Cet article date de plus de sept ans.

Jawad Bendaoud, l'étrange logeur des terroristes du 13-Novembre, est de retour devant les juges

Il doit comparaître jeudi devant le tribunal de Bobigny pour une affaire annexe de trafic de stupéfiants.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Jawad Bendaoud sur BFMTV, le 24 novembre 2015, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (BFMTV / AFP)

Son compte Twitter parodique était encore actif début janvier, plus d'un an après son arrestation dans le cadre des attentats du 13-Novembre : "Ne vous inquiétez pas si la Coupe du monde 2026 a lieu en France, j'ai de quoi loger tout le monde, wallah !" Jawad Bendaoud ne s'est fait oublier ni des internautes, ni de la justice. En détention provisoire depuis le 24 novembre 2015, ce Franco-Marocain de 30 ans doit comparaître, jeudi 26 janvier, devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour une affaire annexe de trafic de stupéfiants. "Un dossier inintéressant, qui se résume à 20 grammes de cocaïne", glisse une source judiciaire à franceinfo.

Les médias s'annoncent pourtant nombreux à l'audience. Jawad Bendaoud est devenu célèbre malgré lui depuis que la France a découvert son visage enfariné au lendemain de l'assaut dans un appartement de Saint-Denis, le 18 novembre 2015. Le jeune homme aux cheveux noirs gominés, lunettes sur le nez et doudoune sur le dos, déclarait benoîtement sur BFMTV ne rien connaître de l'identité de ses trois locataires, le jihadiste Abdelhamid Abaaoud, sa cousine Hasna Aït Boulahcen et son complice Chakib Akrouh. "On m'a demandé de rendre service, j'ai rendu service, monsieur. Je ne savais pas que c'étaient des terroristes", soutenait-il face à la caméra, avant d'être arrêté en direct par les policiers.

Un guignol au lourd passé judiciaire

Les réseaux sociaux se sont aussitôt emparés de ce personnage à mi-chemin entre un Richard Virenque pris en faute – "à l'insu de son plein gré" – et un guignol exutoire. Des détournements en pagaille, jusqu'à la création d'une "pyjama party chez Jawad" sur Facebook, ont fait sourire le pays entier, éloignant quelques instants le traumatisme causé par les attentats les plus meurtriers de son histoire.

Si Jawad Bendaoud est bel et bien un bouffon, son profil n'en est pas moins inquiétant. Preuve en est son lourd passé judiciaire. En 2008, il est condamné à huit ans de prison pour avoir poignardé malencontreusement son "meilleur ami", âgé de 16 ans. La scène se déroule au lendemain de Noël, le 26 décembre 2006, rue du Corbillon, celle-là même où, dix ans plus tard, Chakib Akrouh a actionné sa ceinture d'explosifs, tuant ses deux comparses dans "l'appartement conspiratif". Jawad Bendaoud, alors âgé de 22 ans, poursuit, avec un hachoir volé dans une boucherie, un autre jeune pour une histoire de téléphone portable volé. Son ami David s'interpose et reçoit un violent coup de tranchoir dans le thorax. Il meurt quelques minutes plus tard. 

Une personnalité "impulsive et très nerveuse"

Au procès, Jawad Bendaoud est décrit par un chroniqueur comme "une boule de nerf", qui "bouillonne" dans le box. Si l'accusé se défend d'avoir voulu tuer son ami, il reste "dans un discours de déresponsabilisation", selon l'avocat général, qui dépeint une personnalité "impulsive et très nerveuse". Reconnu coupable de "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner", il ressort de prison en septembre 2013. Troisième d'une fratrie de cinq enfants, Jawad Bendaoud retourne vivre chez ses parents boulevard Carnot, à l'angle de cette même rue du Corbillon, carrefour de ses ennuis. Son père est sans-emploi, sa mère, ancienne nourrice, des "gens gentils", selon une voisine interrogée par Le Parisien.

Libéré pour bonne conduite, selon Le Figaro, Jawad Bendaoud retombe vite dans la délinquance et règne sur son quartier comme un "petit caïd". En 2014 et 2015, il écope de nouvelles peines de prison pour différents trafics. Au total, liste le quotidien, Jawad Bendaoud a cumulé pas moins de 13 condamnations pour des faits liés aux stupéfiants, détention d'armes aggravée en réunion, faux et usage de faux, conduite en état d'ivresse, violences conjugales ou encore violences aggravées en réunion.

Homme de main de marchands de sommeil

"Il est à la fois bête, violent et dangereux", confiait au journal la mairie de Saint-Denis en novembre dernier. "Il est pas méchant, un peu naïf", estimait au contraire dans Sud Ouest une propriétaire d'immeuble de la rue du Corbillon. Tous s'accordent en revanche sur sa consommation de stupéfiants et le décrivent comme un "gros fumeur de shit". L'intéressé en fait d'ailleurs une ligne de défense pour les faits qui le relient aux attentats du 13-Novembre.

Mis en examen pour "association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes" après six jours de garde à vue, Jawad Bendaoud a écrit de longues lettres aux juges d'instruction depuis sa cellule du quartier d'isolement de la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis). "J'avais consommé de la coke et du shit en quantité ce jour-là", clame-t-il dans une missive en date du 25 mars 2016.

