RECIT FRANCEINFO. Une affaire d’or et de sang : derrière les disparus d’Orvault, la tragédie familiale des Troadec
Une colonne bleu et blanc progresse lentement dans un paysage boisé et détrempé. Chenille mortuaire dans la brume. Juge d’instruction, médecin légiste, anthropologue et enquêteurs de la police judiciaire ouvrent le chemin, suivis par une dizaine d’agents de la police technique et scientifique, une cohorte de CRS et de gardiens de la paix. Le groupe se fraie un chemin sur ce terrain accidenté et marécageux, tourmenté par la tempête Zeus qui vient de frapper la Bretagne. En arrière-plan se dressent les bâtiments de la ferme du Stang.
Les têtes sont penchées, à la recherche du moindre indice. Trente-deux hectares à passer au peigne fin pour retrouver des fragments. Des bouts de corps, éparpillés, pulvérisés. Nous ne sommes pas sur le site d’une catastrophe aérienne, mais sur une scène de crime. Les victimes sont au nombre de quatre, Brigitte et Pascal Troadec, 47 et 49 ans, et leurs deux enfants, Charlotte et Sébastien, 18 et 21 ans.
C’est sur cette image, saisie le 8 mars à Pont-de-Buis (Finistère), que se referme l’affaire des disparus d’Orvault, devenue celle de la famille Troadec. Une terrible histoire, commencée quinze jours plus tôt à 280 km de là, dans un pavillon de Loire-Atlantique. Récit.
La disparition
Toujours pas de message, ni d’appel. Depuis Landerneau (Finistère), Denise se fait du mauvais sang. Voilà plusieurs jours qu’elle n’a pas de nouvelles de sa fille, qui vit à Orvault (Loire-Atlantique). Son téléphone ne répond plus. Brigitte a pourtant l’habitude de l’appeler toutes les semaines. A quelques rues de là, Hélène est tout aussi inquiète. Aucun signe de sa sœur ni de sa famille. Elle n’y tient plus et appelle à son travail, le centre des impôts de Nantes. Brigitte ne s’est pas présentée lundi 20 février, le jour où elle était censée reprendre, après quelques jours de vacances. L’angoisse monte. Hélène contacte la police pour signaler sa disparition.
Les policiers débarquent au pavillon de la famille Troadec, situé dans un quartier résidentiel d’Orvault. Les volets sont fermés, la maison d’un étage est vide. Le chauffage est coupé, il fait 8°C. Les draps ont été retirés des lits. Dans la salle de bains, ni brosse à dents, ni brosse à cheveux. Une tasse et un verre sont retrouvés dans l’évier de la cuisine. Dans le frigo, plusieurs aliments sont périmés. Des draps, pas tout à fait secs, sont étendus à l’intérieur. Du linge humide se trouve encore dans la machine à laver.
<span style="font-weight: 400;">C'est comme si la maison s'était arrêtée de vivre à un instant T.</span>
Les enquêteurs remarquent des traces rosâtres dans l’escalier, comme si du sang avait été essuyé sommairement. Dans une pièce du rez-de-chaussée, un téléphone portable et ses oreillettes sont maculés de sang, une paire de chaussettes aussi. Les agents de la police technique et scientifique arrivent en renfort. A l’aide du Bluestar, ils détectent d’autres traces de sang en quantité importante à l’étage. Une montre, cassée et tachée de sang, est découverte sous un lit.
Tout laisse penser qu’une "scène de violences", selon les mots du procureur, s’est déroulée dans cette maison. Les analyses confirment rapidement ces craintes : le sang appartient bien à trois membres de la famille, Brigitte, Pascal et Sébastien.
Une maison vide, des traces de sang, pas de corps… L’affaire en convoque aussitôt une autre, qui a marqué les esprits à Nantes. En 2011, les dépouilles de la femme et des quatre enfants de Xavier Dupont de Ligonnès étaient retrouvées après plusieurs jours sous la terrasse d’une maison bourgeoise de la Cité des ducs. Le père, meurtrier présumé, est toujours introuvable aujourd’hui.
Dans le cas Troadec, l’enquête, ouverte pour "homicides volontaires, enlèvements et séquestrations", s’oriente rapidement vers un membre de la famille. D’autant qu’un détail intrigue les enquêteurs. Devant la maison, les deux voitures du couple, une Audi et une BMW, sont toujours stationnées. Mais celle du fils, une Peugeot 308, manque à l’appel.
