"Je ne sais pas où je vais dormir" : à Echirolles, l'évacuation d'un immeuble squatté et dégradé par des dealers laisse locataires et propriétaires stupéfaits

Les habitants de la quarantaine d'appartements occupés légalement de cet immeuble de la banlieue sud de Grenoble doivent évacuer leur logement d'ici vendredi. En cause, un "danger de mort permanent" constaté à la suite de dégradations liées au trafic de drogue.
Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des agents de la police municipale inspectent l'immeuble Le Carrare à Echirolles (Isère), le 26 septembre 2024. (JEFF PACHOUD / AFP)

Les affaires de Pierre* sont prêtes, rassemblées dans des sacs. Des petits morceaux de vie empaquetés à la hâte. Le surplus restera dans son appartement, en attendant son retour. Mardi 24 septembre, il a été informé qu'il devait avoir évacué son logement d'ici vendredi. Deux arrêtés de mise en sécurité pris par la mairie intiment l'ordre à tous les habitants du Carrare, un immeuble situé dans l'hyper-centre d'Echirolles (Isère), de quitter les lieux. La raison ? Les résidents s'exposent à un "danger de mort permanent" par le simple fait de rester chez eux, selon le communiqué de la mairie, qui évoque des "risques incendie et électrique".

Un rapport d'expertise, rendu lundi à la maire communiste Amandine Demore, alerte sur "la dégradation de l'ensemble des panneaux électriques du bâtiment". Dans le détail, "deux départs d'incendie dans des appartements ont été constatés, ainsi que la présence de câbles dénudés dans les communs", précise la mairie d'Echirolles à franceinfo. "Cette situation découle des nombreuses dégradations générées par les actes de malveillance liés au trafic de drogue qui pourrit la vie des résidents et des riverains", déplore Amandine Demore dans son communiqué. L'évacuation devra notamment permettre la "remise en sécurité" de cet immeuble qui comprend 80 appartements, dont certains sont loués, d'autres vides ou squattés.  

"J'attends des nouvelles de l'agence immobilière"

L'ordre d'évacuation, pris dans l'urgence, laisse interdits les habitants de la quarantaine d'appartements occupés légalement. Il faut vite trouver une solution pour les prochaines nuits. "Je ne sais pas où je vais dormir", confie Pierre, joint par téléphone à 24 heures de l'évacuation. "J'attends des nouvelles de l'agence immobilière, mais ils ne me rappellent pas." Le senior a bien repéré un hôtel en périphérie de la ville, mais ne sait guère comment s'y rendre.

La mairie avait pourtant prévu un dispositif d'accueil avec les services sociaux "afin de mettre en sûreté [les habitants] et les reloger de façon temporaire, le temps que les copropriétaires puissent s’assurer de la remise en sécurité de l’immeuble dans un délai de trois semaines". Mais Pierre, manifestement déboussolé par la situation, dit ne pas souhaiter se rapprocher des autorités compétentes.  

François*, lui, est propriétaire d'"une dizaine d'appartements" dans cette résidence, tous équipés de portes blindées. "Les locataires de mes appartements sont des jeunes travailleurs ou des personnes plus âgées", explique-t-il. "Les jeunes vont retourner dans leurs familles. Pour les autres, la question du relogement est plus compliquée", admet-il. Dans cet immeuble dans lequel il a commencé à acquérir des biens il y a cinq ans, le propriétaire a, lui aussi, constaté "des dégradations" liées au trafic de drogue. "La mairie n'arrive pas à faire le nécessaire", dénonce-t-il, déplorant une opération "place nette" lancée à l'échelle nationale début 2023, sans résultat concret dans l'immeuble.

Pourtant, les problèmes liés au trafic dans ce bloc grisâtre construit sur cinq étages ne sont pas nouveaux. Alexandre a vécu à cette adresse entre 2016 et 2017 et a tenu un an et demi. Assez longtemps pour assister à "des descentes régulières de la BAC". Le trentenaire habitait au deuxième étage, pris en étau entre "un premier et un cinquième squattés par les dealers". "Pour moi, ça allait, [les trafiquants] ne m'embêtaient pas trop car je me défendais. Mais déjà à l'époque, certains résidents de l'immeuble n'osaient plus sortir de chez eux", assure-t-il.

"Le trafic est plus fort et plus dur qu'avant"

Il y a tout de même eu cette tentative d'effraction à son domicile en sa présence, se remémore-t-il. Depuis, le jeune homme a refait sa vie dans la région bordelaise. Il constate avec amertume que rien n'a changé depuis son départ.

La situation a même pris un tour inquiétant ces derniers temps. "Avant, il y avait un trafic, on le savait. Mais depuis quelques mois, cela a évolué pour le pire", rapporte une habitante du quartier, inquiète. "Le trafic est plus fort et plus dur qu'avant, on a même entendu des bruits de balle", assure-t-elle. Signe de l'intensification du phénomène, deux blessés par balle ont été retrouvés dans le bâtiment en l'espace d'une semaine au mois d'août, rapporte France Bleu Isère.

Alors que des propriétaires de la résidence ont invité le nouveau ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, à se rendre sur place, le procureur de Grenoble, Eric Vaillant, a assuré mercredi que l'évacuation temporaire des habitants "est aussi une partie de la solution pour enlever le point de deal du Carrare des mains des trafiquants". Car la question de la disparition de ce point de deal déborde sur tout le quartier : le 11 septembre, Yassine Lakhnech, président de l'université Grenoble-Alpes (UGA), dont une partie des locaux se trouvent à quelques mètres du Carrare, a mis en garde : "Si nous estimons que la sécurité n'est pas au rendez-vous, nous serons obligés de déménager". Alors que la ville de Grenoble est elle-même gangrenée par le trafic de drogue, un départ serait, selon lui, synonyme "de la capitulation du service public face à la délinquance".

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.

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