: Enquête franceinfo Enlèvement de Mia : Lola Montemaggi, une mère enfermée dans une spirale complotiste
Franceinfo retrace la dérive conspirationniste de Lola Montemaggi, 28 ans, à travers ses publications sur les réseaux sociaux, jusqu'au kidnapping de sa fille qu'elle est soupçonnée d'avoir commandité.
Lola Montemaggi a été ramenée en France. La mère de Mia a été extradée par les autorités suisses, vendredi 23 avril. Dans la foulée, elle a été mise en examen, en France, notamment pour "enlèvement de mineur en bande organisée". Elle a ensuite été placée en détention provisoire. Cette femme de 28 ans va devoir répondre devant la justice française de l'enlèvement de sa propre fille. Elle est soupçonnée d'avoir commandité le kidnapping, alors qu'elle n'avait plus ni la garde de l'enfant de 8 ans, ni le droit de la voir seule ou de lui parler au téléphone.
Mia, hébergée chez sa grand-mère maternelle à une trentaine de kilomètres d'Epinal, dans les Vosges, a été enlevée sans violence le 13 avril par plusieurs hommes. Les ravisseurs se sont fait passer pour des professionnels de la protection de l'enfance, avec des papiers falsifiés à en-tête du ministère de la Justice, et ont réussi à emmener la petite fille. Lola Montemaggi, elle, patientait non loin de là sur un parking.
L'enfant a finalement été retrouvée saine et sauve le 18 avril dans un squat de la commune de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud (Suisse), avec sa mère, qui tentait de gagner la Russie. Cinq hommes ont été arrêtés et sont poursuivis pour "enlèvement en bande organisée d'une mineure de 15 ans et association de malfaiteurs". Un sixième homme est toujours recherché.
Pour tenter de comprendre le parcours de Lola Montemaggi, désormais mise en examen pour enlèvement de mineur en bande organisée, franceinfo s'est plongé dans le passé de la jeune femme.
"Je m'éveille"
"Je m'appelle Lola, 27 ans (...) Je comprends petit à petit depuis deux ans que je m'éveille, que je n'avais pas de problème, c'est bien la société et ce système qui tournent à l'envers." Lorsque Lola Montemaggi se présente sur Telegram aux membres du réseau conspirationniste One Nation, qui compte près de 2 700 membres, le 4 novembre 2020, elle est déjà convaincue par cette idéologie.
Depuis quelque temps déjà, la jeune femme, qui explique sur Facebook vivre avec "1 000 euros par mois", manifeste une certaine révolte contre "ce monde qui [la] rend malade". "C'est une dictature, réveillez-vous les gens", exhorte-t-elle dans une vidéo publiée sur un groupe de "gilets jaunes" en février 2019. Quelques mois plus tard, elle a fait sienne la rhétorique complotiste. En novembre 2019, elle écrit sur sa page personnelle : "Innocemment, avant 2019, je croyais que la vie était simple, juste simple. (…) Digérer tout ce que j'ai appris, ce que la télé et les politiques nous cachent, tous ces mensonges, c'est pas facile, surtout les trucs monstrueux."
En avril 2020, elle évoque un complot des "élites", dont Emmanuel Macron ne serait que la "marionnette". La mère de Mia en est persuadée : "Les réseaux pédocriminels existent bel et bien. Ils sont très structurés et organisés. Mais surtout impunis." Elle relaie les obsessions des mouvements conspirationnistes : le "nouvel ordre mondial", la 5G, le "satanisme"… Et appelle "les moutons" à se réveiller.
Au sein de One Nation, dont elle rejoint la branche lorraine, l'une des 81 sections locales, Lola Montemaggi espère "rencontrer d'autres personnes avec les mêmes valeurs". "On est limité dans ce système, tout est fait pour nous limiter", s'emporte-t-elle face à un autre membre dans un message vocal daté de décembre 2020. "C'est le contraire, nous, on veut la liberté ! (…) Regarde un peu les vidéos d'Alice, et tu vas voir que c'est possible."
"Etres souverains"
Alice, c'est celle autour de laquelle gravite One Nation. En 2019, elle a cofondé ce mouvement qui se veut "profondément non violent" et qui prône l'"émancipation" des êtres "de toute forme d'autorité illégitime". Une pensée qu'elle transforme en mode de vie. Sur sa page Facebook suivie par près de 30 000 personnes, l'animatrice du groupuscule explique élever ses deux enfants dans un van sans plaque d'immatriculation, et refuser de les scolariser.
Les idées de One Nation sont extrêmement proches de celles du mouvement des "êtres souverains", selon Tristan Mendès France, spécialiste du conspirationnisme et chroniqueur pour "Complorama", sur franceinfo. "Cette mouvance est apparue aux Etats-Unis dans les années 1970 et les 'êtres souverains' tendent à remettre en cause la réalité de l'Etat dans lequel ils vivent. Réalité au niveau du droit, de l'administration", explique-t-il.
