Cet article date de plus de cinq ans.

Effondrements de la rue d'Aubagne : "Les collectivités n'ont pas fait leur job, la révolte gronde dans tous les quartiers", déplore Emmaüs

Le co-président de la communauté à Marseille dénonce le manque d'accompagnement des victimes de la rue d'Aubagne, dans le quartier Noailles, six mois après la catastrophe.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une femme regarde par la fenêtre de son appartement, rue d'Aubagne à Marseille, le 18 novembre 2018, près de l'endroit où deux immeubles se sont effondrés. (GERARD JULIEN / AFP)

Six mois après l'effondrement de deux immeubles rue d'Aubagne, qui a fait huit morts le 5 novembre, Fathi Bouaroua, co-président de la communauté Emmaüs Pointe Rouge à Marseille, dénonce ce qu'il décrit comme l'inaction des collectivités locales dans l'accompagnement des personnes concernées, dimanche 5 mai sur franceinfo. Et il explique que "dans tous les quartiers de Marseille, des collectifs se créent pour pouvoir demander des comptes à la ville mais aussi à la métropole, au département".

franceinfo : Pouvez-vous nous donner des nouvelles des personnes relogées ?

Fathi Bouaroua : Elles sont pratiquement tout aussi nombreuses qu'au début, puisqu'aujourd'hui, il y a encore à peu près un millier de personnes dans des hôtels. Le problème, c'est que ces hôtels veulent reprendre leur liberté pour y mettre des touristes et donc, pour l'instant, on les promène un petit peu d'hôtel en hôtel, ce qui devient très, très pénible pour les familles. En plus vient s'ajouter le fait que la ville remette en cause un certain nombre d'aides qui étaient apportées. Par exemple, les repas de midi, puisque dans la plupart des hôtels, on ne peut pas cuisiner : on oblige ces familles à aller prendre des repas au Crous [restaurant universitaire] si elles le souhaitent, mais de les payer.

Les familles étaient aidées pour ces repas, ce n'est plus le cas ?

Ce n'est plus le cas, c'est un droit qu'on leur enlève : la loi dit qu'il faut les loger de manière décente, c'est-à-dire avec la possibilité de cuisiner et de vivre normalement. C'est la première chose que l'on enlève, mais pas seulement : la poste restante n'est plus gratuite pour eux, ils doivent désormais payer pour faire suivre leur courrier ou pour le faire garder. Les moyens qui ont été mis pendant ces six mois sont seulement  d'à peu près 5 millions d'euros.

Des habitants d'immeubles en péril ou en très mauvais état ont dû les quitter, et ceux qui ont été relogés ont retrouvé, parfois, des logements pires, puisque les propriétaires n'avaient traité que la structure de l'immeuble…

Tout à fait, c'est le gros souci de cette affaire : nous avons un service de sécurité qui fait aujourd'hui son travail réellement par peur, puisqu'il fait fermer les immeubles. Lorsque les travaux de consolidation des structures sont faits, il redonne la possibilité d'ouvrir les immeubles. Sauf que les immeubles sont insalubres, certains ont été squattés, d'autres ont été vidés. Par exemple, on a une famille qui a pu rentrer dans son logement, sauf qu'il n'y avait plus de mur entre son appartement et les escaliers. C'est délirant de voir que, dans cette ville, le service d'hygiène est complètement inefficace et pratiquement inexistant, alors que nous avons besoin, aujourd'hui, de véritables structures pour avancer et éviter d'avoir un nouveau drame dans cette ville.

Il y a également les conséquences psychologiques que ça provoque chez ces familles, notamment sur les enfants…

Nous avons des enfants qui sont complètement traumatisés. Certains doivent, pour retourner à l'école, faire des déplacements, se lever très tôt, sans compter les problèmes de nourriture... On a des difficultés extrêmes. Très bizarrement, les psychologues sont des psychologues bénévoles pour la plupart. Et ils sont quelquefois eux-mêmes des victimes des effondrements ou des évacuations, qui sont venues prêter main forte à la ville qui, pour l'instant, n'apporte rien comme réponse suffisante à ces centaines d'enfants et familles.

Six mois après, diriez-vous que ce drame a provoqué un électrochoc suffisant que ce soit dans la société marseillaise et dans la classe politique ?

L'électrochoc a eu lieu, l'émotion a eu lieu. C'est extraordinaire, l'élan de solidarité et la fraternité qu'on a pu trouver. Par contre, ce qu'il faut dire, c'est que les collectivités locales n'ont pas fait leur job. Elles sont aujourd'hui dans une situation d'attente, et retirent les quelques aides qu'elles avaient attribuées, alors que nous sommes aujourd'hui dans quelque chose qui ressemble à un "sixième continent" de l'habitat indigne. 100 000 habitants de logements indignes à Marseille… Nous ne sommes pas loin de l'équivalent d'une ville comme Aix-en-Provence qui vit dans l'habitat indigne à Marseille. Sachez que la révolte gronde, aujourd'hui, dans tous les quartiers, pas que le quartier Noailles (…). Dans tous les quartiers de Marseille, des collectifs se créent pour pouvoir demander des comptes à la ville mais aussi à la métropole, au département. Et ces collectifs sont en train de préparer des états généraux pour demander des comptes aux collectivités, ces états généraux auront lieu le 22 et le 23 juin prochain.

L'Etat a promis 240 millions d'euros de travaux de réhabilitation d'urgence.

Ces 240 millions qui sont promis faisaient déjà partie d'un projet global de réhabilitation des copropriétés dégradées de Marseille, ce n'est pas une nouveauté. Le Premier ministre, quand il est venu à Marseille, a promis un diagnostic sur les 4 000 immeubles qui sont potentiellement indignes. Et sur ces 4 000 immeubles, pour l'instant, on n'a pas vu les diagnostics arriver pour pouvoir rassurer les familles. Ce qu'il faudrait aujourd'hui, ce sont des milliards, pas quelques malheureux petits millions, sachant que le seul stade de Marseille a coûté déjà plus de 300 millions d'euros à la ville et va nous coûter 12 millions d'euros pendant 35 ans. De grâce, occupons-nous des gens qui vivent dans l'habitat indigne.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.