La fausse piste du fils
L’enquête de voisinage commence. Avec son lot de banalités. Les Troadec sont décrits comme "des gens réservés", qui vivaient à Orvault depuis au moins dix ans. "Des gens qui ne faisaient pas parler d'eux et qui n'avaient pas forcément envie de nouer des relations", selon une voisine. Dans le quartier, les "bonjour" du matin se sont taris au fil du temps.
Certains évoquent les "troubles dépressifs" dont le père, employé dans une PME spécialisée dans la fabrication d'enseignes lumineuses, a souffert "par le passé". En miroir, son fils est dépeint comme ayant "souffert de fragilités psychologiques". La piste d’un différend familial père-fils se dessine. Enquêteurs et médias épluchent la vie numérique de l’adolescent, étudiant en deuxième année de BTS Systèmes numériques à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée). Le fils de Xavier Dupont de Ligonnès était scolarisé dans le même établissement. La machine à fantasmes s’emballe.
Sébastien avait créé, comme beaucoup d’ados de son âge, plusieurs profils sur différents réseaux sociaux. Au milieu de centaines de commentaires anodins, quelques messages anciens suffisent à obscurcir le portrait du jeune homme. En 2014, alors âgé de 18 ans, il tweete : "J'en peux plus, j'veux crever mais j'en suis même pas capable". Sur le forum Ask.fm, quelqu'un lui demande s'il est "possible de justifier un meurtre". "Ça dépend", répond-il. "La chose que je déteste le plus ? Mon reflet", écrit-il encore, prompt à se dénigrer ou à évoquer sa propre mort.
<span style="font-weight: 400;">Dans 30 ans, je suis mort depuis 27 ans.</span>
Sébastien Troadec confie également sur les réseaux sociaux sa mésentente avec son père. "Ces bon j'en est marre , je vais au commiseria porter plainte contre mon père", "pour harcelement morale :'( #LT", tempête-t-il en avril 2013. "Mon père = gros con de putain denculer alcoolo car il pète la douche et dit que c'est ma faute alors que ces lui le dernier à en avoir pris", fulmine-t-il une semaine plus tard. Il y a aussi ce message, en date du 1er mai : "Si ont savait réellement ce qui se passer dans ma tête ont me prendrer pour un fou sans morale". Des photos de lui posant avec un couteau ou le visage dissimulé par un foulard sont relayées dans les médias. Le Parisien exhume une condamnation à des travaux d’intérêt général en 2013 pour des menaces de mort.
Si certains témoignages confirment la personnalité "un peu spéciale" de Sébastien, ses amis font valoir qu’il ne s’agit que de la construction d’un personnage en ligne. Dans Le Parisien, sa tante maternelle assure que "Sébastien allait de mieux en mieux depuis son entrée en BTS. Il avait de nombreux copains et sortait avec eux le week-end. Il était plus ouvert. Mon neveu s'était littéralement métamorphosé. On le sentait mieux dans sa peau."
Il n’empêche. Si les enquêteurs restent prudents et explorent toutes les pistes, l’avis de recherche diffusé à la France entière mentionne la possibilité d'"un funeste projet" du fils, "visant à supprimer les membres de sa famille et peut-être lui-même". Parmi les éléments troublants, son portable, le dernier à avoir été éteint dans la nuit du 16 au 17 février.
Le jeu de piste morbide
L’affaire des disparus d’Orvault tient le pays en haleine. Mais l’enquête patine. Du moins en apparence. Les journalistes se raccrochent aux minces éléments qui filtrent : Charlotte, 18 ans, serait allée porter plainte avec sa mère au commissariat le jour de la disparition. En cause, un piratage de sa carte bancaire pour acheter des jeux vidéo… Les regards se tournent à nouveau vers Sébastien, présenté comme un "geek". Mère et fille auraient ensuite acheté des sushis. Consommables jusqu'au 17 février, ils ont été retrouvés dans le frigidaire. Autant d’indices relatés par la presse mais qui n’apportent pas le début d’une piste sérieuse…
Un détail chiffonne les enquêteurs : le sang de Charlotte, scolarisée depuis la rentrée dernière au lycée Notre-Dame de Fontenay-le-Comte (Vendée), en première année de BTS, n’a pas été retrouvé dans la maison. Que lui est-il arrivé ? Des billets d’avion pour le Portugal, en date du 10 avril, sont par ailleurs saisis dans la boîte aux lettres.
Nous sommes le 27 février, dix jours après la disparition des Troadec, et le mystère reste entier. Le parquet ouvre une information judiciaire et désigne deux juges d’instruction. Deux jours plus tard, l’affaire connaît son premier rebondissement : un pantalon, une carte bancaire et la carte Vitale de Charlotte sont retrouvés par une joggeuse à Dirinon (Finistère), près de Brest. A 500 mètres, les enquêteurs découvrent le lendemain deux livres de jeunesse appartenant à Pascal Troadec. Mais le véritable tournant s’opère avec le repérage de la voiture de Sébastien sur le parking d’une église à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Le tapis de sol a disparu, mais aucune trace de sang n’est visible à l’œil nu.
