Foot : mais pourquoi les supporters corses font-ils si peur ?
Le match de Ligue 1 Bastia-OM se déroule à huis clos, mercredi, une habitude pour le club bastiais. La réputation sulfureuse de son public est-elle méritée pour autant ?
FOOT - Bastia-OM se joue à huis clos, mercredi 12 décembre, sanction prise après les incidents qui ont émaillé le derby corse du 21 octobre dernier. Mais plusieurs milliers de supporters sont attendus sur le parking du stade de Furiani, pour suivre la rencontre sur écran géant. Un résumé de ce qu'est le foot corse, entre violence et authenticité. Et si on faisait la part du mythe et de la réalité ?
Braquages à l'italienne
A Bastia, jusqu'à la fin des années 70, les supporters s'inspiraient beaucoup de ce qui se passait en Italie, détaillé par le site Wearefootball. Didier Rey, professeur à l'université de Corse et auteur de La Corse et son football, décrit à francetv info le spectacle en tribunes : "Les supporters lançaient des énormes pétards sur les joueurs de l'équipe adverse, le bus de l'adversaire s'arrêtait à 100 m du stade pour que les joueurs soient obligés de finir le trajet à pied, un canon à carbure tonnait pendant toute la rencontre, et des spectateurs tiraient des coups de fusil en l'air." Lors d'un Bastia-Nice, en 1976, deux joueurs niçois ont carrément refusé d'entrer sur le terrain de peur d'être pris à partie. Des pratiques révolues aujourd'hui... ou presque. Les pétards et les bombes agricoles volent toujours bas à Furiani.
Le site corse-football.fr publie un courrier des lecteurs de France Football après un 8e de finale de Coupe de France entre Angers et Bastia de 1970, marqué par l'envahissement du terrain et un pugilat généralisé dans les tribunes. Un lecteur, supporter d'Angers, écrit : "Va-t-il falloir prendre des mesures comme en Argentine, des terrains entourés de barbelés et de fossés remplis d'eau ?" Réponse d'un supporter bastiais : "Depuis longtemps, les clubs corses sont sévèrement sanctionnés, sont l'objet d'opprobre et de haine."
Victime, vous avez dit victime ?
Des deux côtés de la Méditerranée, la machine à fantasmes tourne à plein régime. "Il existe une victimisation très forte en Corse, qui remonte dans le football à la création du championnat de France amateur", analyse Didier Rey. En 1959, la Corse est oubliée lors de la création de la compétition, et obtient finalement moins de clubs que l'Algérie française. Entre l'île qui se considère injustement traitée et le continent qui l'assimile à une zone de non-droit, le fossé se creuse. "Les deux clichés se nourrissent l'un l'autre", conclut Didier Rey.
L'après-Furiani a entraîné un regain d'amertume : les autorités ne se pressent pas pour reconstruire le stade (il le sera en... 2011), beaucoup de politiques ne tiennent pas leurs promesses. Le contentieux très sévère entre Nice et Bastia a vu le jour en 1976. Dans un contexte de naissance du nationalisme, de grossières erreurs d'arbitrage émaillent la rencontre à Nice. Le conflit perdure toujours : Manuel Valls a encore interdit de déplacement les Bastiais en septembre.
Les Corses rappellent qu'ils ne sont pas responsables de tous les maux du foot français. Le premier match à huis clos dans le championnat de France, c'était à Nice en 1974. Dans les années 70, la lutte entre Marseille et Saint-Etienne fait rage, et culmine avec un OM-ASSE de 1971. La foule envahit le terrain. Un supporter corse réclame en vain dans France Football la suspension du terrain de l'OM. "Comment voulez-vous que les Corses ne se sentent pas lésés alors que tout est permis à l'OM ?" s'emporte-t-il.
Furiani n'est plus un coupe-gorge
"Les supporters essaient de reproduire l'ambiance de Furiani dans le passé, mais on ne peut plus faire ce qui se passait dans les années 70. Le stade est globalement beaucoup plus calme", nuance Didier Rey.
"Aujourd'hui, il y a beaucoup trop de caméras, regrette presque Sébastien Leclerc, supporter du Sporting qui a tout plaqué en Bretagne pour s'installer en Corse. Charles Orlanducci, une légende du SC Bastia, me disait que ce qui se passait à Furiani n'était rien par rapport à son époque. Il y a encore une dizaine d'années, les deux costauds du club chopaient l'attaquant adverse dans le tunnel, le prenaient par les cheveux, et lui disaient 'toi, tu ne marques pas de but ce soir...'". Bastia n'est plus invicible à domicile, et a déjà perdu trois fois par trois buts d'écart ou plus à la maison. "Il y a moyen de mettre la pression sur l'adversaire intelligemment", explique Olivier Vincenti, du groupe de supporters Bastia 1905. On est un public revendicatif, et on ne va pas se contenter de brandir des banderoles avant le début des matchs comme certains ultras du continent. On essaie de ne pas perdre notre âme."
Le club a fait signer une charte de bonne conduite aux joueurs et aux supporters, après de multiples sanctions devant la commission de discipline. "Le péril principal qui nous guette aujourd'hui est dû à des questions de comportement", peut-on lire dans le texte, qui prie les supporters d'arrêter de jeter des projectiles et des pétards. Les dirigeants et les joueurs se sont engagés à mieux se comporter sur le terrain, car une partie des incidents reprochés vient du terrain, pas des tribunes.
Quand on lui demande s'il conseille aux supporters adverses de se rendre à Furiani, Olivier Vincenti répond sans hésiter "oui." "On joue de notre réputation de barbares. La semaine dernière, on a reçu un journaliste et on lui a dit 'n'oubliez pas d'écrire qu'on est méchants'. La plupart du temps, ça se passe très bien" Cédric, qui soutient le club de Lens, se souviendra longtemps de son déplacement à Furiani l'année dernière : "Les Bastiais aux alentours nous criaient 'On va vous saigner, sales Gaulois !'", raconte-t-il sur le site Moustache FC.
Sébastien Leclerc sera, lui aussi, sur le parking de Furiani pour encourager ses joueurs lors de Bastia-OM. "C'est tout Bastia ça, s'enthousiasme-t-il. C'est comme quand 250 supporters étaient venus accueillir les Bastiais de retour d'un match 'à domicile' disputé à Créteil contre Arles-Avignon [Furiani était suspendu]. A 3 heures du matin pour un match de Ligue 2, comme si c'était la Ligue des champions !"
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