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"L'humanité face à la barbarie"
Le procès des attentats du 13-Novembre s'est achevé le 29 juin. Pour comprendre ce qui s'y est joué, franceinfo a sélectionné 50 moments qui ont marqué les audiences.
Une page historique se tourne. La cour d'assises spéciale de Paris a livré son verdict, mercredi 29 juin, dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Pour rendre compte de ces dix mois d'audience, nous vous proposons une sélection de témoignages et de déclarations qui ont marqué les débats. Attention, certains extraits peuvent heurter la sensibilité.
Les vivants ont parlé pour les 132 morts, les présents pour les absents. Plusieurs dizaines de rescapés et de personnes endeuillées ont défilé à la barre, parmi les 2 500 parties civiles constituées. Avec eux, témoins et experts ont reconstitué le puzzle de ce dossier tentaculaire. La parole a circulé entre les 14 accusés présents, les magistrats, les avocats et leurs clients. Des mots pour raconter et dépasser cette funeste nuit.
Envoyées spéciales au procès des attentats du 13-Novembre
Les débats sont ouverts
"Nous commençons ce jour un procès historique, un procès hors norme, au vu du nombre d'intervenants, du nombre de victimes, de parties civiles et de leurs conseils, d'experts appelés à la barre. Mais ce qui importe, c'est aussi justement le respect de la norme, le respect des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense. Notre cour d'assises, que j'ai l'honneur de présider, a pour fonction d'examiner les charges qui pèsent sur chacun des accusés sur le plan pénal, après avoir entendu la parole de chacun. Elle se distingue de toute autre institution à vocation historique, politique, sociologique, aussi nobles soient-elles. Nous devons tous garder à l'esprit cette finalité et conserver ce cap de façon à maintenir la justice dans sa dignité. Les débats sont ouverts." Le 8 septembre 2021
J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique
"D'abord, je tiens à témoigner qu'il n'y a point de divinité à part Allah, et que Mohammed est son serviteur et messager.
– Ça, on verra plus tard. Quelle est votre profession ?
– J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique.
– J'avais 'intérimaire' comme profession... Votre adresse ?
– Je n'ai plus d'adresse." Le 8 septembre 2021
Qu'est-ce que ce mannequin de vitrine fait là ?
"Il y a une déflagration au niveau de la porte H, dans mon dos. A ce moment-là, je vois un monsieur à quelques mètres de moi, à genoux, le tronc posé vers l'avant [il s'agit de Manuel Dias, un chauffeur d'autocar de supporters, seule victime décédée au Stade de France]. Il avait toujours ses lunettes et j'avais l'impression qu'il me regardait, donc je me suis dirigé vers lui. Là, j'ai vu une jambe nue et je me suis dit : 'Qu'est-ce que ce mannequin de vitrine fait là ?'" Le 28 septembre 2021
Je suis face à deux mondes inconciliables : la vie et la mort
"Au moment de la deuxième explosion, je suis véritablement en état de sidération. Je reste sans rien faire, transi devant le mur du Stade de France qui se dresse. Et j'entends le public applaudir et crier de joie. Je suis face à deux mondes inconciliables : la vie et la mort, la désolation qui est en face de moi." Le 28 septembre 2021
Je vois des morceaux de chair partout
"Je sens un énorme souffle. Je suis projetée au sol. Mon conjoint me tombe sur le torse. Je me dis : 'On va mourir'. Un kamikaze vient de se faire sauter. ll a crié 'Allah akbar'. Je ne réalise pas. C'est une horreur, un cauchemar. Je suis en enfer. Je vois ma mère avec des morceaux de chair partout. Je sens un grand mal dans mon dos et, en tournant ma tête, je vois un morceau d'ivoire qui sort de mon bras. C'est un morceau d'os, j'ai une fracture ouverte." Le 28 septembre 2021
Je déclare l'état d'urgence et fais fermer les frontières
"Nous sommes devant une action d'envergure. Mon premier souci est de sécuriser le Stade de France. Je prends la décision que le match doit se poursuivre, pour éviter tout mouvement de panique. Consigne est donnée aux joueurs, qui ne savent rien, de continuer la partie. A la mi-temps, je vais devoir m'éclipser. Je me rends au PC sécurité du ministère de l'Intérieur, à la cellule de crise. Je déclare l'état d'urgence et je fais fermer les frontières pour éviter que les terroristes ne s'échappent." Le 10 novembre 2021
Je me suis demandé ce que ça allait faire comme douleur
"Ce soir-là, je rejoins trois amis au Carillon. C'est un bar sans prétention, dans une rue assez calme. En entrant, je me suis dit : 'Il ne nous arrivera rien ici ce soir'. A 21h25, c'est la déflagration. C'est très bruyant, les armes automatiques. Comme des feux d'artifice. Mais c'est en rafales, ça ne s'arrête pas. Très vite, on comprend. Je me jette par terre. Je me retrouve contre le mur. J'essaie de me cacher derrière un objet volumineux mais je suis assez grand, je suis très mal caché. Ça dure une minute trente, deux minutes. C'est très long. On attend, on commence à se dire que c'est fini. Que c'est ce soir-là. Je me suis demandé ce que ça allait me faire comme douleur.
Je vois un assaillant. Il est extrêmement calme. Il marche très froidement vers l'entrée principale. Ce ne sont plus des rafales mais des tirs saccadés : je crois qu'il achève des gens ou s'acharne sur eux. On est complètement impuissants. On se dit : 'Pourquoi la police n'est pas là ?' Il y a un silence de mort... Ça sent la poudre. C'est une odeur affreuse. Et ça sent le sang, très fort. Comme le goût, un peu métallique. Les premiers cris apparaissent. Des cris de douleur atroces. J'essaie de retrouver mes amis cachés dans les toilettes. On se retrouve à quatre, vivants. Je ne sais même pas comment c'est possible." Le 29 novembre 2021
Tout ce que je vois, ce sont ses yeux, vides
"Je crois voir Amine [son mari], Emilie et Charlotte [ses amies] se cacher sous la table, alors qu'en réalité ils tombent sous les balles. Quelques instants après, ce sont les premiers mots des secouristes. Ils résonnent encore : 'Les conscients d'abord, occupez-vous des conscients d'abord !' Je me relève, je cherche Amine des yeux, je le vois au sol. Il est étendu sur le dos, les yeux ouverts. Je sais tout de suite qu'il n'est plus là. Je ne vois pas ses blessures, ni le sang, je ne vois pas les vingt-deux impacts, je ne vois pas les projectiles qui ont traversé son corps, qui ont touché ses poumons, son foie, son cœur. Tout ce que je vois, ce sont ses yeux, vides. C'est le néant, et je sais qu'il est mort.
