‘voilà, il y a un monsieur qui veut vous voir'se souvient Christophe Molmy. Il était de l'autre côté de la rue et je ne le connaissais pas. A ce moment, on est surchargés de travail et je lui réponds : 'Je n'ai pas le temps', et mon collègue me dit 'c'est le mari d'une des otages'". Christophe Molmy prend alors quelques secondes pour aller voir l’homme qui lui tend aussitôt son téléphone portable en lui disant : "'Tenez, je vous passe ma femme'. Je lui dis 'votre femme ? Mais pour quoi faire ?' Et il me dit qu’elle est dedans". Un temps sidéré, le patron de la BRI obtient alors des informations précieuses. L’otage lui dépeint la situation : les morts, le calme du terroriste prêt à mourir. Elle ajoute un détail crucial : "Elle nous dit qu'il possède des explosifs. Et ça, c'est très important dans la prise de décision."

L'otage nous dit que Coulibaly a un sac d'explosifs avec des bâtons de dynamite, qu'elle décrit en disant que ça lui rappelle un peu les dessins animés, les cartoons. Elle en dénombre une vingtaine environ et pour les artificiers, ça suffisait à raser la supérette et ce qu’il y avait tout autour sur 30 ou 40 mètres. 

Christophe Molmy

Le Raid et la BRI décident de préparer l’assaut. Ils se coordonnent avec les forces de l'ordre présentes à Dammartin-en-Goële pour attaquer plus tard l'imprimerie. A ce moment-là, les frères Kouachi ne savent pas qu'un employé est caché dans les locaux, l'imprimerie paraît donc moins prioritaire que l'Hyper Cacher pour les forces de l'ordre. Mais le plan ne s’est pas déroulé comme prévu.

Quand les frères Kouachi sortent de l'imprimerie, c'est le signal : l’assaut est lancé

Les forces de l'ordre au moment de l'assaut de l'Hyper Cacher, le 9 janvier 2020.  (GABRIELLE CHATELAIN / AFPTV)

Amedy Coulibaly menace de tuer les otages de l'Hyper Cacher si ses complices sont attaqués dans l’imprimerie. Les hommes de la BRI et du Raid marchent sur des œufs pour ne pas aggraver la situation. Mais en fin d’après-midi, les deux tueurs de Charlie Hebdo décident de sortir et d’affronter le GIGN. "Tout s'est inversé alors qu'on était encore en train de procéder les derniers réglages, explique Christophe Molmy. On nous a avertis que les Kouachi étaient sortis. Sur le moment, on n'a pas eu de détails et ça nous intéressait pas trop. Mais on a compris qu'il fallait se hâter. D'un coup, tout le monde s'est pressé."

Les forces de l’ordre font sauter la porte arrière de l’Hyper Cacher "comme c’était prévu". Sauf que les policiers pensent trouver derrière une palette vide et des cartons comme l’avaient indiqué les otages. "En réalité, c'était une palette pleine, explique Christophe Molmy. Ça n'a pas empêché les opérateurs de rentrer, mais en revanche, au lieu de rentrer très rapidement par cette brèche, ils ont dû contourner la palette. Ils ont été très vite pris sous le feu de Coulibaly, ça a ralenti la colonne de la BRI." De l’autre côté de la boutique, les forces de l’ordre lèvent le rideau métallique et ouvrent un deuxième front. Le terroriste mitraille en direction des policiers avant de s’effondrer.

<em>Ce qu'on avai</em><em>t surtout à l’esprit à ce moment-là, c'était les explosifs. C’était notre grosse crainte. C’était très binaire comme opération : soit ça sautait et dans ce cas nous avions&nbsp;toutes les chances de laisser tout le monde par terre, ou soit&nbsp;nous arrivions à avoir le dessus. Ce risque létal majeur préoccupait beaucoup.&nbsp;</em>

Christophe Molmy&nbsp;

Avec cet assaut précipité par les frères Kouachi, le terroriste de l’Hyper Cacher a été pris de court, estime le patron de la BRI. Selon lui, Amedy Coulibaly s’attendait à rester de nombreuses heures dans le supermarché, comme Mohammed Merah en 2012 qui est resté cloîtré chez lui pendant plus de 36 heures. Preuve que le terroriste pensait avoir plus de temps devant lui, il n’avait pas mis en place les explosifs qu’il avait emportés. "Il n'avait pas activé toute la chaîne pyrotechnique, c’est-à-dire qu’il n'avait pas mis les détonateurs dans les explosifs, et ils ne les avaient pas disposés à l'intérieur de la supérette. Fort heureusement", conclut Christophe Molmy. 

Au moment de l’assaut, Amedy Coulibaly est encore au téléphone avec le négociateur de la BRI. "Il a été surpris, il a continué à lui parler pendant une seconde ou deux. Ça nous a fait gagner du temps." Selon Christophe Molmy, le terroriste a compris que "ça arrivait de partout". Sciemment ou pas, Amedy Coulibaly a tiré dans son sac d’explosifs. "Ça n'a pas sauté. D’après les experts, il y avait un risque extrêmement faible. Ça aurait pu sauter, mais c'était vraiment très, très faible", affirme aujourd'hui le patron de la BRI. 

"Pour nous, c'est un vrai succès"

Les forces de l'ordre évacuent les otages de l'Hyper Cacher, le 9 janvier 2015.&nbsp; (MARTIN BUREAU / AFP)

Dès que les policiers apprennent que le terroriste est neutralisé, "la tension retombe immédiatement", relate Christophe Molmy qui s'empresse de demander des nouvelles de ses collègues et des "oscars", terme utilisé pour désigner les otages dans le jargon de la BRI.

<span>Quand on a su qu'aucun otage n'avait été touché, ça nous a paru miraculeux.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span>

Christophe Molmy&nbsp;

Les policiers avaient demandé aux otages de se coucher au moment de l’assaut, une instruction qui a peut-être évité d'alourdir le bilan de l'Hyper Cacher, où Amedy Coulibaly a tué quatre personnes. "L'idée de se dire qu'aucun otage n'a été tué pendant l'assaut et même pendant qu'on était là, pour nous c'est rassurant."

Il est un peu plus de 17 heures, les otages sont libérés et les trois terroristes qui ont attaqué la France ces derniers jours sont tous morts. "On est quand même conscients que c'est le genre de chose qui n'arrive qu'une fois dans sa carrière", explique Christophe Molmy. Il se souvient d’ailleurs en avoir discuté avec ses hommes juste après : "On s'est dit 'bon, voilà, on a vécu probablement, en termes d’intervention, l'opération de notre carrière, ça a été un succès, tant mieux'". Et pourtant, dix mois plus tard, la BRI sera de nouveau mobilisée pour un autre attentat dans Paris : les policiers interviendront le 13 novembre au Bataclan. "On n'imaginait pas que ça allait recommencer quelques mois après. Le Bataclan, ça nous a laissé un autre goût… Le nombre de morts, le sang... Ça a été beaucoup plus dur à encaisser."

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