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Attentat contre "Charlie Hebdo" : "Les frères Kouachi se sont retrouvés embringués dans l'islamisme radical"

Magali Serre, journaliste, a réalisé une enquête sur le groupe des Buttes-Chaumont, une filière de recrutement de jihadistes créée au début des années 2000. Voici son analyse.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Portraits de Chérif Kouachi (à gauche) et Said Kouachi, diffusés par la préfecture de police de Paris, le 8 janvier 2015. (AFP)

Le document semble surréaliste. Nous sommes au début des années 2000. Chérif Kouachi était à l’époque l’un de ceux que l’on voyait sur une vidéo tournée par une association d’aide aux jeunes des quartiers. Celui qui est aujourd’hui soupçonné, avec son frère Said, d’être l’un des auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo, y apparaît entouré de copains et s’essayant au rap. Ce document fait partie de l’enquête de la journaliste Magali Serre diffusée par France 3 dans le cadre de l’émission "Pièces à convictions", en septembre 2005.

Au cœur de cette investigation, la bande dite du 19e arrondissement de Paris. C’est précisément là que s’est nouée l’histoire des deux frères aujourd’hui recherchés par toutes les polices.

Francetv info : Que représentait la bande des Buttes-Chaumont ?

Magali Serre : C’était une bande de jeunes rassemblés autour d’un jeune prédicateur, Farid Benyettou. Ce dernier enseignait l’arabe et, officiellement, le Coran. Tous ont été arrêtes en 2004 parce que le prédicateur était soupçonné d’envoyer ces jeunes faire le jihad en Irak. Voilà donc ce qu’est cette filière dite "des Buttes-Chaumont". Chérif Kouachi, l’un des deux frères actuellement en fuite, faisait partie de ce groupe. Il avait été arrêté à Roissy juste avant de s’embarquer pour la Syrie. Il était en fait, comme les autres, surveillé par les services français. Il avait à ses côtés Thamer Bouchnak, un autre candidat au voyage jihadiste.

A cette époque, on possédait peu d’informations sur l’autre frère Kouachi, Said. On savait simplement que les deux jeunes hommes – ils avaient alors moins de 25 ans, c'était entre 2003 et 2005 – étaient très liés.

Apparemment, leur histoire familiale est très chaotique... 

Ils sont orphelins. Ils ont été placés dans de nombreuses familles. Ils ont arrêté leurs études assez jeunes. J’avais retrouvé les images de Chérif Kouachi auprès de l’un de ses éducateurs. A l’époque, l'éducateur décrivait Chérif comme un jeune paumé, qui ne savait pas quoi faire de sa vie, et qui n’avait devant lui que fort peu de perspectives. C'est bien lui que l'on voit dans les rues du quartier et s'exerçant au rap.

Le profil de la bande entière était-il à l’image de Chérif Kouachi ?

C’était effectivement le parcours classique de cette bande du 19e arrondissement de Paris. Mais il faut remarquer aussi qu’au départ, ils ne sont pas vraiment – voire pas du tout – engagés dans la religion. Et puis tout à coup, ils se retrouvent embringués dans l’islamisme radical, du fait de cette rencontre avec le jeune prédicateur qui a su les convaincre. Chérif Kouachi ne parlait pas l’arabe, il a pris des cours avec Benyettou. D’autres, en revanche, étaient déjà des islamistes convaincus. En fait, il y avait plusieurs niveaux dans cette filière. A côté des jeunes, on voyait des plus anciens – deux ou trois – qui étaient plus durs. Ces derniers avaient d’ailleurs été combattre en Irak. L’un d’eux s’est même fait sauter avec une bombe là-bas.

Etait-il possible d’imaginer que les deux frères basculeraient ainsi dans une action aussi monstrueuse que la tuerie de Charlie Hebdo ?

Chérif Kouachi apparaissait à l’époque comme le plus naïf. Alors, quand j’ai appris qu’il était suspecté de faire partie du commando, je n’en revenais pas. Jamais on aurait pu imaginer une telle chose. A l’époque, j’avais parlé avec les avocats. Pour eux, les deux frères étaient des gars "paumés, un peu bêtes", mais qui apparemment, à ce moment-là, ne prévoyaient aucune action particulière sur le sol français. Depuis, j’ai rappelé l’un des avocats, et il m’a confié ce matin même : "Mais comment n’avons-nous pas vu cela ? Comment n’a-t-on même pas imaginé que leur parcours pouvait les conduire à ça ?"

A titre personnel, je pense que leur séjour en prison explique peut-être leur radicalisation. C’est là que les deux frères ont dû faire des rencontres déterminantes. En tout cas, c’est ce qui s’est passé pour Thamer Bouchnak, qui après la prison a été arrêté pour des faits relevant du terrorisme. Or, on l’a vu, c’était un proche de Chérif, l’un des deux auteurs présumés de la tuerie d’hier.

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