Aujourd'hui, je suis debout, heureuse d'être debout, sur mes deux jambes. J'ai la tête haute, mais je suis épuisée. Et je sais qu'il y a des choses qui ne reviendront pas : je ne courrai plus, je ne rêve plus, les rêves ont dépeuplé mes nuits. J'espère un jour ne plus être dans la reconstruction, mais simplement dans la vie, l'insouciance d'une soirée entre amis." Le 29 novembre 2021
Toute sa vie, notre fille sera privée de son amour
"Ce soir-là, dans ma maison, 21 personnes sont mortes assassinées. Dix d'entre elles faisaient partie de ma vie. Ce sont des morceaux de ma chair qui ont été arrachés. Quand je pense à Djamila [sa femme, tuée dans la fusillade], mon drame personnel s'intensifie. Ce soir-là, j'ai perdu une femme extraordinaire. Cette femme, c'est une reine à qui j'ai fermé les yeux après son dernier souffle et son dernier mot : 'Tess'. Je ne lui dois que des mercis. Djamila, je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai. Notre fille Tess avait 8 ans et demi, et depuis, elle est handicapée pour la vie entière. Toute sa vie, elle sera privée de son amour, de son magistère, de sa tendresse." Le 30 novembre 2021
Je lui ai demandé 'Est-ce que tu es mort ?' à trois reprises. Il ne m'a jamais répondu
"J'avais rendez-vous avec un garçon. Il a proposé de me retrouver vers Charonne et m'a emmenée à La Belle Equipe. Etant fumeuse, j'ai insisté pour qu'on s'installe en terrasse. On a commandé des verres de vin, tout de suite on a entendu des pétards et sursauté tous les deux. Je fumais une cigarette quand mon bras a été touché par les balles et ça m'a projetée en arrière. Sans comprendre ce qui se passait, j'ai voulu qu'on se cache et attrapé Cédric par la main. Je n'ai jamais donné une poignée de main aussi forte à quelqu'un que je ne connaissais pas, aussi remplie d'empathie, d'espoir. Il s'est fait fusiller en étant accroupi à mes côtés. Je l'ai tiré vers moi. J'ai posé ma main délicatement sur son torse. Je n'avais pas envie d'aggraver ses blessures. Je lui ai demandé 'Est-ce que tu es mort ?' à trois reprises. Il ne m'a jamais répondu." Le 1er octobre 2021
C'est très difficile de décrire le moment où on se prend une bombe en pleine tête
"Les plats arrivent et quelques minutes plus tard, le terroriste entre. Il ouvre très violemment les portes, les conversations s'arrêtent, tout le monde le regarde. Si je ne me trompe pas, il nous sourit un peu. Je le fixe, mon instinct me dit que c'est mauvais, je le trouve louche. La suite, tout le monde la connaît, il est 21h41 et le kamikaze se fait exploser.
C'est très difficile de décrire le moment où on se prend une bombe en pleine tête alors qu'on n'a jamais fait de mal à une mouche. J'ai le souffle complètement coupé, je m'accroche à la table, c'est le trou noir pendant quelques secondes, accompagné d'un silence de mort. Je me souviens de m'être pincée. Non ce n'est pas un cauchemar. Je remarque que mes mains sont pleines de sang, j'ai perdu un doigt, je sens du sang couler de ma tête." Le 5 octobre 2021
Je m'étais résolue à mourir
"Nous avons entendu comme un feu d'artifice. Il y a eu un mouvement de foule, Mathieu m'a attrapée dans ses bras et, après avoir fait quelques pas, nous sommes tombés à terre. Au même moment, j'ai réalisé que j'avais été grièvement blessée en voulant retirer un morceau qui était sur mon visage. C'était en fait la chaussure d'une personne sur moi. En tentant de l'écarter, j'ai découvert que ma joue, entièrement détachée de la partie gauche de mon visage, pendait le long de mon cou. Ma main droite s'est enfoncée à l'intérieur de ma bouche pour retirer des dents, pour ne pas les avaler, car cela me faisait tousser et risquait d'attirer l'attention du terroriste. J'ai fait la morte pendant un temps qui m'a paru interminable. Je voyais se dérouler cette scène irréelle par intermittence, presque au ralenti, comme dans un rêve. Je me vidais de mon sang et me sentais partir tout doucement... Je m'étais résolue à mourir." Le 7 octobre 2021
Je monte sur les toilettes et je défonce le plafond à coups de poing
"Tout le monde se met au sol dans la fosse, comme pour une prise d'otage dans une banque. Ça tire en rafales de tous les côtés. Je me dis : 'Je vais mourir à un concert de rednecks, j'ai payé 70 euros, j'espère qu'ils vont me rembourser'. Puis je passe du côté sombre, je pense à ma propre mort. Une balle me frôle, j'attends qu'ils rechargent.
