franceinfo

Viens chez moi, j'habite chez un fantôme.

Enquête sur les maisons hantées.

Marie-Adélaïde Scigacz

Du Nord à la Bretagne, j'ai passé quelques jours et quelques nuits avec des victimes de phénomènes étranges et des "enquêteurs du paranormal" qui tentent de les aider. Et, oui, il m'est arrivé de claquer des dents.

"Ils se prennent en photo devant, comme si c'était le château de Dracula"

«Hé, je sais ! On devrait ouvrir une buvette devant chez eux ! On se ferait pas mal d'argent." A l'entrée d'un bistrot vide, tout près de la place où se dresse un modeste monument aux morts, deux hommes plaisantent. L'un d'eux vit à 500 m de là, tout près de "la" maison hantée de Villers-Outréaux (Nord). La scène se déroule début septembre. Au cœur de l'été indien, la petite ville de quelque 2 150 âmes, première étape de mon enquête, commence à se lasser de voir journalistes et curieux se presser dans ses rues paisibles pour "la voir".

"Vous savez où se trouve la maison ?" demande-t-on désormais, en baissant la vitre de notre voiture. "La maison des Larmigny ?" Une semaine plus tôt, les quatre membres de la famille l'ont fuie, terrifiés par des apparitions, des bruits de pas et des portes qui claquent toutes seules.

"Les gens se garent devant. Ils se défient d'aller sonner à la porte ou de frapper aux carreaux. Ils se prennent en photo devant la maison, comme si c'était le château de Dracula, s'étonne encore le voisin.
- Et vous, vous n'y croyez pas ?
- Ce que je crois, c'est que les Larmigny ont réellement eu peur. Maintenant, les fantômes, très honnêtement… Non."

"On nous a dit qu'il y avait des entités dans la maison"

Le jour, Stéphane Larmigny travaille dans son atelier de pièces détachées automobiles. Un entrepôt sombre, au sol jonché d'outils et d'engins en vrac, baigné dans une odeur de cambouis. Contrairement à son coquet pavillon, avec son carré de pelouse et ses murs jaune pâle, l'endroit jouit d'un authentique potentiel glauque. Le père de famille surgit de derrière une carcasse métallique. Je lui pose la question : "Ça ne vous dérange pas de parler de ce qui vous est arrivé ?" Il répond d'un geste de la tête, blasé : "Non, non. De toute façon, on passe déjà pour des fous."

Quand son épouse et lui-même ont alerté les médias, ils espéraient que des personnes extérieures constateraient à leur tour les phénomènes et laveraient leur récente réputation de gentils allumés. Alors devant les micros, il se répète : "les visages", "la présence oppressante", "les bruits", etc. Il lève l'arrière de son tee-shirt taché d'huile de moteur et me montre les bleus inexpliqués qui parcourent le bas de son dos, comme des empreintes de doigts. "Je n'ai pas demandé à ce que ma vie se passe comme dans un film. Je n'ai pas demandé à les avoir."

"Les… ?" "On nous a dit qu'il y avait des entités dans la maison qui remonteraient au XVe siècle", explique-t-il d'un ton monotone. Depuis peu, le mot "entité" s'impose, moins naïf que "fantôme", connoté Aventures effrayantes de Scoubidou. La construction de cette maison est récente, mais cela n'empêche pas "qu'une centaine d'enfants ont été torturés et tués à cet endroit", assure le locataire. Une médium le lui a dit. "Moi, ça ne me surprend pas, je sentais qu'il y avait du monde", précise-t-il encore, lui qui ne croyait "en rien, pas même en Dieu". La médium, qui a détecté la présence de prétendus spectres d'enfants, n'a pas posé le pied dans la maison. Elle a été consultée à distance par un groupe de chasseurs de fantômes belges, Euroghost, invités à étudier le pavillon. Pourtant, ces révélations ont ébranlé le père de famille, visiblement affecté lorsqu'il confie : "Maintenant, je les vois partout. J'en ai encore vu en venant travailler, sur le bord de la route." Après trois mois passés chez des proches, Stéphane Larmigny, son épouse et leurs quatre enfants ont emménagé fin novembre dans un nouveau logement. Il est le seul membre de la famille à toujours apercevoir régulièrement ce qu'il estime être les esprits qui hantaient sa maison.

