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Foot espagnol : qui veut rembourser des millions ?

Cinq clubs espagnols se sont hissés en demi-finale des Coupes d'Europe. Une réussite sportive indéniable, mais au prix d'errements financiers dramatiques dans un pays frappé par la crise.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Cristiano Ronaldo, l'attaquant du Real Madrid, le nez dans le gazon, le 8 avril 2012.  (JASPER JUINEN / GETTY IMAGES EUROPE)

Deux clubs espagnols en demi-finale de la Ligue des Champions, trois autres en demi-finale de la Ligue Europa… pour arriver à ce résultat peu brillant : entre 675 et 752 millions d'euros de dettes fiscales accumulées depuis des années par les équipes du championnat national.

Le 15 mars, le tabloïd allemand Bild s'émouvait que le contribuable allemand, via les multiples plans de sauvetage mis en place par l'Europe, aide à payer le salaire de Lionel Messi, la star du FC Barcelone. Le dirigeant du Bayern Munich, Uli Hoeneß, a fait à cette occasion dans la poésie : "On paye des centaines de millions pour les tirer de leur merde, et après, les clubs ne paient pas leurs dettes."

La "culture de la permissivité", plaie du foot espagnol

Valence CF, l'Atletico Madrid, l'Espanyol Barcelone ou le Bétis Séville sont les premiers concernés, même si les chiffres qui circulent, comme ceux rapportés par Walfoot, ne sont pas officiels. "La dette avec le fisc est une spécificité espagnole, explique au Figaro Luis Carlos Sanchez, économiste du foot espagnol. À la différence du football anglais, lui aussi très endetté, il existe en Espagne une culture de la permissivité. Les administrations se sont montrées flexibles avec les clubs."

Jusqu'à présent, personne ne s'en était réellement inquiété, malgré la crise que traverse l'économie espagnole. Mais quand la Commission européenne a commencé à mettre son nez dans le dossier, se demandant s'il n'y avait pas de la part des régions des aides déguisées constituant une entorse au droit de la concurrence, l'Espagne a pris les choses en main. Les clubs ont signé mercredi 25 avril un plan de remboursement, et le gouvernement prélèvera directement son dû sur les droits télé si les clubs font défaut.

Si le problème de la dette fiscale est en voie de résolution, reste celui de la dette tout court. Cumulée, elle s'élève à 3,5 milliards d'euros pour l'ensemble des équipes de première division espagnole.

Des clubs en redressement judiciaire

Les deux mastodontes de la Liga, le Real Madrid et le FC Barcelone, ne donnent pas vraiment l'exemple, avec un endettement respectif de 590 et 578 millions d'euros (alors que le Barça était à l'équilibre en 1995, d'après le magazine économique américain Forbes). Valence et l'Atletico Madrid, dans le dernier carré de la Ligue Europa, cumulent eux 380 et 514 millions d'arriérés.

Six clubs de première division sont en redressement judiciaire, 21 au total dans le pays. Des clubs souffreteux qui pourront enfin être sanctionnés : depuis janvier 2012, une loi autorise la rétrogradation administrative des clubs en faillite dans les divisions inférieures.

"Merkel du foot" et cure d'austérité

Le club de l'Espanyol Barcelone, endetté à hauteur de 150 millions d'euros, a annoncé que tous ses joueurs seraient sur le marché à la fin de saison. Une décision radicale, qui a valu à son président le surnom de "Merkel du foot". Un fonds de pension s'est déjà porté acquéreur de quatre joueurs, à hauteur de plus ou moins 20% (sur le même modèle que le Français Eliaqim Mangala au FC Porto), ce qui a permis au club de récupérer de l'argent frais tout en gardant ses sportifs sur le terrain jusqu'à la fin de la saison. 

Le club de Valence, lui, s'est ruiné en voulant construire un stade de 70 000 places, quand il ne cumulait que 39 000 abonnés. Les travaux, estimés à 300 millions d'euros, ont commencé en 2007. Le club espérait les financer par la vente du terrain de l'ancien stade pour 400 millions, mais la crise financière est passée par là. L'enceinte délaissée n'a pas trouvé preneur et le chantier du nouveau stade est resté en friche pendant deux ans, avant que le club ne débloque des fonds pour reprendre les travaux. 

Vue aérienne du stade Nou Mestalla à Valence en 2008. ( / X01080)

Les deniers publics, premiers supporters du foot espagnol

La dette abyssale de Valence ? Garantie par le gouvernement de la province, note le blog spécialisé The Swiss Ramble (article en anglais). Les joueurs étrangers ? Beaucoup moins taxés que les joueurs espagnols, grâce à la loi dite "Beckham", l'Anglais ayant été le premier à en avoir bénéficié.

Les transferts pharaoniques du Real Madrid ? Financés par un emprunt auprès de deux banques, à un taux deux fois inférieur à ce que paie une entreprise, et indirectement par la Banque centrale européenne, qui a renfloué lesdites banques. Les dettes colossales du club dans les années 90 ? Epongées par la vente au prix fort de ses terrains d'entraînement à la municipalité, transaction dénoncée plus tard par la Commission européenne comme une subvention déguisée.

Le modèle du football espagnol est "structurellement déficient", écrivaient déjà en 2010 des économistes dans l'International Journal of Sport Finance (PDF en anglais). La décision du gouvernement espagnol de solder les vieilles dettes n'est pas qu'une prise de conscience tardive. En 2015, le fair-play financier (explications sur L'Express), mesure décidée par l'UEFA interdisant graduellement aux clubs mal gérés de jouer la Coupe d'Europe, va entrer en vigueur. Mais si elle était appliquée la saison prochaine, les plus gros clubs regarderaient la Ligue des Champions à la télévision.

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