Violences policières : quatre questions sur les récépissés de contrôle d'identité, réclamés par une partie de l'opposition
De nombreuses personnalités de gauche, ainsi que des associations et le Défenseur des droits, réclament une meilleure "traçabilité" pour lutter contre les contrôles au faciès.
C'est le retour d'un serpent de mer. En plein débat sur le racisme au sein de la police et de la gendarmerie, plusieurs responsables politiques, associatifs et institutionnels relancent le débat sur la délivrance d'un reçu à l'occasion de chaque contrôle d'identité par les forces de l'ordre. L'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, dont le gouvernement avait pourtant enterré cette proposition en 2012, a lui-même appelé, mardi 9 juin, à "ne pas avoir peur d'aborder la question du récépissé". Comme ses prédécesseurs place Beauvau, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner s'est dit défavorable à un tel dispositif, jugé contraignant et potentiellement attentatoire aux libertés individuelles, voire contre-productif. Voici quelques clés de lecture pour comprendre ce débat.
En quoi consiste ce dispositif ?
En juin 2012, après l'élection de François Hollande, Jean-Marc Ayrault promet la mise en place d'un système de "reçus" adressés aux personnes contrôlées. Objectif du gouvernement, qui prend ses fonctions quelques mois après une polémique sur les contrôles au faciès : éviter à un même individu d'être contrôlé "trois ou quatre fois" dans la même semaine et ainsi permettre aux policiers de "retrouver la confiance et le respect" de la population.
Cette mesure s'inspire de dispositifs existant à l'étranger, notamment au Royaume-Uni, où chacun peut réclamer un document sur lequel figurent le numéro de matricule de l'agent, le motif, la date ou encore l'heure du contrôle. Les policiers gardent une copie de chaque exemplaire.
La solution du récépissé "apparaît, par ses seuls effets mécaniques, comme une source de réduction du nombre des contrôles et, par suite, du nombre de contrôles abusifs", soulignait le Défenseur des droits dans un rapport sur le sujet en 2012. Il se montrait ouvert à une expérimentation du dispositif, même s'il "ne règle pas au fond le problème des contrôles discriminatoires lorsqu'ils se produisent".
"Le terme de récépissé, fréquemment utilisé dans ce débat, recouvre en fait des procédés et des pratiques très diverses", notait le Défenseur des droits. Il peut s'agir de "la remise d'un document à la personne contrôlée, sans que le contrôleur n'en conserve la trace", ce qui "écarte toute constitution de fichier" mais permet "une faculté accrue de contestation" du contrôle. Autre option : "La remise d'un document au contrôlé" accompagnée de l'"enregistrement de données par les pouvoirs publics", ce qui "offre la faculté complémentaire d'engager des analyses globales de l'activité policière".
Pourquoi le projet a-t-il été enterré par le passé ?
En 2012, l'annonce de Jean-Marc Ayrault sur les récépissés avait aussitôt suscité la colère des syndicats de police. "On stigmatise la police comme étant une police raciste", dénonçait Alliance. "Les voyous contrôlés le matin brandiront un récépissé le reste de la journée et on ne pourra plus les contrôler", redoutait Synergie-Officiers. Le ministre de l'Intérieur lui-même, Manuel Valls, avait émis des doutes sur ce dispositif qui pourrait "tourner au ridicule" et "serait inopérant". "Je ne vois pas, à ce stade, comment ça marche", avait-il critiqué.–
Après quatre mois d'atermoiements, et malgré le soutien d'une grande partie de sa majorité, le chef du gouvernement finit par renoncer aux récépissés, en septembre 2012.
Il s'est avéré – je fais toute confiance à Manuel Valls, qui m'a convaincu – que ce n'était pas la bonne réponse.
Jean-Marc Ayraultsur France 2
Quelques jours plus tôt, son ministre de l'Intérieur avait répété que la décision de les mettre en place "serait beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer".
Malgré ce premier enterrement, plusieurs ministres (Cécile Duflot, Benoît Hamon, François Lamy...) continuent de se prononcer en faveur d'une expérimentation du dispositif. Et, en 2016, c'est à l'Assemblée nationale que le projet refait surface, porté notamment par Benoît Hamon, redevenu député. Le texte rencontre l'opposition de la droite et du gouvernement. Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, met en garde contre une "théorisation de la consubstantialité de la violence dans la police" et insiste sur le "contexte" déjà difficile pour la police face au terrorisme. Les amendements sont largement rejetés et l'idée de nouveau enterrée.
Comment expliquer son retour dans le débat ?