"Ils se considèrent comme des individus détachés de toute organisation sociétale et ils remettent en cause les institutions, la justice, la police, tout type d'administration."
Tristan Mendès France, spécialiste du conspirationnismeà franceinfo
"Tout raser, tout refaire, mais dans la paix et avec amour." Cette philosophie duale décrite par Alice caractérise le mouvement rejoint par Lola Montemaggi. Au travers de dizaines de messages couverts de cœurs et de notes vocales enthousiastes sur le sens des chiffres et des "énergies cosmiques", la mère de Mia parvient à rencontrer d'autres Lorrains engagés, notamment pour des méditations.
"J'ai fermé mes comptes bancaires"
La spirale conspirationniste continue d'entraîner Lola Montemaggi. Liens vers des films hétéroclites ou des livres audio censés susciter "l'éveil", commentaires des vidéos d'Alice, prose enflammée contre le "système"… La mère de Mia passe rapidement du statut de novice à celui de porte-voix.
"J'ai fermé mes comptes bancaires il y a quelques jours, arrêté de payer des assurances inutiles et je vais bientôt jeter tous les papiers que nous gardons pour vivre dans ce système", écrit la Vosgienne le 8 décembre, un mois seulement après avoir rejoint One Nation. Des démarches entamées par plusieurs de ses pairs sur l'exemple d'Alice, qui s'expose par exemple sur Facebook avec une nouvelle "carte d'être humain" de sa création.
Selon Tristan Mendès France, les "êtres souverains" "font un vrai distinguo entre leur 'être vécu', sur lequel ils ont une souveraineté absolue, et cette fiction juridique, cette identité publique, qui leur est imposée par l'Etat, qu'ils ne reconnaissent absolument pas."
"Ma mère m'a dénoncée comme complotiste"
Un sujet en particulier revient dans ces groupes Telegram : celui d'un supposé réseau "pédocriminel" protégé par des "pseudo-élites". Une thèse qui rappelle les théories du mouvement conspirationniste QAnon né aux Etats-Unis.
Dans des vidéos relayées au sein de ces groupes, Alice assimile les services d'aide à l'enfance à une "mafia pédocriminelle". Des membres relatent quant à eux des histoires d'enfants "kidnappés" par les services sociaux et s'entraident pour les récupérer. Ces récits trouvent un écho certain chez Lola Montemaggi, qui laisse un message vocal fin décembre 2020.
"Les services de protection de l'enfance, c'est plutôt de la maltraitance aujourd'hui en France."
Lola Montemaggisur Telegram
Jusqu'ici, jamais la jeune femme n'a fait part de sa situation familiale. Sauf une fois, mi-décembre, où elle a évoqué une convocation au tribunal pour un problème "personnel", sans l'expliciter. Finalement, c'est un appel à l'aide qu'elle envoie un mois plus tard.
"Je n'ai pas envie de m'étaler, mais ça concerne ma fille. Mon unique fille, écrit Lola Montemaggi le 16 janvier. [Je] suis passée chez la juge, j'ai eu la parole deux minutes et c'était bâclé… La sentence a été terrible (…) Je précise, j'ai bien tenté d'informer la juge qu'elle n'avait pas autorité sur moi, que j'étais un être humain mais j'ai été attaquée de toute part et on m'a pas laissée m'exprimer… On ne m'a pas laissée m'exprimer."
Le 29 janvier, Lola Montemaggi se fait plus précise. Elle explique dans un nouveau message que sa fille Mia vient d'être placée chez sa propre mère "pour sept mois" et qu'elle dispose d'un "droit de visite deux fois par mois 'avec un tiers'". Une décision prise, affirme-t-elle, en raison de ses idées. "Ma mère m'a dénoncée (…) comme complotiste : disant que je suis anti-5G, vaccins, école, médecine allopathique, et que je dénonce les réseaux [pédocriminels], qui n'existent bien sûr pas pour elle ! (…) Les juges ont su ça, c'était du pain bénit pour eux."
La justice confirme avoir trouvé l'attitude de Lola Montemaggi "préoccupante" lors de son audience face au juge des enfants, le 11 janvier. "Elle se disait malade, ne souhaitant pas qu'on s'immisce dans sa vie ni dans celle de sa fille, rapporte le procureur de la République d'Epinal, Nicolas Heitz, lors d'un point-presse. Elle a par ailleurs indiqué fin décembre 2020 qu'elle allait vider son appartement et vendre ses meubles avec comme projet de partir en camping-car avec sa fille dans le but de passer en dessous des radars de la société."
