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"L'affaire Cassez est représentative de milliers de cas d’injustice au Mexique"

Tortures, preuves falsifiées, témoignages inventés... Anne Vigna, journaliste au Mexique pendant huit ans et auteure d'un livre sur la justice mexicaine, dresse un état des lieux du pays alors que Florence Cassez vient d'être libérée. 

Article rédigé par Emma Defaud - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des juges de la Cour suprême du Mexique, le 23 janvier 2013. (YURI CORTEZ / AFP)

Après plus de sept ans de prison au Mexique, la Française Florence Cassez a été libérée, mercredi 23 janvier. Au terme d'un feuilleton judiciaire à rebondissements multiples, le Cour suprême du pays a annoncé que "le jugement [était] annulé, le recours [était] accordé et la liberté absolue de Florence Cassez [était] ordonnée".

Anne Vigna a travaillé comme journaliste pendant huit ans au Mexique avant de prendre la direction du Brésil il y a deux ans. Elle a bien connu Florence Cassez et continue de se rendre régulièrement au Mexique. Elle est l'auteure d'un livre sur la justice du pays, Peines mexicaines, Florence Cassez, Jacinta, Ignacio et les autres (Editions First, 2009). 

Francetv info lui a demandé de dresser un état des lieux de la justice dans le pays.

Francetv info : Cette libération immédiate vous surprend-elle ?

Anne Vigna : Pas vraiment. Cela fait à peu près un an et demi que plusieurs spécialistes qui ont travaillé sur son dossier ont reconnu les irrégularités. Le 21 mars 2012, quatre des cinq juges de la Cour suprême avaient même officiellement reconnu des erreurs dans la procédure. Mais seuls deux juges avaient demandé la libération immédiate de Florence. On savait donc qu'on avançait de ce côté.

L'apaisement du climat politique a été décisif. Nicolas Sarkozy et Felipe Calderon, les présidents précédents, étaient crispés sur ce dossier. Le changement de responsable à la tête de l'Etat a joué un rôle.

Enfin, Genaro García Luna, le responsable de l’arrestation montée de toutes pièces en 2005, n'est plus au pouvoir depuis la fin de l'année dernière. Cet ancien ministre de la sécurité publique - l’équivalent de notre ministre de l’Intérieur - vit aujourd’hui aux Etats-Unis. Il a beaucoup de casseroles derrière lui et il n’a pas eu d’autre choix que de quitter le Mexique. Il faisait pression sur les juges et son départ a débloqué la situation. 

Est-ce que le cas Cassez est représentatif des problèmes de justice ?

Oui, dans le sens où il y a eu tortures, preuves falsifiées, témoignages inventés, il est représentatif de milliers de cas d’injustice au Mexique. Le dossier de Florence Cassez était vide, mais elle a pourtant été condamnée par trois instances différentes. C’est le cas de beaucoup de monde au Mexique. 

La justice est-elle en train de changer ? 

Le pays est en train de prendre conscience de ce problème. De plus en plus de personnes parlent et tentent de se défendre. En ce sens, Florence Cassez a été un  exemple, mais c’est plus "facile" pour elle, dans la mesure où elle a reçu le soutien de son pays.

Un documentaire sur la justice appelé Présumés coupables a aussi fait réfléchir beaucoup de gens. Il a eu un immense succès au cinéma avant d'être mis en ligne sur internet. Ça a réveillé les gens.

C'est très bon signe !

Malheureusement, on ne peut pas dire que la situation évolue tant que ça. La police et la justice n’ont pas changé pour l’instant. Dans mon livre, j'évoque le cas de trois femmes condamnées à vingt-cinq ans de prison pour le kidnapping de policiers. Quand on enquête, on s'aperçoit finalement que les policiers ont monté le coup pour se venger après qu'un village n'a pas accepté de se faire racketter.

Ce qui est sûr, c’est que la Cour suprême reconnaît quand il y a eu violation des droits et libère les prisonniers. Elle joue son rôle. Et c'est le cas dans les trois affaires que je relate dans mon livre : les victimes ont été condamnées par la justice, parfois plusieurs fois. Puis innocentées, des années plus tard, par la Cour suprême.

Quoi qu'il en soit, dans tous les cas, les policiers n’ont jamais été condamnés et ils continuent d’exercer leurs fonctions, que ce soit les policiers de base comme les hauts responsables. 

Peut-on penser que la personnalité du nouveau président va aider à faire évoluer la situation ?

Alors là, je suis très sceptique. Ce président, Enrique Peña Nieto, est mêlé à l'une des pires violations des droits de l’homme du pays. Il était gouverneur de l'Etat de Mexico, quand, à Atenco, 35 femmes ont été violées par les policiers. Une centaine de personnes ont été arrêtées et ont subi des tortures, dont des tortures sexuelles pour les femmes. Il s'agissait d'une communauté qui luttait contre l’implantation d’un aéroport sur ses terres, un peu comme à Notre-Dame-des-Landes. Et des peines ont été prononcées, jusqu’à cent vingt ans de prison. Les quatorze derniers prisonniers ont été libérés par la Cour suprême en 2010. 

L'actuel président, alors gouverneur, avait ordonné la répression et les arrestations. Il n'a reconnu que très tardivement, acculé pendant la campagne présidentielle, qu’il y a avait "peut-être" eu des violations.

Mais dans le cas de Florence Cassez, il y avait une volonté d'apaiser les relations diplomatiques avec la France et il a garanti aux juges l’indépendance de leur décision.

Qu'est devenu Israel Vallarta, le petit ami de Florence Cassez, accusé d'être le cerveau du "gang du Zodiaque" à l'origine des kidnapping ?

Il est depuis sept ans en prison de haute sécurité, réservée aux plus grands narcotrafiquants. Il n'a jamais été jugé. Nous, le petit groupe de journalistes français qui avons travaillé sur ce cas, pensons que la bande du Zodiaque n’a jamais existé et qu'Israel Vallarta est aussi une victime.

Mais il est très difficile d’enquêter : impossible de lui parler ou de le rencontrer. La seule fois où nous avons pu entrer en contact, il en a payé chèrement les conséquences. En tout cas, nous n'avons rien trouvé contre lui.

Et son dossier semble bien vide. Il n'avoue que dans sa première déclaration, faite sous la torture, une torture reconnue noir sur blanc par une procédure judiciaire de la Commission des droits de l’homme. Israel dit qu'ils menaçaient aussi de violer Florence Cassez cantonnée dans une camionnette à proximité, s'il n'avouait pas.

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