Lundi 8 juin, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a annoncé plusieurs mesures pour lutter contre les violences et le racisme au sein de la police et de la gendarmerie. Il a reconnu que les contrôles d'identité étaient "parfois perçus comme ciblés" et a annoncé l'envoi d'une instruction aux forces de l'ordre pour "rappeler le cadre des contrôles d'identité et veiller à ce qu'ils ne soient jamais le paravent des discriminations".
Insuffisant, selon plusieurs associations et membres de l'opposition. "Il faut l'instauration du récépissé de contrôle que nous demandons chez SOS Racisme depuis quinze ans", a réclamé son président, Dominique Sopo, mardi, sur France Bleu. Même demande pour la Ligue des droits de l'homme, le syndicat étudiant Unef et plusieurs élus de La France insoumise. Le député de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel s'est dit prêt à "relancer" sa proposition de loi pour l'expérimentation du récépissé, qui avait été rejetée en 2018.
On a proposé une solution assez simple, qui se fait ailleurs, qui ne nécessite pas de fichier. Un policier est obligé de remplir un formulaire, d'abord pour réfléchir aux raisons pour lesquelles il demande une pièce d'identité.
Eric Coquerelsur BFMTV
L'ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira a également appelé, dans Le Journal du dimanche, à "mettre en place les récépissés", qui ont une "force symbolique" pour les jeunes les plus exposés aux contrôles. Benoît Hamon a, lui aussi, défendu cette idée, qu'il avait fait figurer dans son programme de candidat à la présidentielle de 2017.
Mais le premier à avoir relancé l'idée est le Défenseur des droits, Jacques Toubon, même si le système de récépissé "n'est pas la panacée". Jacques Toubon réclame malgré tout "une forme de traçabilité" des contrôles policiers. Selon lui, une modification du Code de procédure pénale permettrait de généraliser le dispositif de contrôle des attestations dérogatoires qui a été mis en place lors du confinement, avec des statistiques à la clé. "Ça n'a posé aucun problème à la police et à la gendarmerie", relève-t-il. Cet exemple a démontré que "les outils technologiques existent", ajoute Jacques de Maillard, politologue spécialiste de la police au CNRS, dans Ouest-France.
Qu'en pense le gouvernement ?
Dès sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s'est dit contre "la politique de récépissé" lors des contrôles d'identité. "C'est une fausse bonne idée, a-t-il ensuite défendu, en octobre 2017, une fois élu. Dans les quartiers dits difficiles, le jour d'après, il y aura des trafics au récépissé. Et là où la défiance et la conflictualité s'est installée, elle sera nourrie par cette procédure."
Interrogé sur les récépissés, Christophe Castaner s'est retranché derrière "le souvenir des réserves évoquées par la Cnil". "Toute la difficulté de la traçabilité, c'est que vous faites un fichier de toutes les personnes contrôlées et de l'endroit où vous les avez contrôlées", a-t-il répondu. Reconnaissant n'être "pas favorable au récépissé", le ministre s'est dit partisan d'une traçabilité des contrôles d'identité "en volume", mais pas "de façon individuelle". Surtout, il a dit vouloir voir les policiers "dans la rue" et non au bureau, occupés à "faire des rapports".
"Un contrôle d'identité ne peut pas être un délit de sale gueule (...) L'évaluation des agents par le nombre de contrôles d'identité est supprimée, car elle n'a aucun sens (...) Je ne suis pas favorable au récépissé"
— RMC (@RMCinfo) June 9, 2020
@CCastaner ministre de l'Intérieur#BourdinDirect pic.twitter.com/Q6UNKQHkjL
Christophe Castaner estime que la solution aux contrôles au faciès est ailleurs. Il a rappelé aux policiers et gendarmes l'obligation - instaurée en 2014 par Manuel Valls - du port apparent du matricule RIO. Il a aussi demandé "que l'usage des caméras piétons soit renforcé lors des contrôles d'identité". En 2015, sur RFI, Manuel Valls, devenu Premier ministre, promettait déjà de "généraliser" ce dispositif, qu'il jugeait "beaucoup plus efficace" que le récépissé.
"On reste donc dans la logique Valls, à savoir 'Qu'est-ce qu'on fait pour ne pas parler des récépissés', analyse pour franceinfo le spécialiste du droit pénal et de la police Olivier Cahn. On sait très bien que le seul moyen de lutte efficace est le récépissé. L'argument de la Cnil est juste un outil de justification pour Christophe Castaner. Ce qui bloque vraiment, ce sont les syndicats de police, qui y voient une mise en cause des pratiques de la police et ne veulent toujours pas en entendre parler."
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