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Plan Vigipirate : même en "tenue de Robocop", les forces de l'ordre "ne sont pas des machines"

Trois mois après les attentats de Paris, le plan Vigipirate est maintenu à son niveau maximal en Ile-de-France et dans les Alpes-Maritimes. Mais les policiers et gendarmes qui assurent ce dispositif sont épuisés.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des soldats français patrouillent devant le musée du Louvre (Paris), dans le cadre du plan Vigipirate, le 24 mars 2015. (JOEL SAGET / AFP)

"Nous faisons notre devoir et tout se passe bien." Lorsqu'on leur demande de dresser le bilan de trois mois d'"alerte attentat", mardi 7 avril, les forces de l'ordre qui participent au plan Vigipirate à Paris semblent inébranlables. Pourtant, plusieurs syndicats de police ont tiré la sonnette d'alarme ces dernières semaines : leurs hommes frôlent l'épuisement. "Etre en permanence à l'affût, depuis trois mois, c'est fatigant physiquement et nerveusement", confie Louis*, en poste à proximité de l'hôtel Matignon, dans le 7e arrondissement de la capitale. Sur une douzaine de membres des forces de l'ordre interrogés dans le sud-ouest de Paris, ce policier est le seul à avoir accepté de nous répondre.

Les niveaux du plan Vigipirate ont été relevés à "alerte attentat", en Ile-de-France et dans les Alpes-Maritimes, et à "vigilance renforcée" dans le reste de l'Hexagone, après les attentats des 7 au 9 janvier. Et ce dispositif sera prolongé "pendant plusieurs mois". "Si nous devons nous habituer ce niveau d'alerte sur le long terme, il faut adapter la mission des policiers : on ne peut pas espérer qu'ils tiennent 24 heures sur 24, simplement en leur rappelant qu'il existe une menace terroriste", met en garde Nicolas Comte, secrétaire général adjoint du syndicat Unité SGP Police, contacté par francetv info.

Douleurs physiques et difficultés à rester "en éveil"

Les forces de l'ordre ne rechignent pas à protéger les "zones sensibles". Depuis trois mois, policiers et gendarmes restent debout, par équipe de deux ou plus, devant les sites sensibles (écoles et lieux de culte juifs, bâtiments publics et organes de presse). A la gare Montparnasse, des militaires - qui ont eux aussi refusé de nous répondre - patrouillent en petit groupe dans le hall, sans relâche. Mais la durée de la mission commence à se faire sentir. "Les journées sont longues, lorsque vous portez un gilet pare-balles de 10 kg et un fusil qui en pèse 3 ou 4", explique Louis, dans la police depuis vingt-deux ans.

Avec ses hommes, ils se relaient pour garder l'angle de la rue de Varenne pendant 30 à 45 minutes, debout. "Le dos, le cou, les cuisses en prennent forcément un coup", poursuit-il, estimant toutefois que les grosses équipes, stationnées dans des camionnettes, disposent, elles, du "grand confort""Lorsque l'on garde l'entrée d'un bâtiment à deux, on ne peut pas prendre de pause ou s'asseoir pendant six heures, c'est encore plus difficile." 

D'autant que certains doutent de l'utilité de la surveillance de bâtiments vides ou des zones très calmes. "A partir du moment où il ne se passe rien, on se dit qu'on perd son temps", explique-t-il. Les gendarmes, eux, ne contestent pas le choix des zones sensibles. En poste devant les Invalides, certains orientent même les touristes égarés. Ils admettent toutefois la difficulté de rester "en éveil""Nos hommes disent que cette situation commence à leur peser : il est compliqué de rester vigilant pendant des heures, lorsque l'on est à un poste passif", explique à francetv info Jean-Hugues Matelly, président de l'association professionnelle de gendarmes, GendXXI.

Trois compagnies de CRS neutralisées par les arrêts maladie

La fatigue physique et psychologique est d'autant plus difficile à supporter que les forces de l'ordre ne peuvent prendre ni vacances, ni jours de repos. "Lorsque l'on a 50 heures par semaine dans les rangers, on se retrouve dans une situation qui peut mettre en péril la mission de surveillance, s'insurge Jean-Hugues Matelly. Militaires et gendarmes ont tendance à vouloir tirer sur la corde, c'est dans leur tempérament. C'est donc au gouvernement et au commandement de s'assurer qu'ils ont un temps de récupération adéquat."

Même son de cloche du côté de la police. "La responsabilité du ministère de l'Intérieur est de faire en sorte que nos hommes puissent souffler, pour que l'on puisse compter sur eux sur le long terme", insiste Nicolas Comte. Car certains atteignent leurs limites et les arrêts maladie se multiplient. Résultat : trois compagnies entières de CRS étaient neutralisées, mardi 7 avril, dont une à Toulouse (Haute-Garonne). "C'est un fait rarissime ! Cela signifie qu'il y a environ 40 absents [sur 65 policiers], souligne le secrétaire général adjoint d'Unité SGP Police. Leurs missions sont assurées par d'autres, dans l'urgence, mais cela deviendra compliqué si davantage de compagnies se retrouvent au tapis."

Les forces de l'ordre réclament plus d'effectifs

Alors quelles solutions apporter pour éviter un "burn-out" des forces de l'ordre ? "Il faut discuter rapidement de l'emploi des unités, permettre des rotations afin que nos hommes puissent tenir le coup", selon Nicolas Comte. Louis, le policier en faction près de Matignon, voudrait en outre que le gouvernement "revoie sa liste de zones sensibles" et envisage de confier la surveillance de certains bâtiments à des compagnies privées.

Les gendarmes, eux, ne sont pas favorables à cette dernière option. "Il nous semble normal d'effectuer ces missions au contact de la population, mais il faut que les moyens suivent : les effectifs militaires doivent être revus, notamment dans l'armée de terre", conclut Jean-Hugues Matelly. Militaires et policiers s'accordent sur un point : le ministère de l'Intérieur doit vite réagir. Comme le souligne Louis, même s'ils sont en "tenue de Robocop", les forces de l'ordre "ne sont pas des machines".

* Son prénom a été modifié. 

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