Un signalement reçu par le parquet d'Epinal, fin décembre 2020, a suscité l'inquiétude de l'autorité judiciaire, relate Nicolas Heitz. "L'enfant [est] confrontée aux violences [verbales] de sa mère à l'endroit de son conjoint, à ses propos suicidaires et à son refus de scolarisation", ce qui a motivé le placement provisoire de Mia chez sa grand-mère. Un tout autre portrait de Lola Montemaggi.
"J'ai contacté Rémy Daillet"
Au sein du groupe Telegram complotiste, les marques de soutien affluent, comme celle, cryptique, d'Alice, qui appelle chacun à "reprendre le pouvoir de [sa] Parole du Cœur". Les conseils fusent. "Fuis, cache-toi ou cache ta fille si tu sens qu'ils peuvent te l'enlever à tout moment", écrit une internaute. Le 18 janvier, en réponse à ce message, une autre adepte de la mouvance écrit : "Je [la] rejoins, ce sont aussi les conseils de Rémy Daillet."
Rémy Daillet-Wiedemann : le nom est lâché. A l'instar d'une autre sympathisante, cette adepte lui fait suivre une vidéo de plus de trois heures de cette figure du conspirationnisme français. Un entretien fleuve datant d'octobre 2020 où il est notamment question "d'un réseau pédo-sataniste extrêmement étendu" en France, dont Rémy Daillet appelle au "nettoyage ferme".
Onze jours plus tard, Lola Montemaggi écrit : "J'ai contacté Rémy Daillet, pour l'instant, j'attends leur réponse." Par la suite, la mère de Mia n'évoque plus jamais ce nom. Seule certitude : à partir du mois de janvier, elle ne répond plus "à aucune des convocations des services de la protection judiciaire de la jeunesse, ni même à celles du juge des enfants", rapporte le procureur Nicolas Heitz. Lola Montemaggi refusait de mettre sa fille à l'école et "voulait vivre en marge de la société".
La mère de Mia se connecte pour la dernière fois sur Telegram le 11 avril. Deux jours plus tard, la fillette est kidnappée. Pour Sylvain Delouvée, psychosociologue à l'université de Rennes, les discussions de Lola Montemaggi au sein de ces groupes ont pu agir comme un accélérateur de son passage à l'acte. "La personne se retrouve renforcée. C'est-à-dire qu'elle a une idée et tout le monde lui dit qu'elle est bonne, qu'elle sera capable de le faire", décrypte pour franceinfo ce spécialiste de la pensée conspirationniste.
"L'appui des réseaux sociaux numériques, d'une communauté, va permettre à certains individus de passer à l'acte peut-être plus rapidement."
Sylvain Delouvée, psychosociologueà franceinfo
Un processus que souhaite décrypter la justice française. Mise sur la piste de Rémy Daillet-Wiedemann, localisé en Malaisie, elle a délivré un mandat d'arrêt international à son encontre. L'homme "aurait joué un rôle dans l'organisation de l'enlèvement et aurait ainsi fourni les coordonnées de l'accueillante de la mère et de l'enfant à Neuchâtel", dépeint le procureur de la République de Nancy, François Perain. Dans une vidéo depuis censurée par YouTube, Rémy Daillet-Wiedemann ne nie pas une part de responsabilité. "Notre organisation libre, résistante, composée de citoyens, rend des enfants kidnappés par l'Etat à leurs parents à leur demande", se défend-il.
Mais face au Parisien, il réfute avoir eu un "contact direct avec la maman de Mia". Et si Lola Montemaggi assure sur Telegram avoir tenté de le joindre, aucun élément ne permet d'affirmer pour l'heure qu'il lui a répondu personnellement. Le nom du complotiste expatrié en Malaisie était pourtant sur toutes les lèvres du commando soupçonné de l'enlèvement de Mia, affirme à "Complément d'enquête", sur France 2, le chauffeur, seul mis en examen placé sous contrôle judiciaire et non en détention.
Alice, elle, refuse de reconnaître que son mouvement ait pu influencer Lola Montemaggi. "Elle a choisi pour elle et sa fille ce qui lui semblait le mieux face à ce qu'elle vivait comme une injustice, soutient-elle à franceinfo. Je devine que ses actions reflètent son désespoir de mère qui n'a pas dû se sentir entendue en amont."
"Je me garderai bien de juger ses actes ainsi que leurs conséquences."
Alice, cofondatrice du mouvement One Nationà franceinfo
Quant aux cinq hommes soupçonnés d'avoir participé au kidnapping, ils risquent la réclusion criminelle à perpétuité. Mia a été remise lundi 19 avril à sa grand-mère maternelle, qui a été désignée "tiers de confiance" par la justice.
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