Saisie de cocaïne : "La France est devenue intéressante pour les narcotrafiquants"
La police française a saisi en septembre 1,3 tonne de cocaïne dans un avion Air France venant du Venezuela. Mohamed Douhane, du syndicat de police Synergie Officiers, explique pourquoi l'Hexagone est une plateforme de choix.
Cinquante millions d'euros à la revente – quatre fois plus au détail. La police française a saisi, début septembre, 1,3 tonne de cocaïne pure à bord d'un avion Air France en provenance du Venezuela. L'opération a été révélée samedi 21 septembre. Pourquoi les narcotrafiquants choisissent-ils la France ? Comment une telle quantité de drogue a-t-elle pu déjouer les contrôles de sécurité ? Explications de Mohamed Douhane, commandant de police et secrétaire national au sein du syndicat Synergie Officiers.
Francetv info : Cette saisie record est-elle la preuve d'un intérêt grandissant des narcotrafiquants pour la France ?
Mohamed Douhane : Il s'agit d'une saisie exceptionnelle, mais pas si surprenante sachant que la France est devenue une cible particulièrement intéressante pour les narcotrafiquants. Le marché américain, le premier en matière de consommation de cocaïne, est en voie de saturation en raison de sa proximité avec la Bolivie et la Colombie, qui sont des pays producteurs. Depuis quelques années, les trafiquants de drogue privilégient la France car c'est un autre pays situé sur les grands axes de transit intra et extracommunautaire. Sa position centrale en Europe la rend attractive – et vulnérable – et ses territoires d'outre-mer servent aussi à faire transiter des stupéfiants.
Francetv info : Cette cocaïne était-elle destinée aux Français ?
Une partie de la cocaïne saisie à Roissy-Charles-de-Gaulle était destinée à d'autres pays européens, mais il faut savoir qu'en France, sa consommation a explosé ces dernières années. Auparavant liée au milieu du showbiz, elle s'est démocratisée et touche de plus en plus de jeunes, notamment des lycéens scolarisés dans des établissements huppés de la capitale, ou des jeunes cadres dynamiques qui l'utilisent comme stimulant. Cette diversification est liée à la baisse du prix de la cocaïne, de plus en plus coupée : le gramme est passé de 120 euros dans les années 90 à 40 euros aujourd'hui.
La consommation de cannabis se stabilise en France, mais celle de la cocaïne est exponentielle, notamment parce que l'action sanitaire n'est pas à la hauteur, en matière de prévention par exemple. Comme c'est une source de profit considérable, une partie des dealers de cannabis ont compris l'intérêt de diversifier leur activité et se sont lancés dans le trafic de cocaïne. On estime à 3 milliards d'euros par an les bénéfices liés à la cocaïne, l'héroïne et le cannabis.
Qu'en est-il des saisies effectuées en France, sont-elles en hausse ?
Elles se sont multipliées, avec quatre tonnes de cocaïne saisies depuis le début de l'année 2013 et davantage de réseaux démantelés que l'année précédente. La preuve, outre l'efficacité des services de police, que le trafic augmente.
Mais la coopération internationale, indispensable pour démanteler des réseaux de grande ampleur, a été renforcée ces dernières années dans l'intérêt de tous les pays, particulièrement ceux que l'on sait sensibles à la corruption, comme le Venezuela.
Comment une telle quantité de drogue a-t-elle pu se retrouver dans un avion Air France ?
Il va falloir déterminer s'il y a eu d'éventuelles complicités au sein de la compagnie aérienne, avec des policiers ou militaires vénézuéliens – certains ont d'ailleurs été interpellés dimanche – sachant le niveau de corruption des autorités dans ce pays. Le Venezuela est un pays non-producteur, mais souvent traversé par les narcotrafiquants pour acheminer de la cocaïne vers l'Europe. Trente valises remplies de drogue et n'appartenant à aucun passager enregistré, c'est surprenant, et peu probable que cela n'ait pas attiré l'attention, à un moment donné, des employés de l'aéroport de Caracas, d'Air France ou de Roissy-CDG.
Les narcotrafiquants ont des stratégies bien rodées, et font souvent preuve d'une très grande imagination. S'ils ont placé autant de drogue dans des valises non identifiées, peut-être étaient-ils persuadés que la cocaïne arriverait à bon port sans coup férir. La source du pacte de corruption paraît être installée à Caracas, mais je me pose la question : est-ce que des fonctionnaires sur place auraient pu, seuls, acheminer des quantités aussi importantes de cocaïne sans la complicité de personnel non-vénézuélien ?
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