Pour le psycho-criminologue Jean-François Abgrall, l’auteur des faits "privilégie la désorientation des enquêteurs". Lors d’une nouvelle conférence de presse, attendue avec fébrilité par tous les médias, le procureur Pierre Sennès confirme "un possible jeu de piste morbide" et une "affaire hors normes". Le magistrat balaie par ailleurs l'hypothèse de la carte bleue de Charlotte volée ou utilisée par Sébastien. L’adolescente et sa mère se sont présentées à la banque, et non au commissariat, pour faire opposition sur la carte de Charlotte. Celle-ci avait acheté elle-même des crédits de jeux vidéo sur internet, pour les offrir à Sébastien, et s’était rendu compte que la somme débitée via un serveur américain dépassait le prix d'achat. La piste du frère semble s’éloigner.
Les aveux du beau-frère
Officiellement, la voiture de Sébastien n’a pas encore livré ses secrets. Le procureur avait prévenu : les résultats des analyses ne seront pas communiqués en temps réel, pour préserver l’enquête. Officieusement, les enquêteurs tiennent un indice de taille : l’ADN d’Hubert Caouissin, le beau-frère de Pascal Troadec, a été retrouvé dans le véhicule – sur l’appuie-tête, selon Le Parisien. Autre point tenu secret : le compagnon de Lydie Troadec, la sœur de Pascal, a également laissé son empreinte génétique dans le pavillon d’Orvault, sur un verre.
S’il est impossible de dater cet ADN, ces éléments contredisent la version de l’individu, entendu dans les tout premiers temps de l’enquête. Lors de sa garde à vue, Hubert Caouissin avait expliqué n'avoir pas vu les Troadec depuis longtemps, en raison d’un conflit autour d'un prétendu héritage. Le 5 mars, l‘homme et sa compagne sont de nouveau placés en garde à vue. L’information circule, donnant une toute nouvelle orientation à ce drame.
Le temps presse, les enquêteurs ont déjà entamé le crédit d’heures de la garde à vue. Dans la nuit, Hubert Caouissin craque et passe aux aveux. Oui, il a tué les quatre membres de la famille Troadec pour une histoire "de pièces d'or". La France se réveille avec le nom d’un coupable présumé. Quelques heures après, Pierre Sennès accorde une nouvelle conférence de presse et transporte littéralement les auditeurs sur les lieux du quadruple meurtre. Un récit d’une traite, sur la base des déclarations du quadragénaire.
Dans la soirée du jeudi 16 février, Hubert Caouissin se rend devant le pavillon d’Orvault avec "l’intention d'espionner pour voir s'il pourrait recueillir des informations sur ce problème successoral". Il applique "un stéthoscope" sur la fenêtre pour tenter d'écouter à l'intérieur de la maison. Plus tard dans la soirée, le suspect attend que la famille se couche pour pénétrer dans le domicile et se cacher dans la buanderie. "Il entre avec l'intention de récupérer une clé aperçue sur un meuble", poursuit le magistrat. Mais en voulant atteindre son but, le suspect fait du bruit, attirant l'attention du couple Troadec, qui descend au rez-de-chaussée "avec un pied-de-biche". Hubert Caouissin parvient à s’en emparer. Refusant de donner des "détails plus précis", le procureur évoque une "scène criminelle d'une grande violence".
La suite du scénario est racontée par Pierre Sennès puis précisée par Le Parisien les jours suivants : Hubert Caouissin reste chez les Troadec jusqu'au petit matin, avant de rentrer chez lui à la ferme du Pont-de-Buis, où il vit retranché depuis deux ans avec Lydie Troadec. Selon le quotidien, le meurtrier présumé se confie aussitôt à son fils de 8 ans, avant même d'en parler à sa compagne.
<span style="font-weight: 400;">Tu verras, on va te dire que ton père est un monstre. Mais je vais t'expliquer et te dire la vérité.</span>
Le couple repart à Orvault dans la soirée du 17 au 18. Hubert Caouissin lessive la maison pendant que Lydie attend dans une voiture avec un talkie-walkie, précise Le Parisien. Détail macabre rapporté par le journal : épuisé par le nettoyage, le meurtrier présumé se serait endormi quatre heures dans le lit de Sébastien. Le duo repart avec les cadavres, chargés à bord de la 308. "Pendant deux à trois jours, Hubert Caouissin va s'efforcer de faire disparaître les corps, relate Pierre Sennès. Il semble que les corps aient été démembrés, une partie enterrée, l'autre partie brûlée."