Je cours, j'espère qu'il y aura une issue de secours. J'arrive au deuxième et dernier étage. Là, il y a une vieille loge en Placoplâtre avec des toilettes au fond. Je réfléchis, j'ai un flash : je pense au film de James Bond, GoldenEye. Je monte sur les toilettes et je défonce le plafond à coups de poing. Un monsieur m'aide, il me pousse les fesses dans le plafond, je suis la première à monter. J'essaie d'aider quelques personnes à grimper. J'arrache la laine de verre au fur et à mesure. Si je ne meurs pas par des balles, je vais mourir électrocutée dans un plafond. Je me dis : 'Les terroristes vont finir par nous trouver.' J'espère que quelqu'un va fermer la porte des toilettes." Le 6 octobre 2021
Pour nous, la réaction a été immédiate, il fallait l'abattre
"J'ai regardé mon coéquipier, on a échangé un regard et j'ai dit : 'Il faut qu'on y aille'. Nous avons franchi les portes en nous disant qu'on ne les repasserait peut-être jamais. L'éclat des spots apportait une sorte de halo blanc sur l'ensemble de la salle. Et des corps. Aucun mot ne peut décrire ce qu'on a vu. Un tapis de corps. Les gens s'étaient jetés les uns contre les autres. Des corps enchevêtrés, mélangés. J'entends une voix, c'est celle de Samy Amimour [l'un des terroristes du Bataclan]. Il crie à un otage : 'Couche-toi au sol'. Il s'allonge au sol face à lui. Pour moi, c'était le seul survivant à ce moment-là et Samy Amimour allait l'abattre. J'ai pris ma visée, comme à un stand de tir. Nous étions suffisamment entraînés pour ça. J'ai tiré assez peu : quatre fois et mon équipier, deux fois. Le terroriste a poussé un gémissement, s'est affaissé et est tombé sur le dos. Quelques secondes après, une explosion a retenti jusque dans le plafond, avec une sorte de crépitement et de pluie de confettis qui s'avérera être de la chair humaine [Samy Amimour vient de se faire exploser]." Le 22 septembre 2021
A chaque balle, je me disais : 'Pourvu qu'elle soit pour quelqu'un d'autre'
"J'entends le souffle des balles, les kalachnikovs au-dessus de ma tête. C'est horrible mais à chaque balle, je me disais : 'Pourvu qu'elle soit pour quelqu'un d'autre'. Ça m'a rendue inhumaine. Il y a une partie de moi qui s'est éteinte ce soir-là. Il y a les regrets sur ce qu'on a fait, pas fait. Le complexe du survivant va au-delà de l'événement. J'ai le sentiment de vivre ma vie au détriment de ceux qui l'ont perdue. Je me rappelle sans cesse que je devrais être heureuse, sans y parvenir. Il y a tant de vies qui ont été fauchées, et moi j'ai l'impression de gâcher la mienne." Le 11 octobre 2021
Je hurle : 'Ils l'ont tué'
"Le 13 novembre, je dînais avec ma mère, mon beau-père, mon frère, des cousins, pour fêter mon anniversaire. Je regardais l'actualité en continu, avec le nombre de blessés, de morts. J'envoie à mon père : 'Coucou papa, ça va ?' Pas de réponse, je me dis qu'il dort déjà. Le 14, vers midi, ma mère nous annonce que mon père était au Bataclan et qu'on le cherche dans les hôpitaux. Je suis effondré, je monte dans ma chambre. S'ensuivent les deux heures les plus longues de ma vie. J'attends de savoir si mon père est mort. Quand je l'apprends, je tombe, je m'écroule, je ne peux plus marcher. Nous nous serrons très fort avec maman. Cinq minutes après l'annonce, je sors, je n'entends plus rien. Je hurle : 'Ils l'ont tué !'" Le 14 octobre 2021
Je ne comprends rien mais je sais qu'il ne rentrera pas
"J'enlève la clé de la serrure, je laisse une lumière allumée dans le salon pour quand il rentrera et je pars me coucher. A 21h46, le 13 novembre 2015, il m'envoie un texto pour me dire : 'Ça, c'est du rock and roll'. Vers 22h30, Nadia, l'amie avec qui je travaille, m'appelle. Elle est en pleurs, elle est dans la rue, dans le 11e et elle me dit que ça tire partout, que 'Paris est en feu'. Elle me téléphone pour que je la tranquillise et je lui dis que Matthieu est au Bataclan. Sa panique s'arrête. J'imagine qu'elle cède la place à la mienne. Elle me dit de raccrocher et d'allumer ma télévision. C'est ce que je fais et je comprends tout de suite. Ou plutôt je ne comprends rien mais je sais. Je sais qu'il ne rentrera pas. Que tout ce que j'ai construit jusque-là est en passe d'être pulvérisé en une soirée." Le 21 octobre 2021
Tu es morte violentée, tu as ressenti de la terreur, je le sais
"Tu as reçu une balle dans le genou et dans le haut de la cuisse, tu as longé le bar, tu as dit : 'Il faut sortir' et vous vous êtes cachés devant la porte battante. D'après ce que je sais, l'homme le plus grand s'est retourné. Une balle dans le cœur pour la personne avec qui tu étais et une balle dans le crâne pour toi. Tu as eu peur, tu as souffert, tu es morte violentée, tu as ressenti de la terreur, je le sais. Je n'ai pas pu te câliner, te prendre dans mes bras, je n'ai pas pu m'occuper de toi pour ta dernière toilette. Je suis une maman désenfantée. On a tué la chair de ma chair au pif, sans savoir, sans âme, sans humanité." Le 15 octobre 2021
On s'est tous sauvé la vie parce que personne n'a craqué
"Quand les terroristes montent à l'étage, je fais le mort, persuadé de vivre mes derniers instants. Ça dure quelques secondes et puis une voix directive me dit : 'Debout'. Une deuxième fois : 'Debout'. J'ouvre les yeux. Le terroriste braque son arme sur nous, ma femme et moi. C'est Ismaël Omar Mostefaï. 'Pourquoi tu prends tes affaires, ça sert à rien, tu vas mourir", me dit-il. Dans ce couloir, il y a trois femmes et huit hommes. On s'est tous sauvé la vie parce que personne n'a craqué. Mostefaï me donne l'impression qu'il est dans un jeu vidéo. Ils [les terroristes] nous expliquent qu'ils viennent de Syrie, que François Hollande tue les femmes et les enfants en Syrie et en Irak. Ils nous demandent pour qui on a voté à la présidentielle. Ils s'agacent parce que plusieurs otages expliquent qu'ils n'ont pas voté. L'un des terroristes m'ordonne d'aller chercher une sacoche sur le balcon : 'Tu cours, tu vas la chercher, si tu n'y vas pas, je te tue.' Je prends la sacoche. Au poids, je comprends qu'elle est remplie de chargeurs. Ils me demandent de leur répéter tout ce que j'entends dans le Bataclan. 'J'entends des râles, des cris'. 'Tu vois ce que vivent nos femmes et nos enfants en Syrie et en Irak, c'est la même chose", me dit l'un des terroristes." Le 19 octobre 2021
