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Attaque du Thalys : "Un dispositif de contrôle des trains aurait des conséquences et un coût faramineux"

Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST), répond aux questions de sécurité qui se posent après l'attaque perpétrée dans le nord de la France.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des agents de police surveillent le Thalys, le 22 août 2015 à Bruxelles (Belgique). (NICOLAS MAETERLINCK / AFP)

L’attaque qui s’est déroulée à bord du Thalys vendredi 21 août marque par la banalité des circonstances. Quoi de plus banal que de prendre un train ? Et voilà que cela peut devenir un sujet d’inquiétude. Alors, faut-il contrôler les voyageurs, leurs bagages dans l’immensité du trafic ferroviaire ? Comment organiser ces dispositifs ?

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Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST, a souvent été confronté aux questions d’attentats dans les transports. Pour francetv info, il répond aux questions de sécurité qui se posent aujourd’hui.

On a connu les bombes à bord des trains, ou sur des rails. Désormais, on peut voir des personnes ouvrir le feu sur les passagers d’un Thalys. Comment répondre à ce nouveau type d’action violente ?

Louis Caprioli : Les attentats dans les trains et les RER sont des événements hélas connus depuis bien longtemps. Le 31 décembre 1983, une bombe placée dans le TGV Marseille-Paris explosait à Tain-l’Ermitage. Bilan : trois morts et une quinzaine de blessés. Puis, il y eut d’autres engins explosifs dissimulés dans les RER ou le métro dans les années 1990. On avait mis alors en place, ponctuellement, des règles de sécurité relatives aux bagages. C’est depuis cette époque que l’on recommande aux voyageurs de ne pas laisser sans surveillance leurs valises ou leurs sacs. Mais ce qui vient de se passer dans le Thalys pose de nouvelles questions autrement plus complexes à résoudre. Très franchement, je pense que l’on se précipite quelque peu à vouloir apporter des réponses à cette opération ultra-violente alors que l’on ne sait pas encore réellement le détail des circonstances. En fait, on laisse entendre qu’il y aurait une défaillance de la SNCF dans son dispositif de sécurité. C’est aller vite en besogne.

On peut pourtant comprendre l’inquiétude de toutes celles et ceux qui utilisent fréquemment ces moyens de locomotion ?

Evidemment. Mais, quand le gouvernement décide de mettre en place un numéro national pour le signalement des situations anormales, de quoi s’agit-il concrètement ? Pour prendre l’exemple du Thalys, qu’auraient donc signalé les témoins de cette attaque ? Ils sont intervenus, et ce geste de courage est formidable. En fait, la SNCF ne peut pas mettre en place un système de sécurité vraiment efficace pour des raisons économiques. Quand, dans les aéroports, on a créé le parcours de sécurité que l’on connaît aujourd’hui, le trafic s’est considérablement ralenti. Et cela d’ailleurs au profit des grandes lignes de train, où il suffit d’arriver en gare quelques minutes avant le départ. La SNCF n’est donc certainement pas hostile au renforcement des contrôles de sécurité, mais les conséquences et les coûts que cela représenterait sont faramineux. Il existe pourtant bien un exemple de ce dispositif, c’est celui de l’Eurostar.

Comment se fait, justement, le contrôle quand on part à bord de l’Eurostar ?

D’abord, le contrôle des personnes et des bagages est possible parce que l’on se situe hors de l’espace Schengen. Je rappelle que cet accord, signé en 1985 et remanié en 1990, concerne 26 Etats européens hors la Grande Bretagne. Donc, quand on prend l’Eurostar, on s’apprête à subir un double contrôle français et britannique. Il y a d’abord un contrôle de l’identité des personnes, effectué par les Français, et un contrôle des bagages que font les Britanniques. On peut donc considérer que, à la sortie, le voyageur est "clean", comme nous le disons. Mais cela implique de se rendre à la gare un bon moment avant de prendre son train. D’ailleurs, des salles d’attente ont été créées et on peut même se restaurer sur place dans un espace balisé. Le coût de ces mesures est considérable, mais tout le dispositif est désormais globalement accepté par les voyageurs.

En revanche, au sein de l’espace Schengen, comment mettre en place ces contrôles ? Comment a fortiori organiser cette sécurité dans les trains de banlieue par exemple ? Et, quand bien même, on peut hélas penser que les terroristes trouveraient la parade pour la fourniture et la circulation des armes dans les trains. L’énormité du dispositif, outre les problèmes extrêmes qu’il pose au déplacement de tout un chacun, n’empêcherait peut-être pas de nouveaux attentats.

Avec l’attaque du Thalys, on parle aussi du dispositif de sécurité mis en place par les services de renseignements. La traçabilité des individus semble sujette à caution ?

Là encore, sous le coup de l’émotion, on laisse entendre qu’il y a forcément eu défaillance des services. Et l’on ressert la tarte à la crème de la fiche S dont faisait effectivement l’objet l’homme qui a été arrêté. De quoi s’agit-il ? La fiche S fait partie d’un très ancien fichier de police qui recense aussi bien les grands malfrats que les terroristes. "S", c’est pour "sûreté de l’Etat". Les personnes fichées représentent donc "une menace potentielle" pour cette sûreté, avec des chiffres qui indiquent le taux fort ou pas de cette menace. On aperçoit bien le caractère assez peu défini de cette notion.

Dans le cas de l’auteur présumé de l’action du Thalys, les services espagnols auraient prévenu les Français quant à la dangerosité de celui-ci. Il aurait en effet vécu un an en territoire espagnol. Mais pourquoi ne l’ont-ils pas arrêté à cette époque-là ? Comment cet individu a-t-il été présenté dans l’appréciation de la menace qu’il représentait ? Là encore, de très nombreuses questions se posent dans la qualité des informations recueillies et transmises. Mais la précipitation est mauvaise conseillère en matière de terrorisme. Les mises en cause fusent déjà alors que tout est encore flou. Ce qui est sûr, c’est que l’espace Schengen, espace de liberté pour nous tous Européens, se retourne aujourd’hui contre nous dans la lutte à organiser contre les actions ultra-violentes des islamistes radicaux.

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