J'ai vu Abaaoud moins de dix minutes, vous croyez que je suis profiler pour savoir ce qu'il a fait avant d'arriver chez moi ?

Jawad Bendaoud

dans une lettre adressée aux juges

Quant aux explosifs, "la seule fois où j'en ai vu (...), c'est dans des films d'action", ajoute-t-il, sans se départir de son style enfantin. L'enquête a démontré que Jawad Bendaoud n'était qu'un intermédiaire dans la location de l'appartement de la rue du Corbillon. Homme de main de marchands de sommeil, il est chargé de récupérer les sommes en liquide auprès d'hôtes clandestins, sans-papiers, dealers ou proxénètes... C'est l'un de ses proches, Mohamed Soumah – il comparaîtra à ses côtés ce jeudi –, qui est soupçonné de l'avoir mis en contact avec Hasna Aït Boulahcen, la cousine d'Abdelhamid Abaaoud, qui cherchait un abri de repli.

Poursuivi pour "recel de malfaiteurs" ?

Les deux hommes se sont rencontrés en prison. Jawad Bendaoud se serait-il radicalisé à cette occasion, comme l'affirmait un ancien codétenu cité par Le Monde ? S'il a reconnu avoir un jour laissé entendre qu’il pourrait s’inspirer des assassinats de Mohammed Merah, il assure dans une deuxième lettre écrite aux juges en octobre 2016 : "J’y ai peut-être pensé en prison, mais une fois sorti, tout est sorti de ma tête." "Rien dans le dossier pour lequel je l'avais assisté, ni dans nos conversations ou son comportement, ne portait la trace d'une radicalisation religieuse", se souvient dans Le Parisien l'avocat Charles Morel, qui l'avait défendu aux assises en 2008. Sami, habitant du quartier, abonde dans Sud-Ouest.

Jawad Bendaoud est quelqu'un de pas du tout radical. Il danse, il a rien à voir avec ça. C'est un mec sexe, drogue, alcool. Il sait même pas où c'est, la mosquée.

Sami, un habitant du quartier

Sud-Ouest

Rien n'a permis de démontrer formellement, jusqu'à présent, que Jawad Bendaoud était en lien avec les commandos avant les attentats, ou qu'il en a hébergé certains le 17 novembre en sachant qu’ils préparaient une nouvelle attaque à la Défense. La piste d'un contact avec un numéro belge s'est effondrée et la présence de l'empreinte génétique de Jawad Bendaoud sur un gilet explosif et un rouleau de scotch ayant servi aux kamikazes ne prouve rien, étant donné la volatilité de l'ADN.

Certes, Jawad Bendaoud a reconnu devant les enquêteurs avoir eu un "doute" sur l'identité de ses locataires, qui "voulaient juste de l'eau et faire la prière", quatre jours après les attaques sanglantes revendiquées par l'Etat islamique. "J’ai douté, il y avait un truc pas clair, mais je ne vais pas prendre vingt ans pour ça, (…) je m’en doutais, mais je voulais l’argent", explique-t-il, reconnaissant à demi-mot avoir fermé les yeux par appât du gain. Quand bien même. Comme le font valoir ses avocats, Xavier Nogueras et Marie Pompéi Cullin, "le fait de fournir à la personne auteure ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme un logement (…) ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches ou à l’arrestation" est un délit passible de trois ans d’emprisonnement, et non un crime passible de 20 ans de réclusion. Selon Le Monde, ses conseils ont ainsi demandé à ce que sa mise en examen soit requalifiée en "recel de malfaiteurs", lui évitant toute poursuite pour "terrorisme". Une hypothèse plus que probable, estime le quotidien.

"La poisse me colle à la peau"

Pas de quoi calmer les ardeurs de Jawad Bendaoud, qui a mis le feu à sa cellule en septembre dernier et refusé d'être extrait de la prison pour sa comparution initiale dans le dossier de trafic de stupéfiants, le 17 novembre 2016. "Est-ce que vous allez imprimer ça dans vos cervelles ? Depuis ma sortie de prison, je n'ai même pas préparé un repas et vous me parlez de préparer des attentats. Je n'ai rien à voir avec tout ça. (…) Je vais péter les plombs", écrit-il aux juges un mois plus tôt.

Vous êtes juge d'instruction, on aurait dit vous êtes scénariste (...) vous attendez quoi, que je pète une durit ? 

Jawad Bendaoud

dans une lettre adressée aux juges

Jawad Bendaoud, qui refuse d'être le "bouc émissaire" dans cette affaire et regrette faire "l’objet de parodies, de blagues" depuis son apparition télévisuelle, se radoucit au fil de son courrier de 18 pages manuscrites : "Plus jamais de ma vie je referais quoi que ce soit d'illégal, quitte à manger des conserves aux Restos du cœur, la poisse me colle à la peau." Toujours à l'isolement, Jawad Bendaoud n'a plus fait parler de lui en détention, selon une source pénitentiaire contactée par franceinfo. Reste à savoir s'il restera sur la même ligne à la barre ce jeudi.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.