Comment j'ai surmonté mon stress post-attentats de Paris
C'était le 5 décembre. Ce soir-là, cédant à une panique inexplicable, je me suis subitement ruée hors d'une rame de métro, après que le wagon a stationné quelques minutes avant la station Châtelet, à Paris. Le conducteur a pris la parole, évoquant "un problème de sécurité".
Mon cerveau s'est emballé. J'ai pensé à une bombe. Après plusieurs secondes d'hésitation, j'ai bondi de ma place et me suis retrouvée sur le quai, le cœur battant à tout rompre. L'alarme a sonné, les portes se sont fermées, et le métro est reparti sans incident. Sur le quai, j'ai ri nerveusement. Et pris le métro suivant.
J'ai d'abord gardé l'anecdote pour moi, jugeant ma réaction disproportionnée. Les attentats, je ne les ai vécus qu'en tant que journaliste. Jusque-là, je pensais avoir géré ma tristesse. J'étais en réalité bien plus remuée que je ne l'imaginais. Ce n'est que lorsque j'ai commencé à raconter la scène que j'ai réalisé que ce traumatisme était partagé.
Larmes, cauchemars et peur du métro
Dans mon entourage parisien et francilien, les signes d'anxiété des uns et des autres se sont vite accumulés. Parmi mes amis, Aurélie n'a "pas arrêté de chialer" pendant la première semaine, sans pouvoir lever son nez des informations. Orthophoniste dans l'ouest de l'Ile-de-France, elle a multiplié les cauchemars pendant les quinze jours qui ont suivi les attaques.
C'étaient des rêves violents, de poursuites. Dans l'un d'eux, il y avait une prise d’otages au cabinet, le mec était armé et il y avait une histoire de rançon.
Au travail, des collègues m'ont raconté avoir paniqué au cinéma, passant parfois la séance à scruter les spectateurs pour repérer d'éventuels terroristes. Une autre, Anna (prénom d'emprunt), a adopté une technique censée lui sauver la vie dans le métro : "Je me mets dans le wagon de tête ou le wagon de queue, car je me dis que si quelqu'un doit se faire exploser, il le fera plutôt au milieu..." En me confiant le stratagème, elle s'est inquiétée de "donner des idées aux terroristes".
En proie au stress post-traumatique
Si l'on en croit la psychologue Karin Teepe, toutes ces anecdotes, glanées au fil des discussions, sont autant d'expressions d'un stress post-traumatique qui peut durer plusieurs mois. Au lendemain des attentats, ses patients aussi n'ont eu que les attentats à la bouche. "Ils m'en ont tous parlé. Et ils étaient tous dans une attitude de choc", observe-t-elle.
Ce stress aigu peut se manifester de multiples façons. Karin Teepe identifie ainsi six symptômes "révélateurs de traumatismes", surtout s'ils apparaissent ensemble : un sommeil perturbé (insomnies, cauchemars...), des pensées persistantes (de mort, de sang...), un sentiment de culpabilité, des difficultés de concentration, un comportement distrait ou encore des peurs liées au quotidien (aller dans la rue, prendre les transports en commun...).
Je peux cocher au moins trois de ces symptômes, les plus prononcés étant les peurs diverses et les pensées de mort. Je ne me trouvais pourtant ni au Bataclan, ni aux terrasses des cafés visées. Et je ne connais aucune victime ni aucun blessé. Alors comment ai-je pu être autant atteinte par quelque chose que je n'ai vécu qu'à distance ?
"On peut tous s'identifier à cela"
Pour Benoît Henaut, l'explication de cette tristesse, longtemps ressentie après les attentats, tient d'abord à la violence des événements. "On n'a pas le temps de se préparer à cet amas brutal d'informations. Cela nous court-circuite. Du coup, cet amas, qui n'a pas pu être traité, tourne en boucle. On peut donc avoir des images, des émotions ou des sensations physiques qui reviennent", détaille ce psychologue. Certaines personnes vont parfois tout faire pour éviter de les revivre.
C'est le cas de Davide, un Italien installé à Paris depuis 2014. Depuis les attentats, ce chercheur évite toutes les situations et les lieux qu'il juge "dangereux". Il ne s'éloigne plus de chez lui. Se déplace moins en métro. A refusé de se rendre à une fête organisée à Châtelet. "Ma vie sociale a changé", reconnaît-il. Impossible de retrouver la tranquillité. Au téléphone, il répète plusieurs fois ne plus se sentir en sécurité dans la capitale française. "Il y a eu deux attentats en dix mois. Et on oublie les incidents survenus entre-temps. En probabilité, c'est énorme !" s'exclame-t-il, avant de déclarer qu'il songe à repartir en Italie.
Comme moi, Davide ne connaissait personne parmi les victimes et n'était pas sur les lieux touchés. Mais selon Benoît Henaut, rien n'empêche des personnes non impliquées d'expérimenter un tel stress. Dans notre cas, ce qui s'est joué relève d'une "mise en relation symbolique".
On va vivre l'événement, s'identifier. Et plus c'est proche de nous, plus on le ressent. Là, c'était à Paris, à des terrasses de café, à un concert. Bref, c'est nous. D'ailleurs, c'est ce que tout le monde dit : 'Je connaissais le bar', 'j'aurais pu y être'. On peut tous s'identifier à cela.
Après les attentats, l'attention accrue aux bruits
Dès lors, l'anxiété apparaît et avec elle, l'hypervigilance. C'est ce que j'ai expérimenté le 25 janvier, lors d'un concert, mon premier depuis la prise d'otages meurtrière au Bataclan. J'ai pensé aux attentats tout du long, de l'instant où nous avons été fouillés jusqu'à la sortie sur le trottoir.