Un peu avant 00h18, j'ai lancé l'assaut
"A partir de 23h15, on se retrouve en situation de prise d'otage. A 23h27, le négociateur passe un premier coup de téléphone aux terroristes. C'est très court, ça raccroche assez rapidement. A 23h29, les terroristes rappellent les négociateurs. La pression monte, le négociateur me dit qu'il n'en tirera rien. Un peu avant 00h18, quand le téléphone sonne de nouveau, je lance l'assaut. La première colonne encaisse les tirs : il faut d'abord sortir les otages et, seulement après, tirer. Je crois que seulement une dizaine de tirs ont été effectués par la BRI, dont les deux tirs mortels. Le premier terroriste se fait sauter, dans un souffle extrêmement puissant. Comme il est sur le dos, tout part sur le plafond et pas vers nous. C'est extrêmement impressionnant, ça vous décolle du sol. Heureusement, les débris n'ont tué aucun d'entre nous. La colonne se rapproche du deuxième terroriste : on le voit en train de palper son gilet. Il est abattu. Aucun otage n'a été tué, ce qui paraissait plus que difficile à croire quand on a commencé à pousser cette porte." Le 22 septembre 2021
Je n'aurais jamais imaginé un bilan aussi lourd
"Quand j'entre dans le Bataclan, c'est l'horreur, c'est dantesque. Jamais je n'aurais imaginé un bilan aussi lourd. Je n'oublierai jamais le visage d'une dame, les cheveux au carré, la tête posée sur un sac à main, avec un téléphone qui sonnait. Je suis entré trois fois dans le Bataclan, je ne sais pas si je n'arrivais pas à y croire ou si je refusais d'y croire." Le 18 novembre 2021
Ce qui vient d'être vécu ne pourra pas être compris
"On aimerait se dire qu'on se comporte en héros. Et en fait, on se rend compte qu'on est humain, qu'on cherche à sauver sa peau. Et cela engendre de la culpabilité. Si on est parti en marchant sur les autres, la culpabilité est énorme. Le traumatisme, c'est faire un pas au-delà. C'est comme si la mort était désormais à l'intérieur de soi. Les manifestations initiales au moment du trauma sont souvent celles d'un vide, d'un blanc de la pensée. Puis très vite apparaissent l'angoisse, le sentiment d'abandon, de haine. Et très vite, l'idée que ce qui vient d'être vécu ne pourra pas être compris." Le 29 octobre 2021
Ce n'est pas possible de vivre normalement
"Le terrorisme, c'est la tranquillité impossible. On est soit dans une boulimie de vie, soit dans l'incapacité de faire quoi que ce soit. Mais ce n'est plus possible de vivre normalement. Quelqu'un, ici, a parlé du Mythe de Sisyphe. Je crois que Sisyphe était seul. Et ce qu'on fait tous ici, dans cette salle, magistrats, avocats, interprètes, c'est dire aux victimes : 'Vous n'êtes pas seules.' J'espère que cela perdurera après." Le 28 octobre 2021
Monsieur Abdeslam, comment s'est passée votre enfance ?
"Monsieur Abdeslam, vous voulez bien vous lever, s'il vous plaît ? On commence par vous, c'est l'ordre alphabétique. [Salah Abdeslam se lève et ôte son masque.] Comment s'est passée votre enfance ?
– Très simple, j'étais quelqu'un de calme, de gentil.
– Et au niveau de votre scolarité ?
– J'étais aimé de mes professeurs, j'étais un bon élève. J'ai suivi l'enseignement technique pour avoir directement un métier." Le 2 novembre 2021
Je suis rentré pour la première fois en prison à l'âge de 17 ans
"Vous voulez savoir mes surnoms ? Tous mes surnoms ? Quand j'étais très petit, on m'appelait 'Spider-Man", parce que je grimpais aux murs. Ensuite, 'Brioche", je ne sais pas pourquoi on m'appelait comme ça. Ensuite, 'La Brink's' [il rit], je ne sais pas pourquoi. Sûrement par rapport à mon parcours criminel [en référence à la société de transport de fonds]. La plupart d'entre nous ont grandi à Molenbeek [en Belgique]. On était en échec scolaire. Certaines personnes réussissent, elles travaillent, ont des familles, des enfants, elles évoluent dans la vie. Je fais partie de ceux qui n'ont pas réussi. Je suis rentré pour la première fois en prison à 17 ans et 359 jours, à six jours de mon anniversaire et de ma majorité." Le 2 novembre 2021
Les témoignages des victimes étaient bouleversants
"J'ai écouté attentivement les témoignages des victimes : c'était bouleversant. Ce qu'elles ont vécu, j'ai pas de mots pour ça, je les ai trouvées vraiment courageuses, pleines d'humilité. La grande majorité d'entre elles n'exprime pas de haine, ça m'a marqué." Le 6 novembre 2021
Le 13 novembre, je ne connaissais pas le nom de Salah Abdeslam
"C'est le dossier le plus difficile que j'aie eu à traiter, un dossier émotionnel. Douze des quatorze accusés présents ici sont passés dans mon cabinet. Le 13 novembre, je ne connaissais pas le nom de Salah Abdeslam. Le seul nom que je connaissais, c'était Abdelhamid Abaaoud [chef opérationnel des attentats]. Je ne l'ai jamais vu. Mais je l'ai traqué pendant des années. Abaaoud a échappé aux Français, aux Grecs, aux Belges. Hélas, c'est le principe de la libre circulation en Europe. Abaaoud en a bénéficié. Il avait une grande facilité à s'échapper." Le 15 septembre 2021
Foued Mohamed-Aggad n'a jamais caché son dessein : mourir en kamikaze
"Depuis la Syrie, Foued Mohamed-Aggad envoie beaucoup de photos à ses proches en France. Donc on dispose d'énormément de photos de lui armé. Il envoie aussi un message à l'un de ses proches qui dit : 'Bientôt, vous allez connaître l'invraisemblable.' En 2015, Foued Mohamed-Aggad n'est plus un simple combattant de l'Etat islamique. En août 2014, il est nommé émir d'un groupe de 300 combattants. Il discute avec sa mère et dit que s'il rentre en France, 'ce sera pour faire un sale truc'. Foued Mohamed-Aggad a toujours tenu sa famille au courant et n'a jamais caché son dessein, qui était de mourir en kamikaze." Le 19 novembre 2021
C'est difficile d'accepter de s'être trompée
"Beaucoup de personnes ont vu que Daech n'était pas ce qu'il prétendait être, dont un Etat islamique. Les dirigeants faisaient beaucoup de choses dans leur intérêt personnel plutôt que pour Dieu.
