Etat d'urgence : "Les données informatiques déjà saisies devront être restituées"
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Rouen, commente pour francetv info la censure partielle, vendredi, de la loi sur l'état d'urgence par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a validé, vendredi 19 février, l'essentiel des dispositions concernant les perquisitions administratives et les interdictions de réunions prévues par la loi sur l'état d'urgence. Une disposition qui permettait aux policiers de copier des données informatiques lors des perquisitions a toutefois été censurée. Pour comprendre cette décision, francetv info a interrogé Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Rouen (Seine-Maritime).
Francetv info : Dans le détail, qu'a dit le Conseil constitutionnel ?
Jean-Philippe Derosier : Le Conseil constitutionnel se prononçait, aujourd'hui, sur deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) déposées par la Ligue des droits de l'homme. L'une portait sur l'article 8 de la loi sur l'état d'urgence de 1955, qui permet d'interdire les réunions dans les lieux publics. Cet article a été entièrement validé. L'autre QPC portait sur l'article 11 de cette loi, qui permet à l'autorité administrative d'ordonner des perquisitions.
Les Sages ont globalement validé la procédure de perquisition, à l'exception d'une disposition qui avait été introduite dans cette loi après les attentats de novembre. Elle permettait, pendant une perquisition, de saisir les données informatiques présentes dans un ordinateur qui se trouvait sur les lieux.
Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il censuré la possibilité de copier des données informatiques ?
Les données informatiques saisies peuvent n'avoir aucun lien avec la personne qui a justifié la perquisition. Prenons un exemple : la police perquisitionne un local fréquenté par une personne suspectée de terrorisme. Mais ce lieu n'est pas son domicile habituel. Il y a là un ordinateur. Bien que cette personne ne l'ait jamais allumé, on s'immisce dans l'ordinateur et on saisit toutes les données, qui ne concernent en rien le suspect. Evidemment, c'est attentatoire au principe constitutionnel de respect de la vie privée, c'est pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition.
Au cours d'une perquisition administrative, si les policiers découvrent de la propagande jihadiste sur un ordinateur, ils n'auront donc pas le droit de la saisir ?
Si, car dans ce cas, il s'agit d'une infraction pénale. La loi de 1955 prévoit que lorsqu'une infraction est constatée au cours d'une perquisition, un procès-verbal est dressé par un officier de police judiciaire. Le procureur est alors informé, une enquête est ouverte, et une saisie peut avoir lieu dans ce cadre.
Il faut bien faire la différence entre, d'un côté, le régime de l'état d'urgence, préventif, administratif, conduit par le ministère de l'Intérieur ou le préfet, et, de l'autre, celui de la poursuite d'infractions, qui relève du juge judiciaire et du procureur.
Que vont devenir les données saisies jusqu'à présent dans le cadre de l'état d'urgence ?
Toutes ces données devront être restituées et ne pourront plus être utilisées à quelque fin que ce soit. La décision du Conseil constitutionnel est d'application immédiate. Elle s'impose aux pouvoirs publics et oblige l'administration. Cela ne veut pas dire qu'elle va s'y plier d'elle-même, auquel cas les personnes concernées devront engager un recours pour récupérer leurs données.
Le législateur pourrait-il réécrire le passage censuré afin de le rendre conforme à la Constitution ?
Oui, c'est possible. On pourrait envisager d'associer une autorité administrative indépendante qui soit informée lorsqu'une saisie a eu lieu et puisse ensuite exercer un contrôle (par exemple la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement) et saisir le Conseil d'Etat si elle juge cette saisie illégale.
Pour être conforme à la Constitution, la loi devrait aussi mentionner la nécessité d'un lien entre les données saisies et la personne qui justifie la perquisition.
D'autres dispositions de cette loi de 1955 pourraient-elles, à l'avenir, subir une censure du Conseil constitutionnel ?
A mon sens, cette loi pose, outre la question des saisies, deux difficultés constitutionnelles. En effet, elle autorise le ministre de l'Intérieur à placer sous bracelet électronique une personne condamnée pour un crime ou un délit terroriste ayant déjà purgé sa peine. Le ministre peut également décider de bloquer des sites internet faisant l'apologie du terrorisme.
Il est probable que ces deux dispositions soient censurées par le Conseil constitutionnel le jour où il en sera saisi.
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