"Les gens ne savent pas vers qui se tourner"

Bénévole à l'Institut métapsychique international (IMI), une organisation de parapsychologie reconnue d'utilité publique (sa devise : "le 'paranormal' : nous n'y croyons pas, nous l'étudions"), Renaud Evrard, psychologue clinicien et enseignant-chercheur à l'université de Strasbourg (Bas-Rhin), est familier de ce type de témoignages. "Souvent, la dynamique n'est pas celle de maison hantée, mais de personne hantée", assure-t-il. Ainsi, il explique que si l'existence ou non d'entités peut évidemment être questionnée, la réalité du sentiment d'être "hanté", elle, ne fait aucun doute. Selon plusieurs études, "10% de la population admet avoir vu ou senti la présence d’un fantôme. 14% déclarent être allés dans une maison que l’on ressent comme hantée. Or, il n'y a pas 14% de psychotiques en France, explique-t-il. Il suffit de demander autour de soi pour se rendre compte que tout le monde, ou presque, a une anecdote sur le sujet."

Renaud Evrard assure que la souffrance est réelle : "Les gens ne savent pas vers qui se tourner alors qu'ils veulent prouver aux autres et à eux-mêmes qu'ils n'ont pas perdu la tête." Les spécialistes appellent cela "la phase de déplacement". "Certains appellent des médiums au risque de tomber sur des charlatans. D'autres, en fonction de leurs croyances, vont faire venir le prêtre du coin, ou la gendarmerie, voire des chasseurs de fantômes."

Samantha et les "enquêteurs du paranormal"

Des chasseurs de fantômes ? "On préfère le terme 'd'enquêteurs du paranormal'", sourit Astrid. La jeune femme – à 39 ans, son allure fluette et son regard bienveillant, encadré par un carré noir de jais, lui donnent dix ans de moins – a fondé l'Association d'enquêteurs du paranormal et du surnaturel (AEPS). Samedi 25 octobre, ses six membres ont quitté Brest (Finistère) dans un monospace, direction Pontivy (Morbihan), à deux heures de route.

Excédée, Samantha, 44 ans, a fait appel à eux. Comme celle des Larmigny, sa maison – dressée parmi des sapins, au cœur d'un lotissement récent – n'a rien d'une demeure labyrinthique et lugubre. Pourtant, quand ses quatre enfants partent chez leur père, un week-end sur deux, cette mère célibataire a toujours un sac de voyage prêt, au cas où.

Plusieurs fois, elle s'est enfuie en pleine nuit, pour dormir à Lorient (Morbihan), à l'hôtel. Entre les trois silhouettes aperçues face à elle "avec des capuches sur la tête, mais pas de visage", "le pendu, dans le jardin", dont elle parle en pointant du doigt la baie vitrée, "les petites filles", que son jeune fils voit dans la chambre, à tel point qu'il ne dort plus qu'avec elle... "Je préfère décamper", lance-t-elle en riant jaune, "hop !"

Autour de la table de la salle à manger, les six enquêteurs l'interrogent : "Qui vit ici ?" "Que savez-vous des anciens locataires ?" "Qui dort dans cette chambre ?" "Y a-t-il des puits à proximité ?" "Un cimetière, peut-être ?" "Qu'attendez-vous de nous ?" s'enquiert finalement Astrid. "Je veux comprendre et retrouver la paix", répond Samantha. Et d'ajouter, nerveuse : "Chez les autres gens où vous êtes allés, elles sont parties, les entités ?"

"Il y a quelque chose sur moi, là. Quelque chose d'hostile…"

Caméras infrarouge, détecteurs de mouvements, zooms pour enregistrer les bruits suspects, "ghostbox" (un enregistreur capable de capter "les phénomènes de voix électroniques", qui coûte environ 100 euros sur eBay)... Kevin et Nicolas, qui travaillent dans l'audiovisuel, gèrent la partie technique. Les câbles ont envahi les couloirs et rejoignent leur petit mur d'écrans sur lequel apparaissent les pièces plongées dans le noir, façon film d'horreur type Paranormal Activity. Avec Carl, 40 ans, ils se relaient pour filmer les séances d'invocations, tandis qu'Astrid et la benjamine du groupe, Nolwenn, 22 ans, se concentrent sur l'analyse, un fastidieux travail consistant à éplucher des dizaines d'heures de vidéos et de sons, à la recherche d'une ombre suspecte ou d'un bruit étrange. Enfin, Joëlle, 59 ans, leur offre ses "dons de médiumnité" : "une capacité à cerner l'autre", m'explique-t-elle. "Vous, par exemple, vous êtes perdue", met-elle aussitôt en pratique.