– De la corruption, vous voulez dire ?
– Oui, voilà. Dès le début, j'ai vu des choses qui n'allaient pas avec l'islam que je suivais. Je pense que je préférais ne pas voir. C'est difficile d'accepter de s'être trompée après avoir tout quitté." Le 15 décembre 2021
On ne peut pas protéger toutes les boîtes de nuit
"La menace venait de partout, de l'intérieur et de l'extérieur. Malheureusement, c'est tragique, nous n'avons pas pu l'empêcher. Chez les terroristes, l'objectif est de faire un maximum de victimes. Ils ont toujours visé ce type d'endroit. Bali ? Boîte de nuit. Manchester ? Boîte de nuit. Orlando ? Boîte de nuit homosexuelle. On ne peut pas protéger toutes les boîtes, tant qu'on n'a pas de menaces précises. Ce qui s'est passé au Bataclan, c'est malheureusement, tristement, une cible d'opportunité." Le 17 décembre 2021
Ils pouvaient commettre des attentats sans problème
"A partir de 2013, le système ne fonctionne plus. On est perdus, c'est impossible de tout traiter. On est dans une insécurité totale, 3 300 Français sont partis. Certains partaient, revenaient, faisaient plusieurs allers-retours [en Syrie] et on ne le savait pas. Ils pouvaient commettre des attentats sans problème." Le 3 main 2022
Ce procès est une illusion
"Dans un premier temps, je souhaitais m'exprimer devant cette cour et j'ai essayé de le faire quand ma personnalité a été abordée. Ensuite, j'ai vu comment se déroulaient les débats, et j'ai perdu espoir. Je pense que personne n'est ici pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé et avoir des réponses. Je ressens que nous faisons tous semblant et que ce procès est une illusion. Je ne pense plus, aujourd'hui, que le fait que je comparaisse et que je m'explique sur ce qu'on me reproche change quoi que ce soit à la décision de la cour. C'est mon constat après trois mois de procès. C'est pourquoi j'ai pris la décision de ne plus m'exprimer jusqu'à la fin des débats." Le 13 janvier 2022
Je n'ai tué ni blessé personne
"Je vous avoue que j'hésite encore sur le fait de répondre aux questions ou pas. Je tenais à dire aujourd'hui que je n'ai tué ni blessé personne ; même une égratignure, je ne l'ai pas faite. C'était important pour moi de dire ça car depuis le début de cette affaire, on n'a cessé de me calomnier. Ensuite, je constate que dans les affaires de terrorisme, les peines qui sont prononcées sont extrêmement sévères à l'égard de personnes qui, parfois, n'ont pas tué. Je comprends que la justice veuille faire des exemples de moi, d'autres personnes. Mais on envoie aussi un message. A l'avenir, quand un individu va se retrouver dans un métro avec une valise d'explosifs de 50 kg et qu'au dernier moment, il va se dire : 'Non je n'ai pas envie de le faire, je vais faire marche arrière", il saura qu'il n'aura pas le droit de penser ça parce qu'après, on va le pourchasser, l'humilier." Le 9 février 2022
Vous êtes dans une indécence insupportable
"Quand vous vous présentez en victime, que vous expliquez qu'on a gâché votre vie, est-ce que vous comprenez que pour les gens qui sont vraiment victimes, vous êtes dans une indécence qui est insupportable ?
– C'est vous qui êtes insupportable. Je n'ai pas cherché à provoquer qui que ce soit." Le 15 mars 2022
Pour un gars comme moi, avoir de l'espoir, c'est dangereux
"Je ne souhaite pas répondre aux questions. Ce que je vais dire, ça ne changera rien du tout. Et je ne veux pas être en contradiction. 'Vous étiez avec qui, vous avez vu qui ?' Je ne suis pas en mesure de répondre. Je suis conscient que ça peut en décevoir certains mais c'est ce que j'ai à dire. J'ai été condamné à 20 ans [en Belgique, pour avoir tiré sur des policiers lors de sa cavale avec Salah Abdeslam]. Je risque la perpétuité et ensuite je rentre en Belgique où j'aurai les mêmes questions sur les mêmes faits [il comparaîtra à Bruxelles à partir du mois d'octobre pour son rôle supposé dans les attentats de mars 2016]. Donc si on combine, je vais me défendre pendant deux ans comme un acharné pour ramasser 80 ans. Pour un gars comme moi, avoir de l'espoir, c'est dangereux." Le 17 mars 2022
Je savais qu'ils allaient tuer des gens
"J'étais prévu [pour les attaques du 13-Novembre]. J'ai rencontré [Abdelhamid] Abaaoud en Syrie, à Raqqa. La deuxième fois, c'était plus probablement en septembre et la troisième fois, c'était le 12 novembre, juste avant de partir pour Paris. Je ne peux pas aller à l'affront avec Abaaoud. Je ne peux pas lui dire non. J'ai comme un conflit de loyauté parce qu'il a bataillé des années avec mon petit frère, il a risqué sa vie pour aller chercher sa dépouille [en Syrie]. Abaaoud m'annonce qu'il a pour projet de m'intégrer dans quelque chose. Je ne sais pas de quoi il s'agit exactement. Il me dit ça puis je reprends ma vie. Je suis en pleins préparatifs de mariage, je travaille au restaurant. Brahim Abdeslam, lui, savait tout. Je n'ai pas de problème à lui dire que je ne ferai pas partie de ce projet : je ne peux pas aller tuer des gens comme ça dans la rue, je ne peux pas attaquer des gens non armés. Dans mon esprit, c'est clair. Mais Abaaoud garde espoir jusqu'à la fin. Je savais qu'ils allaient tuer des gens et se faire tuer par les forces de l'ordre." Le 28 mars 2022
Il m'a dit : 'Oui, les terrasses, c'est moi'
