Affaire Dupont de Ligonnès : comment les policiers écossais et français se renvoient la responsabilité de la méprise
Vendredi soir, des sources policières françaises ont rapporté à plusieurs médias, dont franceinfo, que les forces de l'ordre écossaises avaient informé la France de l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès à Glasgow. Une affirmation démentie outre-Manche.
Comment les forces de l'ordre françaises et écossaises ont-elles pu concourir à arrêter un homme qui n'était pas Xavier Dupont de Ligonnès ? Cinq jours après cette erreur policière et médiatique, la discorde règne entre policiers français et écossais. Chaque partie se rejette la responsabilité de cette méprise, notamment sur les raisons pour lesquelles un homme a été identifié à tort comme l'un des fugitifs français les plus recherchés de ces dernières années.
Dans un mail envoyé mardi 15 octobre, la police écossaise affirme à franceinfo que ses enquêteurs – qui ont procédé à l'arrestation – n'ont jamais confirmé "ni en public ni en privé" que l'homme arrêté était Xavier Dupont de Ligonnès, car "cela n'a jamais été sûr".
Nous n'avons jamais été certains que l'homme arrêté était Dupont de Ligonnès, donc nous ne l'avons jamais confirmé.
le service communication de la police écossaiseà franceinfo
Toujours selon la police écossaise, la déclaration fournie aux médias le 11 octobre au soir a été la suivante : "Le 11 octobre 2019, un homme a été arrêté à l'aéroport de Glasgow et est en détention dans les locaux de la police, conformément à un mandat d'arrêt européen émis par les autorités françaises. Des investigations sont en cours pour confirmer son identité et faire la liaison avec nos collègues et services concernés."
Des messages échangés entre policiers français
Pourtant, vendredi soir, selon une capture d'écran révélée par le magazine "7 à 8" sur TF1 et vérifiée par France 2, les policiers français en poste à l'ambassade de France à Londres envoient un télex à leur hiérarchie : "Le magistrat du poste nous informe de l'interpellation ce soir à son arrivée en Ecosse de Xavier Dupont de Ligonnès, recherché depuis 2011 pour le meurtre de sa femme et de ses enfants." Le magistrat de liaison sert à faciliter la coopération judiciaire pénale entre deux pays. "Les Ecossais ont appelé le magistrat de justice française pour l'informer du 'match' [la concordance] des empreintes", précise Audrey Goutard, journaliste spécialiste de la police à France Télévisions.
Sur quels éléments se sont fondés ces policiers français pour communiquer auprès de leur hiérarchie ? Selon des sources policières à France 2 et France 3, des appels ont été passés entre policiers français et écossais, mais on ignore le contenu de ces échanges. "Ils se sont parlé à quatre reprises officiellement. Quatre interlocuteurs de la police écossaise confirment le 'match' entre 19h30 et 21 heures", reprend Audrey Goutard, de source policière.
Tout s'est fait par téléphone. Le télex est la seule preuve écrite d'un échange que nous ayons.
Audrey Goutard, journaliste à France Télévisionsà franceinfo
Par la suite, plusieurs médias, dont franceinfo, affirment donc – à tort – que Xavier Dupont de Ligonnès a été arrêté, en citant des sources policières françaises. "Nous appelons les plus hautes autorités de la police, celles-ci confirment à 100% qu'il s'agit bien de Xavier Dupont de Ligonnès. Elles s'appuient sur les propos de leurs homologues écossais, qu'elles citent, poursuit Audrey Goutard. Un, selon les policiers écossais, les empreintes digitales correspondent bien à celles de la fiche Interpol, et, deux, les premiers marqueurs ADN semblent correspondre. Nous avons eu nos sources et nous partons comme ça, nous nous disons 'zéro souci'."
Une mauvaise interprétation des empreintes ?
Une mauvaise interprétation des empreintes digitales pourrait-elle expliquer cette erreur ? Selon Le Parisien, les policiers écossais disposent d'une seule empreinte papillaire, celle de l'index gauche, que "XDDL" avait déposée en préfecture lors d'une demande de carte nationale d'identité. Avant sa disparition, les empreintes de ses dix doigts n'ont jamais été relevées puisqu'il n'avait jamais eu affaire à la justice. De plus, selon Le Parisien, les Ecossais n'ont en leur possession que la copie d'Interpol et non l'empreinte originale, restée entre les mains des Français et versée au Fichier national automatisé des empreintes digitales (Fnaed), le 6 mai 2011. Leur exemplaire pourrait donc être de mauvaise qualité.
Toutefois, selon Audrey Goutard, la police française a bien envoyé aux Ecossais deux empreintes "de bonne qualité", celle qui était sur la feuille rouge d'Interpol et celle qu'ils avaient "informatiquement" pour effectuer les comparaisons. "Mais pour les policiers français, les Ecossais bossaient à l'européenne", reprend-elle, c'est-à-dire que leurs critères de comparaison étaient les mêmes que ceux des Français. De son côté, la police écossaise se défend de toute responsabilité.
Les empreintes de l'homme arrêté à l'aéroport de Glasgow ont été prises, mais n'ont jamais matché, même partiellement, avec celles de Xavier Dupont de Ligonnès.
le porte-parole de la police écossaiseau "Parisien"
Mardi, la police écossaise répète dans un mail à franceinfo avoir averti ses homologues français de cette non-concordance.
Une version contredite par les Français, qui affirment avoir eu "à de multiples reprises" des confirmations verbales des Ecossais. "A quatre reprises, oralement, la police écossaise nous a affirmé avoir identifié" l'homme arrêté comme étant Xavier Dupont de Ligonnès, a déclaré une source proche de l'enquête à l'AFP. En revanche, selon cette même source, la police écossaise n'a jamais voulu leur transmettre la comparaison des empreintes.
Un signalement mystérieux
Au-delà des analyses d'empreintes, sur quoi se basaient les différentes polices pour affirmer qu'un homme suspecté d'être Xavier Dupont de Ligonnès allait prendre un vol depuis Paris pour Glasgow ? Selon la police française, le signalement provenait des Ecossais. Ils auraient transmis, le 11 octobre dans la matinée, via un canal de liaison de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), un tuyau selon lequel "XDDL" était dans ce vol sous l'identité d'un certain "Guy J".
Comment la police écossaise a-elle obtenu ce premier renseignement ? Elle n'a pas répondu à nos sollicitations. Les autorités françaises n'ont pas obtenu plus de réponses et pensent à une dénonciation anonyme, rapporte Le Parisien.
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