A l'intérieur, notre groupe s'est volontairement posté près d'une issue de secours. J'ai imaginé comment je pousserais mes amis vers la sortie si quelque chose arrivait. J'ai guetté plusieurs fois de potentiels coups de feu alors que les musiciens jouaient.
Les bruits semblent parfois devenus une obsession. Sur les réseaux sociaux, les messages inquiets se multiplient dès qu'une personne entend des sirènes de police ou de pompiers.
Il se passe quelque chose à #Paris ? Sinon, pourquoi les sirènes des camions de pompiers retentissent et leurs véhicules roulent depuis 2 h
— Laure LAHAYE (@LaureLAHAYE) January 31, 2016
Moi j'ai remarqué que depuis les attentats y'a pas une journée sans entendre les sirènes...
— El pocho' (@gabriel_perrot) January 28, 2016
C'est moi ou depuis les attentats, les pompiers à Paris n'arrêtent plus de faire sonner leurs sirènes ? #jevaispeteruncable
— Alexandre Warisse (@awarisse) December 12, 2015
Sur Facebook, une amie m'a raconté cette scène, qui résume à elle seule notre attention accrue au bruit.
Avant les attentats, je n'avais jamais vraiment entendu le bruit d'une kalachnikov. J'étais surprise que ça fasse un si "petit" bruit (...) L'autre jour, j'ai entendu un bruit similaire dans la rue alors que j'étais chez moi. J'ai ouvert la fenêtre, réentendu le bruit... J'ai ouvert un site d'info et j'ai rafraîchi la page toutes les minutes, persuadée que j'allais y lire 'URGENT, prise d'otage dans le 18e'. Bien sûr, il ne s'est rien passé. C'était sûrement un bruit venant des travaux d'à côté.
Le Huffington Post nous apprend que, même plusieurs mois après, cette attitude n'a rien de surprenant après un tel événement. "La vie a repris son cours, mais le traumatisme est toujours là. En si peu de temps, ce n'est pas intégrable", décrypte la psychiatre Muriel Salmona. Une sirène de police ou un bruit sourd fonctionnent comme des réminiscences et nous rappellent l'événement. Notre cerveau n'a pas encore oublié la soirée du 13 novembre lors de laquelle les sirènes hurlaient partout dans Paris.
Esprit agité, corps bloqué
Notre corps non plus. Pendant trois mois, j'ai souffert du dos et de l'épaule droite. J'ai aussi réalisé qu'une douleur apparaissait dans mes côtes lorsque je respirais dans des situations de stress. A en croire Stéphane Frigola, un ostéopathe dont le cabinet est situé à 150 mètres du Bataclan, je ne suis pas seule. Le praticien a reçu beaucoup de patients dans mon cas, "un bon mois après les attentats".
Dès décembre, des patients sont venus me voir pour des douleurs mécaniques : ils se plaignaient des cervicales, des lombaires, du genou aussi. Tous m'ont dit que le facteur déclenchant avait été les attaques du 13 novembre. En fait, ils somatisaient.
Ayant remarqué le même phénomène après les attaques du 7 janvier contre Charlie Hebdo, le praticien n'a pas été surpris. "J'avais moi-même une boule dans le ventre en revenant le lundi au cabinet. Je comprends que ce stress se soit répercuté sur mes patients", reconnaît-il. Pour lui, les attentats de Paris ont agi comme dans le cas d'un divorce, d'une perte de travail ou de la mort d'un proche. Reste que cette fois-ci, le nombre de patients évoquant les attentats a été plus important qu'en janvier 2015.
"Certains se sont effondrés devant moi, raconte Stéphane Frigola. Je m'occupe souvent de parents et pour beaucoup, le plus dur, c'était les enfants. Ils s'inquiétaient du monde dans lequel ils allaient être élevés." L'ostéo a écouté, puis s'est attelé à régler la douleur ainsi que "les éléments où le stress peut s'accumuler", comme le plexus solaire ou le crâne. "En une ou deux séances, c'était réglé."
Surmonter l'angoisse de mort
Les pensées négatives mettent, elles, plus de temps à se dissiper, d'autant que le discours officiel est loin d'être optimiste. Selon le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, onze attentats ont été évités en 2015. Le Premier ministre, Manuel Valls, a renchéri en février, rapportant que l'état d'urgence avait permis de déjouer une attaque, et répétant sa "certitude" que nous aurions à affronter "d'autres attentats d'ampleur" en Europe. "On te dit que ça va recommencer, que la menace est super élevée... Ça n'aide pas", se désole Anna, pour qui "la menace imprévisible" est encore compliquée à gérer.
La violence de ces attentats a été de nous rappeler que l'on pouvait tous mourir demain. Ce n'est plus une question d'être juif ou caricaturiste. On peut désormais être tué en allant au stade, à un concert, à un dîner, lors d'une fête avec ses amis. Voilà l'angoisse qui m'occupe depuis le 13 novembre et a sous-tendu toutes mes autres peurs.
Pour Karin Teepe, tel était le but de ces attaques. "Des attentats comme ceux-là sont faits pour terroriser les victimes et les personnes autour", rappelle la psychologue. Mais comment surmonter cette angoisse existentielle ? "Cela ne s'appréhende pas en un claquement de doigts", sourit-elle.
"On ne peut pas accepter comme ça de mourir. C'est quelque chose de très angoissant", insiste-t-elle. Pour la spécialiste, réfléchir à la mort, par le biais de la lecture ou de discussions entre amis, peut aider à avancer. Sur ce point, je ne peux que vous suggérer de regarder les deux saisons de la série The Leftovers, conseillée par notre blog Pop Up'. Déprime garantie, certes, mais incroyable effet cathartique me concernant ! Je l'ai finie le 7 février, et je vais mieux depuis.