"Abaaoud est arrivé [à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)], il m'a serré la main, il s'est présenté et je lui ai dit : 'Est-ce que vous avez participé aux attentats ?' Il m'a répondu : 'Oui, les terrasses, c'est moi.' Je me suis figée. J'avais envie de me couper la main. Je me suis sentie trahie, sale. Vous savez, quand vous serrez les mains d'un assassin… C'est comme si c'était moi qui avais tué ces innocents. C'est une honte, une cicatrice que je garderai à vie. Il m'arrive encore de me laver la main à l'eau de Javel, de faire des cauchemars, de ne pas bien dormir." Le 8 avril 2022
J'ai pris un taxi et jeté la ceinture explosive
"[Le soir du 13-Novembre], je vais aller dans un café, je vais entrer, commander une boisson, je vais regarder les gens autour de moi et je vais me dire : 'Je ne vais pas le faire.' Je suis sorti, j'ai pris la voiture, j'étais un peu sonné. Je ne savais pas quoi faire. J'ai roulé avec la voiture, elle est tombée en panne, elle s'est arrêtée. Je me suis mis sur le côté et j'ai pris peur à ce moment-là, j'ai vu une voiture de police passer, j'ai essayé de redémarrer, ça n'a pas marché. Je suis sorti de la voiture. Je ne sais pas ce que j'ai fait en premier, mais je sais que j'ai marché, j'ai acheté un téléphone, j'ai pris un taxi et j'ai jeté la ceinture explosive." Le 13 avril 2022
Je vous demande de me détester avec modération
"Cette histoire du 13-Novembre s'est écrite avec le sang des victimes, je suis lié à elles et elles sont liées à moi. Je vous demande aujourd'hui de me détester avec modération. Je présente mes condoléances et je présente mes excuses à toutes les victimes. On a des divergences, je sais qu'il y a une haine qui subsiste entre vous et moi. On ne sera pas d'accord, mais je vous demande de me pardonner. Ça ne va pas vous guérir mais je sais que la bonne parole peut faire du bien. Et si j'ai pu faire du bien à une seule des victimes... C'est déjà une victoire." Le 15 avril 2022
La participation à des projets criminels ne requiert pas d'être un grand psychopathe
"Nous avons été d'emblée confrontés à la banalité du mal, c'est-à-dire le fossé immense entre l'énormité des crimes commis et la banalité de Salah Abdeslam. La participation à des projets criminels ne requiert ni d'être un grand malade, ni un grand psychopathe. Nous avons été frappés par l'édulcoration de son récit et son insistance à répéter qu'il n'a tué personne. Il s'y accrochait, tout en répétant par ailleurs que l'attentat était un mal nécessaire. Il est entré dans un système totalitaire qui pense à sa place. Cet engagement l'a débarrassé de toute pensée interne. Il faut le rappeler, pour ceux qui attendraient un sursaut d'humanité. Il faut un long cheminement, mais ce procès est très long et peut-être a-t-il permis un tel cheminement." Le 21 avril 2022
J'ai pardonné à ces pauvres âmes
"Quatre-vingt-dix de mes amis ont été tués de manière haineuse devant nous. Je ne savais pas si j'allais avoir la force de remonter sur scène. Ce qu'ils ont essayé de faire ce soir-là, c'est de faire taire la joie liée à la musique, et ils ont échoué. Cette tragédie a pu être transformée en un flambeau de lumière, et c'est pour cela que j'ai pardonné à ces pauvres âmes qui ont commis ces actes. Pour conclure, je citerais les paroles d'Ozzy Osbourne : 'Vous ne pouvez pas tuer le rock and roll.'" Le 17 mai 2022
Nous sommes les oubliés du bout de l'histoire
"Mon mari a essayé d'ouvrir la porte mais le policier lui a mis un fusil sur la tête et a dit : 'Opération antiterroriste'. Mon pays [la Serbie] a été bombardé, je n'aurais jamais cru que je vivrais une autre guerre en France. On était dans la salle de bains, par terre. Mes enfants, de 1, 3 et 5 ans étaient muets. J'ai prié pour mourir avant eux. Nous sommes les oubliés du bout de l'histoire. Je demande qu'on puisse être reconnus comme victimes du terrorisme." Le 20 mai 2022
Nous n'allons pas plaider pour nos seuls clients mais pour toute la communauté
"Nous allons vous présenter une forme inédite de plaidoiries à laquelle ont participé une centaine d'avocats. Nous n'allons pas plaider pour nos seuls clients mais pour toute la communauté. Un de nos espoirs est que les victimes qui n'ont pas déposé à la barre puissent se retrouver dans les cas individuels. Ce qui se joue aussi en filigrane, c'est notre capacité à échanger, à nous comprendre, malgré nos différences de vues. Peut-être que ces plaidoiries peuvent être une forme de réponse au projet terroriste qui cherche à diviser." Le 23 mai 2022
Ils se sont opposés au scénario de mort qu'on leur imposait
"A celle qui a arraché un faux plafond ; à celui qui a couru parmi les balles pour ouvrir la porte de secours ; à ceux qui sont restés prostrés sans lâcher la main de leur compagne ; à celui qui l'a lâchée pour s'enfuir et le regrette ; à ceux qui se sont couverts de corps pour survivre ; à celle qui a craché ses dents pulvérisées par une balle pour ne pas faire de bruit en toussant et attirer l'attention des assassins… Ce faisant, ils ont tous montré la voie, la sortie, la cachette, la volonté de vivre. Ils se sont opposés au scénario de mort qu'on leur imposait. J'aimerais les assurer du sentiment de notre très grande admiration pour ce qu'ils ont fait individuellement et collectivement dans les murs du théâtre du Bataclan." Le 24 mai 2022
Je voudrais m'adresser aux accusés : vous avez perdu
