Clearstream 2 : assaut à fleurets mouchetés entre Villepin et Rondot
La formule en a surpris plus d'un dans la grande salle de la Cour d'appel de Paris : “je suis d'accord à 100% avec le général Rondot” lance Dominique de Villepin, en se dépliant pour monter à la barre. L'ex-Premier ministre était en veine d'amabilités avec l'officier du renseignement, qui se dit rigide parce qu'il “ne se tient pas avachi” : “le général Rondot a raison” par ci, les sourires par là, des hochements de tête venus du fond du cœur quand les déclarations des deux hommes s'accordaient. Le diplomate Villepin était à la manœuvre.
Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que Dominique de Villepin avait tout intérêt à caresser l'ombrageux militaire dans le sens du poil. Ses déclarations dans le dossier et en première instance contredisent les siennes sur des points essentiels. Et L'officier, raide dans son costume strict, a annoncé d'entrée de jeu la couleur en prévenant qu'il en avait assez d'être le “berniche”, terme d'argot du Morvan, où il réside, pour désigner l'idiot du village. Et de prévenir qu'il ne répondrait à aucune question mettant en cause son “honneur militaire”, principe auquel il s'est tenu, au grand dam de quelques avocats.
D'entrée, le général a envoyé quelques fines flèches dans la défense de Dominique de Villepin :“il y a quelqu'un ici qui sait comment fonctionnent les services de renseignement, c'est Dominique de Villepin. Quand il parle de cela, il sait de quoi il parle en tant qu'initiateur, de donneur d'ordre”. Autrement dit : les lampistes ne sont pas prêts à porter le chapeau.
"Cher ami, faites au mieux"
Des divergences assez profondes sont apparues entre les deux hommes tout au long de leur confrontation à fleurets mouchetés. Sur la date à laquelle le général Rondot a certifié que les listings étaient faux par exemple : en juillet 2004, assure l'officier. En octobre 2004, répond l'ex-Premier ministre. Le point est essentiel, car il est reproché à Dominique de Villepin d'avoir volontairement laissé courir l'affaire pour atteindre Nicolas Sarkozy.
_ Désaccord également sur la garde à vue d'Imad lahoud dans une affaire d'escroquerie, en mars 2004. Le général assure qu'il a reçu un coup de téléphone de Jean-Louis Gergorin, puis dans la foulée de Dominique de Villepin qui a paru informé, et qui aurait évoqué l'affaire en premier et lui aurait demandé de faire libérer “la source”. L'ancien Premier ministre convient qu'il a appelé, mais pour parler des attentats de Madrid, que c'est l'officier qui a parlé le premier des problèmes liés à l'affaire Clearstream et qu'il a mal interprété la conversation : “Allo ? Oui ?... oui... oui... Bon ! C'est comme ça que je parle au téléphone (...) Quand il y a le feu au Congo-Brazzaville, quand il y a le feu à Kinshasa... L'ambassadeur appelle... et le ministre des Affaires étrangères a toujours la même réponse : “cher ami, faites au mieux””. Le général confirme qu'“avec Dominique de Villepin, c'est toujours bref”.
Pas de réunion de conspirateurs
Pourtant, le témoignage du général Rondot n'aura pas été aussi foudroyant que pouvait le redouter la défense de Dominique de Villepin. D'abord, l'officier, bien que susceptible, a lui aussi mis les formes face au ministre. Ensuite, pendant que le “mousquetaire” faisait des courbettes sur la forme, ses avocats se montraient plus incisifs sur le fond, poussant parfois le général dans ses retranchements.
Mais surtout, c'est Philippe Rondot lui-même qui a desserré la corde, en donnant son opinion sur l'affaire : “Imad Lahoud a été à la source, Jean-Louis Gergorin est entré dans le jeu, je pense de bonne foi, car il prenait des risques énormes si ça retombait sur lui. Jamais Dominique de Villepin ne m'a fait état de la présence de Nicolas Sarkozy dans ces listings. Jamais Dominique de Villepin ne m'a demandé de monter un coup avec la complicité de Jean-Louis Gergorin et d'Imad Lahoud”.
Il a même eu l'amabilité de préciser que la réunion du 9 janvier, au cours de laquelle l'affaire est évoquée officiellement pour la première fois avec Dominique de Villepin “n'était pas une réunion de conspirateurs”.
Profonds hochements de tête de l'ancien ministre.
Grégoire Lecalot, avec agences
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