"Il est mort pour nous" : 75 ans après le Débarquement, Cahagnes honore toujours le lieutenant Marshall-Cornwall
Bien loin des longs alignements de croix de Bayeux ou Colleville-sur-Mer, un soldat repose seul, au cœur du bocage normand, dans ce qui est le plus petit cimetière militaire au monde. Le souvenir de James Marshall-Cornwall, tankiste britannique de 22 ans, est toujours précieusement cultivé par les habitants du village où il est mort en juillet 1944.
Ils ne l'ont jamais vu. Et pourtant, chaque dernier dimanche de juillet, presque deux mois après la date anniversaire du Débarquement en Normandie, les habitants de Cahagnes (Calvados) prient, se recueillent et rendent hommage à James Marshall-Cornwall. "C'est une tradition, notre manière à nous d'entretenir le souvenir de ce jeune homme qui s'est sacrifié pour notre liberté", confie Marcel Bonnevalle, maire depuis 1985 de ce petit village de 1 400 habitants. Les photos du soldat britannique trônent sur son bureau, dans deux cadres dorés. Fine moustache, regard perçant, le militaire britannique de 22 ans fait plus vieux que son âge.
Chaque année, donc, une cérémonie est organisée sur cette parcelle, nichée sur le flanc d'une colline, au détour d'un virage bordé de haies. C'est là que le 30 juillet 1944, ce jeune tankiste a été fauché par la balle d'un tireur embusqué alors qu'il remettait des prisonniers allemands à l'infanterie. Ses hommes, les Grenadiers Guards, ont alors creusé une sépulture sommaire avant de l'enterrer là où il était tombé.
Le plus petit cimetière militaire du monde
Pour honorer sa mémoire, et comme le veut la tradition chez les soldats de sa Majesté, son père, le général et écrivain Gérald Cornwall, achète la parcelle de neuf ares pour que son fils repose là où il est mort. La commission impériale des sépultures britanniques y fait construire un petit mémorial, avant que le général ne fasse don de l'ensemble à la commune. Ce qui en fait sans doute le plus petit cimetière militaire au monde, avec une seule tombe répertoriée par la très officielle Commonwealth War Grave Commission.
"Jusqu'en 1985, le général venait tous les ans, en présence de sa famille et de ses amis. Puis, à sa mort, la sœur du lieutenant a pris le relais, jusqu'à sa propre mort en 2015. Depuis, c'est le neveu du lieutenant qui représente la famille", liste le maire. Une fidélité qui a créé des liens avec la famille Cornwall. Chaque année, Marcel Bonnevalle reçoit ainsi une carte de vœux. Et cette année, pour le 75e anniversaire du Débarquement, il en a reçu une deuxième, "by air mail", pour annoncer que toute la famille ou presque va faire le voyage. Tout est détaillé, en français s'il vous plaît, des jours d'arrivée jusqu'à l'âge des petits-enfants présents. "Ce sont des Anglais, tout est très précis", s'amuse l'édile.
S'il est un villageois qui ne raterait et événement "pour rien au monde", c'est François Potterie, curé à la retraite et ancien aumônier militaire. C'est lui qui anime la cérémonie, à l'église puis sur la tombe du soldat. "Cette année, j'ai même fait repousser la date de mariage de ma nièce de huit jours pour ça. Le 30 juillet, c'est sacré !" Et avec lui, "le rite est précis". Ce sera donc "le Psaume 129", puis le discours du maire, celui du président des anciens combattants, la minute de silence et le "vin d'honneur." Une ferveur qui a même surpris l'un des descendants du lieutenant. "Je ne sais plus qui il était par rapport au soldat, mais il m'a dit qu'il était étonné que, plus de soixante-dix ans après, nous continuions à rendre hommage à son ancêtre". Pas question cependant que cet hommage soit récupéré, précise l'ancien militaire.
On n'a jamais eu de ministre, de député ni de conseiller général. Cet hommage est intime, c'est notre affaire.
François Potterie, ancien aumônier militaire et curé de Cahagnes
Pour en savoir plus sur le jeune lieutenant, il faut se rendre dans l'ancien moulin de Cahagnes, où vit Jacqueline Thérin. Elle avait 17 ans au moment de la mort du soldat Cornwall. "Vous savez, ici, il y avait plus de Boches, pardon, d'Allemands – je n'arrive toujours pas à le dire – que de Français", glisse-t-elle d'entrée. Depuis la fin de la guerre, elle n'a pas manqué une seule célébration. "Les Anglais ont fait une percée en direction de Cahagnes, et le jeune soldat a été tué par un officier allemand caché en haut d'un pommier, au moment où il sortait la tête de sa trappe", précise-t-elle. "Il est mort pour nous, le malheureux".
Et pas un jour ne passe sans qu'elle repense à cette période. Seule dans sa petite maison entourée de pommiers, Jacqueline ne demande qu'à transmettre ses souvenirs. Sous son coude, presque collée à la toile cirée de la table de sa cuisine, une pochette plastifiée dans laquelle elle conserve précieusement son journal intime.
Des pages jaunies par le temps, mais où court une écriture soignée. Jour par jour, du 6 juin 1944 à la fin des combats, elle y a noté des anecdotes, des noms, des lieux, ou encore la liste des villages traversés lors de la fuite de sa famille au plus fort des combats.
Un souvenir en particulier la hante toujours. "Les Allemands avaient fait de notre maison leur Kommandantur. Un soir, alors que nous étions dans la cave avec ma mère, un soldat est entré et a fermé la porte. Nous étions terrifiées. Il nous a alors dit, dans un français hésitant : 'Demain à 5 heures, nous partons à Tilly-sur-Seulles. Et tous kaput'. Et le lendemain soir, tous les soldats allemands étaient morts."
Une scène parmi d'autres, truffée de détails, que Jacqueline relate sans se faire submerger par l'émotion. "Vous savez, si je vous parle...", souffle-t-elle en servant son "44", du "calva" à l'orange dont elle a le secret, "c'est pour ne pas que cela se reproduise, que personne n'oublie ce que l'on a vécu." Est-ce qu'elle se rendra sur la tombe du soldat Marshall-Cornwall, le 28 juillet prochain ? "Oh oui, j'espère bien !"
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