"Les New-Yorkais ont le 11-Septembre, nous avons le 13-Novembre. Je voudrais m'adresser aux accusés : vous avez perdu. Vous avez perdu parce que vous avez voulu nous tuer et nous sommes [aujourd'hui] de ce côté, debout et ensemble. Vous avez perdu parce qu'au milieu de notre ville meurtrie se tient ce palais. Vous avez perdu parce que le califat de l'Etat islamique n'est plus et que ce soir, à 21h30, la tour Eiffel scintillera. Paris est votre démenti. De tous ces morts, de toutes ces larmes, je ne sais plus si Paris est une fête. Mais, au-delà de cette salle, que ceux qui vous ont armés, que ceux qui vous ont inspirés, qui voudraient vous imiter l'entendent avec vous : Paris est votre défaite." Le 2 juin 2022
Ils se défendent comme des vendeurs de shit
"Je sais que les accusés sont totalement humains parce que le mal est dans l'humanité, mais je sais aussi que le mensonge et les principes dans lesquels ils se sont enfermés ne me permettent pas de partager avec eux la perspective d'un avenir. Ils se défendent comme des vendeurs de shit, et je n'ai pas eu l'impression qu'ils étaient à la hauteur de ce procès." Le 23 mai 2022
L'éloge de la vie contre l'éloge de la mort
"Que retiendra-t-on de cette audience ? Quelles images ? Quelles paroles resteront ? Votre verdict, bien sûr. L'horreur des faits bruts et des scènes de crimes, la présence du sang et de la poudre, la cruauté des terroristes qui achèvent coup par coup. Le tombeau, l'enfer dantesque du Bataclan. Ces récits nous ont tendu un miroir inversé : celui de personnes ouvertes et vivantes face à l'obscurantisme et au fanatisme, du courage des soldats de la République. L'éloge de la vie contre l'éloge de la mort. Celui de l'humanité face à la barbarie." Le 8 juin 2022
Nous vous demandons de déclarer coupables l'ensemble des accusés
"La plupart des peines qui vont être requises sont lourdes, très lourdes. Le crime est d'une telle gravité que la sanction ne peut être qu'en adéquation avec cette gravité. C'est le reflet de la somme colossale, physique et psychique, causée par ces crimes. La réinsertion devient alors secondaire. La peine maximale [encourue] nous apparaît comme pleinement proportionnée au degré d'implication des accusés. Au moment de délibérer, vous devrez nécessairement vous poser cette question : 'Est-on certain qu'ils renonceraient aujourd'hui, qu'ils renonceront à l'avenir ?' Nous vous demandons de déclarer coupables l'ensemble des personnes accusées. Votre verdict ne guérira pas les blessures visibles ou invisibles mais il assurera que la justice et le droit auront le dernier mot." Le 10 juin 2022
L'humanisme est un effort
"Pourquoi est-on plus admiratif des propos humanistes de certaines victimes que de la haine ? Car l'humanisme est une décision, que l'on prend parfois contre soi, parce qu'on ne veut pas vivre dans un monde dont on occulterait la face sombre. Parce qu'on ne veut pas se dire que certains actes échapperaient à l'analyse, à l'observation, à l'humaine condition. L'humanisme est un effort que l'on obtient en triomphant de soi-même. Pour la haine, on se laisse glisser, la pente est naturelle, la haine ne requiert pas d'efforts. Si, au nom de l'émotion suscitée par les crimes, on en arrive à condamner le complice d'actes préparatoires, le loueur d'appartements et de voitures à l'égal de l'assassin, alors il faudra admettre que l'Etat de droit a fondu sous le choc et qu'il n'existe plus que sous la forme d'un décor de carton-pâte." Le 21 juin 2022
Si on traite les hommes comme des bêtes, ils deviennent des bêtes
"Ce n'est pas le jihadisme qui précède la guerre, c'est la guerre qui précède le jihadisme. La seule chose que les guerres antiterroristes ont produite, c'est encore plus de terrorisme. Si on traite les hommes comme des bêtes, ils deviennent des bêtes. Si on croit au caractère sacré de la vie, il faut croire au caractère sacré de toutes les vies." Le 22 juin 2022
La justice n'est pas une arme de colère
"Attention à l'opinion publique, ne vous laissez pas glisser. Elle frappe, là-bas, à l'entrée de la salle, elle s'est parfois invitée dans le prétoire. Le peuple peut être grand, mais c'est pour ne jamais tomber dans ses travers que vous avez été choisi. La balance de la justice, c'est vous. Le recul, c'est vous. C'est votre prisme de magistrats qui est important, qui fait cette audience, c'est votre prisme qui est compétent pour juger, analyser les fractures et les brisures de Mohamed Abrini. Vous allez devoir partir délibérer en vous demandant si la peine est juste. Vous n'êtes pas tenus par les réquisitions. Vous pouvez descendre, monter, vous êtes libres. La justice n'est pas une arme de la colère. Ici, dès lors que l'on porte une robe noire et rouge, on résiste au sentiment." Le 23 juin 2022
Si vous suivez les réquisitions du parquet, c'est le terrorisme qui a gagné
"C'est parce qu'il aurait tenté de tuer des policiers au Bataclan que Salah Abdeslam serait accessible à la perpétuité incompressible. Mais il n'était pas sur place ! C'est ce qu'on aurait requis contre les auteurs [de la tuerie] du Bataclan mais ils ne sont pas là, alors c'est lui qui prend. Il est pourtant précisément devant vous car il s'est désisté. Dans notre histoire, quatre personnes ont été condamnées à cette peine. L'une d'entre elles, c'était Michel Fourniret. [Le psychiatre] Daniel Zagury vous a dit que Salah Abdeslam n'était pas un grand pervers, alors pourquoi on mettrait un double verrou à sa peine ? Pendant des années, il a tenté de coller à l'image d'ennemi public numéro 1. A l'audience, il a dit : 'Je ne suis pas vraiment comme ça.' Bien sûr qu'il oscille encore entre ces deux rivages. Pour lui, sortir de la radicalité, c'est comme s'il apprenait à nager. S'il s'éloigne trop de ce bord, il se noie. Il apprend à lâcher le bord.