Ensuite, aidée par sa compagne, Hubert Caouissin nettoie le véhicule de Sébastien et le laisse à Saint-Nazaire "un petit peu au hasard". "Son idée était d'orienter les fouilles vers le port. Une sorte de diversion", souligne le magistrat. Le suspect a également emporté des affaires de la famille pour faire croire à un départ en vacances. Hubert Caouissin est mis en examen pour "assassinats" et "atteinte à l'intégrité d'un cadavre", sa compagne pour "modification de l'état des lieux d'un crime et recel de cadavres". Tous deux sont écroués.
Un héritage maudit ?
Une fois le choc des révélations passé, vient le temps des questions. Avant de commettre son massacre et de s'obstiner à en dissoudre les moindres traces, il semble qu'Hubert Caouissin ait œuvré à sa propre disparition sociale, à l'image de ce nom effacé sur la boîte aux lettres de la propriété de Pont-de-Buis. On y devine "Troadec", du nom de sa compagne. Le couple a échoué ici début 2015, au terme d’un long et discret processus d’isolement.
Pour tenter d’en savoir plus, il faut mettre le cap vers le nord du Finistère, à Plouguerneau, une petite ville côtière de 6 500 habitants. C’est là qu’Hubert Caouissin a passé ses vacances et ses week-ends en famille, pendant l’enfance, avant de s’y installer à plein temps dans les années 1980. Embauché en 1987 à l’arsenal de Brest, comme son père, il semble avoir mené une vie sociale ordinaire jusqu’à sa rencontre sur internet avec Lydie Troadec en 2006.
Un petit garçon naît rapidement de cette union. Les voisins du quartier Croaz-al-Lan, à Plouguerneau, décrivent un couple plutôt avenant. Mais, très vite, le conflit familial autour de cette affaire de pièces d’or vient assombrir le tableau. Qualifiée de "légende" par la mère d'Hubert Caouissin, cette histoire est avérée, selon la mère de Pascal et Lydie Troadec. Dans Le Parisien, elle explique que cet or, volé par son mari lors de travaux dans un immeuble brestois en 2006, a été subtilisé par Pascal Troadec à la mort de son père et placé dans plusieurs paradis fiscaux, en Andorre et à Monaco.
Si ce trésor existe, il pourrait dater de l'un des épisodes brestois les plus romanesques de la seconde guerre mondiale, souligne Le Télégramme. Une époque où les lingots et les pièces d’or de la Banque de France avaient été acheminés jusqu’à Brest pour être expédiés en bateau vers l’étranger afin d’éviter leur confiscation par les Allemands. Un paquet de 50 kg, tombé du chargement, n'aurait jamais été retrouvé.
Une enquête patrimoniale a été ouverte pour vérifier l’existence de ce butin. Car il est présenté, pour l’instant, comme le mobile du crime. Ce bien mal acquis aurait ainsi agi comme une malédiction sur plusieurs générations. Il est en tout cas venu empoisonner peu à peu les relations entre les deux couples. "C’était devenu une obsession" pour Hubert Caouissin, a relevé le procureur de Nantes. Les violences ou homicides pour des questions d’héritage représentent "5 à 6% des dossiers" traités par l’expert-psychiatre Alexandre Baratta. "On ne se situe pas dans le registre de l’affectif mais bien dans l’intuition d’être floué", explique-t-il. Et "les auteurs ont très souvent une personnalité paranoïaque".
S’agissant d’Hubert Caouissin, l’enquête a établi pour l’instant qu’il avait souffert d’une grave dépression pendant trois ou quatre ans, juste après le cancer du sein déclaré par sa compagne. Invalide, cette secrétaire médicale a dû rester à la maison et s’est renfermée, tout comme son compagnon, en arrêt maladie lui aussi. Le couple a disparu de Plouguerneau, sans mot dire. "Un délire à deux n’est pas à exclure", reprend l’expert-psychiatre.
Le duo a réapparu de la façon la plus terrible qui soit, dans cette imposante bâtisse désormais baptisée "la ferme de l’horreur". Des fragments humains et des bijoux des victimes ont été exhumés dans la trentaine d’hectares marécageux entourant les lieux. Les recherches ont été suspendues, vendredi 10 mars. Mais de nombreuses questions restent en suspens et la tragédie familiale des Troadec est loin d’avoir livré tous ses secrets. Une seule certitude, pour la mère de Pascal et Lydie : "Cet or a brisé notre famille."