Violences conjugales : le football américain est un repaire de cogneurs ?
En quinze jours, cinq joueurs de NFL ont été suspendus pour avoir frappé leur compagne, mais parfois aussi d'autres membres de leur famille. Et il ne s'agit pas d'une coïncidence.
"Alerte ! Un joueur de NFL se trouve dans le voisinage ! Restez calfeutrés chez vous !" Le site parodique The Onion (en anglais) touche juste quand il imagine un faux système d'alerte sur smartphone. Pour le grand public, en chaque joueur de NFL, le championnat de football américain, sommeille un homme violent. La vidéo du footballeur américain Ray Rice frappant sa femme dans un ascenseur, diffusée le 8 septembre par le site people TMZ (en anglais), a relancé le débat sur les violences conjugales de la part des joueurs de NFL.
La semaine suivante, quatre autres footballeurs ont été suspendus pour avoir frappé leur compagne, et, pour l'un d'eux, fouetté son fils. La machine médiatique tourne à plein régime outre-Atlantique : la NFL est-elle un repaire de brutes épaisses ? Éléments de réponse.
Frapper sa femme : deux matchs de suspension maximum
Les chiffres sont là. Sur les 700 arrestations de joueurs recensées depuis 2000 par USA Today (en anglais), 81 l'ont été pour des violences conjugales. Et d'après les savants calculs du site de statistiques FiveThirtyEight (en anglais), le taux de violences conjugales est incroyablement élevé pour une population d'hommes aussi riches. La pauvreté et les faibles revenus sont le facteur n°1 pour expliquer un comportement violent envers son entourage, selon le site. Ce qui n'est pas vraiment le cas en NFL, où les joueurs signent des contrats de plusieurs millions de dollars chaque année.
L'affaire Ray Rice est révélatrice des mœurs d'un autre âge du championnat. Le grand patron de la NFL, le commissioner Roger Goodell, a annoncé avoir suspendu le joueur deux matchs. Deux rencontres de moins... que s'il avait été contrôlé positif au cannabis. Aussitôt, les associations féministes ont poussé des hauts cris. La réponse la plus originale est venue de Twitter, où des militants ont détourné une publicité pour la marque de cosmétiques Cover Girl, partenaire de la NFL.
Thanks to the NFL, Cover Girl has a PR nightmare on its hands http://t.co/vot6Ovflhu pic.twitter.com/D28o9SIdGI
— Jezebel (@Jezebel) 15 Septembre 2014
Si les sponsors ont rapidement paniqué (le brasseur Anheuser-Busch a rompu son contrat, Cover Girl et Nike ont pris leurs distances avec le championnat...), les acteurs de la NFL n'ont pas brillé par leur sens de la com'. Le compte Twitter officiel des Baltimore Ravens, l'équipe de Ray Rice, a accablé Janay Rice, sa fiancée, qu'il a épousée depuis l'incident, avant d'effacer le tweet quelques heures plus tard. Un joueur des Atlanta Falcons s'est ouvertement plaint que les sanctions infligées au joueur qui avait fouetté son fils flinguaient ses paris sportifs.
"Je ne comprends pas, on a pris des mesures"
Le commissioner Roger Goodell n'a pas vu venir la tornade médiatique qui s'est abattue sur son championnat. "Je ne comprends pas, on a pris des mesures, se défend-il, cité par ESPN (en anglais). Pourquoi la colère des gens ne se tourne pas vers le juge et le procureur [dans l'affaire Rice], qui n'ont rien fait du tout ?" Goodell a étendu la sanction à titre conservatoire. On apprend alors que les dirigeants des Ravens ont tenté de faire pression sur la NFL et la police pour étouffer l'affaire. Toutefois, le syndicat des joueurs menace quand même d'attaquer la ligue en justice.
Depuis l'affaire O.J. Simpson - un ancien joueur de football américain accusé d'avoir voulu tuer son ex-femme au début des années 1990, avec un procès surmédiatisé à la clé -, la NFL a eu à gérer de nombreuses affaires de ce genre. Mais généralement, les choses se passent comme pour le joueur des Green Bay Packers Erik Walden, accusé d'avoir agressé sa petite amie, fin 2011. Les charges sont d'abord réduites à "comportement turbulent", et 50 heures de travaux d'intérêt général et un petit match de suspension plus tard, on n'en parle plus.
"Entre 1989 et 1994, 141 joueurs ont été inculpés de violences faites à une femme. Un seul a été sanctionné par la ligue", relevait le Harvard Sports and Entertainment Law Journal (en anglais). Le chiffre n'a guère augmenté aujourd'hui. En cause, une culture de l'impunité parmi les athlètes, et une curieuse bienveillance de la justice. Une étude de 1997 (en anglais) montre que, pour des faits d'agression sexuelle, les sportifs ne sont condamnés que dans 31% des cas, contre 54% pour les autres justiciables.
La fausse sévérité de la NBA, l'amnésie de la MLB
Depuis l'affaire Rice, la NFL est dans l'œil du cyclone. Seule. La NBA (basket) et la MLB (base-ball) se font soigneusement oublier. Il y aurait pourtant beaucoup à dire. La NBA a certes mis en place un code de bonne conduite et des sanctions pouvant aller jusqu'à 10 matchs de suspension pour violences conjugales. Dix matchs sur une saison qui en fait 82, c'est à peu près la même chose que les 2 matchs en NFL, où la saison en compte 16.
Quant à la prise en compte de l'étendue du problème, on en est loin : l'ex-femme du basketteur Robert Parish, recordman du nombre de matchs joués en NBA, a raconté au magazine Sports Illustrated, en 1995, que Parish l'avait passée à tabac dans un hôtel, en 1987, la laissant au sol dans le hall, le crâne ouvert. Quelques années plus tôt, il l'aurait jetée dans les escaliers, alors qu'elle était enceinte de huit mois. Parish n'a jamais été inquiété par la justice, et a toujours son rond de serviette au Hall of Fame. Jamais la NBA n'a suspendu le moindre joueur pour violences conjugales.
Idem au base-ball. Interrogé, le commissioner Bud Selig dit "ne pas se souvenir" d'un cas de violences conjugales dans son sport. "Ou alors il y a très très longtemps." Très longtemps ? Cinq affaires impliquant des vedettes du championnat ont été rendues publiques en 2012, rappelle NBC (en anglais). Aucune sanction n'a jamais été prise par la MLB dans ces cas-là.
Comment expliquer ce phénomène dans le sport américain ? Des chercheurs avancent l'idée que le sport crée une "sous-culture macho" chez les athlètes, où la virilité se caractérise par la violence. Pas que la virilité d'ailleurs : Hope Solo, la gardienne de l'équipe de soccer des Etats-Unis, célèbre au point d'avoir participé à l'édition américaine de Danse avec les stars, est poursuivie pour violences contre son mari et contre son neveu. Mercredi 17 septembre, elle gardait, comme si de rien n'était, le but de l'équipe nationale contre le Mexique. D'éventuelles sanctions attendront.
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