En 1981, lors de l'abolition de la peine de mort, on avait jugé qu'il était hors de question de remplacer un supplice par un autre. Cette peine de mort lente a fini par entrer dans le droit positif et aujourd'hui, on vous la requiert, cette peine cruelle. Bien sûr, les attentats ont été cruels mais la justice n'a pas à l'être. Moi je ne vous demande pas du courage, je vous demande d'appliquer le droit avec toute l'honnêteté que votre conscience oblige. La justice, ce n'est pas un mouvement de foule. Si vous suivez le parquet, c'est le terrorisme qui a gagné. Et nous, nous n'aurons plus qu'à comprendre qu'en réalité, tout ceci était une farce." Le 24 juin 2022
J'ai confiance en la justice
"C'est difficile de trouver les derniers mots. Il y aura un avant et un après toute cette histoire et je sais que je vais devoir apprendre à vivre avec le restant de ma vie. Il y a un moment que j'appréhende beaucoup, c'est celui où je vais devoir expliquer à mes enfants les attentats, ma détention et pourquoi je leur ai menti en disant que j'allais travailler, même si ma grande a déjà un peu compris. Je leur montrerai mon livre avec toutes mes petites notes, je leur parlerai de ce que j'ai vu, de ce que j'ai entendu, les témoignages des victimes qui m'ont bouleversé et que je n'oublierai jamais. J'espère que cette étiquette qui me colle à la peau ne collera pas à celle de mes enfants. Je ne comprends pas comment on peut adhérer à ces idées qui ont gâché des milliers de vies, semé la mort et la tristesse. Je voulais dire aussi que j'ai confiance en la justice." Le 27 juin 2022
Je ne suis pas un assassin
"Mes premiers mots seront pour les victimes. Je vous ai présenté mes excuses et certains vous diront qu'elles sont insincères. Plus de 130 morts, plus de 400 blessés, qui peut présenter des excuses insincères à l'égard de tant de souffrances ? C'est avec l'épée du parquet sur le cou que je m'adresse à vous. Perpétuité, c'est sûrement à la hauteur des faits, mais pas à la hauteur des hommes qui sont dans le box. J'ai reconnu que je n'étais pas parfait, j'ai fait des erreurs, c'est vrai. Mais je ne suis pas un assassin, je ne suis pas un tueur. Et si vous me condamnez pour assassinat, vous commettrez une injustice." Le 27 juin 2022
Salah Abdeslam, l'unique survivant des commandos du 13-Novembre, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.
Mohamed Abrini, accusé d'avoir participé au financement des attentats et à la fourniture des armes, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans.
Osama Krayem, compagnon de cavale de Salah Abdeslam, avec Sofien Ayari, a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers.
Sofien Ayari, l'un des compagnons de cavale de Salah Abdeslam en Belgique, a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers.
Mohamed Bakkali, considéré comme l'un des logisticiens des commandos du 13-Novembre, a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers.
Muhammad Usman, qui devait faire partie des kamikazes du Stade de France, a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers.
Adel Haddadi, qui devait faire partie des kamikazes du Stade de France, a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers
Ali El Haddad Asufi, accusé d'avoir apporté un soutien logistique à la cellule terroriste et d'avoir participé à la fourniture d'armes, a été condamné à dix ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers.
Yassine Atar, frère du commanditaire des attentats et accusé d'avoir détenu une clé d'une planque de la cellule terroriste, a été condamné à 8 ans d'emprisonnement avec une période de sûreté des deux tiers.
Mohammed Amri, accusé d'être allé chercher Salah Abdeslam en voiture le soir du 13 novembre 2015, a été condamné à 8 ans d'emprisonnement avec une période de sûreté des deux tiers.
Ali Oulkadi, accusé d'avoir aidé Salah Abdeslam à se cacher à son arrivée à Bruxelles, a été condamné à cinq ans d'emprisonnement, dont trois avec sursis.
Hamza Attou, accusé d'avoir accompagné Mohammed Amri pour aller chercher Salah Abdeslam à Paris, a été condamné à quatre d'emprisonnement dont deux avec sursis.
Abdellah Chouaa, accusé d'avoir notamment joué le rôle de chauffeur pour Mohamed Abrini, a été condamné à quatre ans d'emprisonnement dont trois avec sursis.
Farid Kharkhach, accusé d'avoir fourni des faux papiers à la cellule du 13-Novembre, a été condamné à deux ans d'emprisonnement après requalification des faits en association de malfaiteurs en vue de commettre des escroqueries.
Les accusés jugés en leur absence
Oussama Atar, considéré comme le commanditaire des attentats, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.
Obeida Aref Dibo, un cadre de l'Etat islamique accusé d'avoir aidé une partie du commando en leur fournissant de faux papiers, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.
Ahmad Alkhald (pouvant être Omar Darif), considéré comme l'un des principaux artificiers de l'Etat islamique en Europe, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.
Fabien Clain et Jean-Michel Clain, les voix du message de revendication des attentats, ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.
Ahmed Dahmani, soupçonné d'être un logisticien de la cellule jihadiste, incarcéré en Turquie, a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers.
Comment nous avons réalisé cet article
Nous avons sélectionné des extraits du procès issus de nos notes personnelles, complétées par les comptes-rendus de nos consœurs et confrères, notamment de France Inter. Pour que la lecture soit la plus fluide possible, nous avons condensé la retranscription de certaines auditions. Nous avons également très légèrement reformulé, privilégiant l'usage du présent, avec le souci de ne pas altérer le sens du propos.
S'agissant de l'ordre de ces témoignages et déclarations, nous avons respecté la chronologie, sauf exception, lorsqu'un propos plus tardif nous semblait éclairer de précédents éléments. Enfin, tous les récits de parties civiles auraient mérité d'être reproduits mais nous avons dû faire des choix pour rendre compte de toute la complexité d'un procès.
Crédits
- Journalistes :Juliette Campion, Catherine Fournier, Alice Galopin, Violaine Jaussent
- Illustrations :Astrid Amadieu
- Relecture :Boris Jullien, David Perrault, Stéphanie Thonnet
- Conception :Maxime Loisel
- Design :Hieu Huynh
- Développement :Romain Pennacchio
- Supervision éditoriale :Ilan Caro, Audrey Cerdan, Simon Gourmellet