"En France, les droits de l'Homme sont perçus comme des choses qui gênent le travail de la police", estime le sociologue Sebastian Roché
Le Conseil d'Etat a annulé jeudi des dispositions du schéma national du maintien de l'ordre, dont le recours à la technique de "la nasse" ou l'obligation faite aux journalistes de quitter les lieux lors de la dispersion des manifestations.
L'annulation jeudi 10 juin par le Conseil d'Etat de plusieurs dispositions phares du schéma de maintien de l'ordre est "une petite claque" pour Gérald Darmanin, estime Sebastian Roché, sociologue et spécialiste des questions de police et de sécurité, sur franceinfo vendredi 11 juin. Il estime cependant que le gouvernement "va vouloir maintenir autant qu'il peut ses objectifs".
L'auteur de l'ouvrage "De la police en démocratie" (Grasset, 2016) regrette qu'en France, "les droits de l'Homme soient perçus comme des choses qui gênent le travail de la police", contrairement aux pays nordiques qui ont "une culture des droits beaucoup plus importante".
franceinfo : Est-ce un véritable désaveu pour le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin ?
Sébastien Roché : Oui, c'est quand même une petite claque, disons. Mais ça reste un système d'ajustement : le gouvernement va vouloir modifier le texte parce qu'il ne peut pas faire autrement, mais en même temps, il va vouloir maintenir autant qu'il peut ses objectifs.
La place Beauvau estime que la technique de la nasse, dite de l'encerclement, n'est pas interdite, mais qu'il va falloir en préciser les conditions. Cela veut dire que sur le terrain, les choses vont rester les mêmes ?
Il y a les textes et la pratique. Prenons l'exemple de la discrimination : elle est illégale. Or, la police a été condamnée pour discrimination plusieurs fois par les plus hautes instances juridiques françaises. Donc, il y a le texte, et puis ensuite, il y a la pratique. Ce qu'on peut rappeler sur le schéma national, c'est qu'il a été produit parce qu'il y a eu de nombreux dommages infligés au public par la police française. Il y a eu 30 mutilations et un mort en six mois pendant le mouvement des gilets jaunes. C'est ça qui a provoqué une crise, qui elle-même a débouché sur la tentative, pour la première fois, de coucher par écrit les règles du maintien de l'ordre en France. C'est un premier effort de codification qui reste bienvenu. Mais maintenant, ce qu'il faudrait, c'est que la codification protège l'équilibre entre les droits des manifestants et la tranquillité publique de la protestation, ce qu'arrivent bien à faire les pays nordiques.
Pourquoi, en France, on n'y arrive pas ?
Parce que les pays nordiques ont une culture des droits beaucoup plus importante. C'est-à-dire que les droits des individus, les droits fondamentaux, les droits de l'Homme sont enseignés dans les écoles de police comme un élément essentiel. Et ils sont défendus par les ministères de l'Intérieur ou de la Justice comme un élément central. En France, les droits de l'Homme et les libertés fondamentales sont perçus comme des choses qui gênent le travail de la police. Donc ça, c'est une différence culturelle qui, à mon avis, doit être travaillée par le débat public, par les émissions de la presse, par les rencontres avec le ministère de l'Intérieur.
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