Le petit groupe travaille de nuit. A voix haute dans la pénombre, les enquêteurs séduisent ou narguent les potentiels esprits, comme le feraient des flics de série télé. Les "bad cops", Kevin, Nicolas et Carl, demandent : "Bah alors ? On se montre pas ? Vous avez peur ?" Rien ne se passe. Ils reprennent : "Vous pouvez me taper si vous voulez. Embêter Samantha, ça, c'est facile, hein ! C'est lâche ! Ça ne m'étonne pas que vous vous soyez pendu." Silencieux, ils attendent une réponse, immobiles dans l'obscurité, les sens aux aguets. (Mon ventre gargouille et Astrid demande : "Vous n'avez pas entendu un truc ?") Au bout de quelques minutes, Carl se raidit : "Il y a quelque chose sur moi, là. Quelque chose d'hostile." Calme mais ferme, il ordonne qu'on le lâche. "Vous reculez. J'ai dit, vous reculez !" "L'entité" s'exécute, mais l'enquêteur finit par quitter la pièce, livide. Dans la pénombre, ses collègues l'observent, soucieux de décrypter la nature de l'expérience vécue par leur camarade. Certes, il est chahuté, mais à côté de ceux qui comme Nolwenn, soupirent discrètement, déçus de "n'avoir rien ressenti là-haut, dans la chambre", Carl passe pour une sorte de privilégié. Quelques heures plus tard, la température de cette pièce passera, sans explication, de 19 à 11 °C.

"Si les esprits vous embêtent, rappelez-vous, vous leur bottez les fesses !"

En début de soirée, Joëlle, la médium, est "visitée par l'esprit d'un homme en colère". Là encore, quelques secondes suffisent à suspendre le temps dans la petite salle de séjour. D'abord, son bras s'agite, secoué de mouvements secs, semblables à ceux que l'on fait pour chasser un engourdissement. Puis son visage, si rond et affable quelques secondes plus tôt, se déchire dans une grimace. "Que voulez-vous ?" demande-t-elle pour engager cette mystérieuse conversation, à laquelle Nicolas, Kévin et moi-même assistons impuissants et décontenancés. Pour la médium, l'échange se conclut par une violente quinte de toux. Je cherche de l'eau, mais Nicolas me lance un regard rassurant de derrière son écran d'ordinateur : "C'est normal", chuchote-t-il.

Si l'on en croit Joëlle, il y a donc au moins un esprit dans cette maison. "Il a peur de quelque chose qu'il a fait de son vivant. Il a peur qu'on le juge", transmet-elle doctement à la locataire, qui retient son souffle et se tord les doigts. "Je le savais, je m'en doutais", ponctue Samantha, inquiète.

Autre découverte de taille : le pavillon de Samantha abrite une fiesta électromagnétique. Avec un appareil utilisé par les électriciens, Carl a inspecté la maison. "On atteint d'habitude ce genre de niveau près d'un tableau EDF", me jure-t-il, alors que l'appareil s'excite entre le jaune et l'orange, sur la table en bois de la cuisine. "Ce magnétisme peut provoquer les phénomènes", concède Astrid. Là-dessus, la science est d'accord.

Dans les années 1980, l'ingénieur britannique Vic Tandy travaillait dans un laboratoire de recherche médicale réputé hanté. Homme de science, il a tenté de découvrir pourquoi chaque personne qui entrait dans la pièce souffrait de sueurs froides inconfortables, était prise d'un vague malaise, et distinguait des formes furtives. Il ne trouva pas de fantôme. En revanche, il prouva le rôle déterminant des infrasons (ici causés par une climatisation défectueuse) et des champs magnétiques dans la recherche sur le paranormal. Susceptibles d'altérer la perception, de provoquer des apparitions ou de plomber l'atmosphère, ils sont considérés par la communauté scientifique comme responsables de nombreuses prétendues hantises. Même les chasseurs de fantômes le savent.

Sur le pas de la porte, à 5 heures du matin, Nicolas prend toutefois soin de lancer à Samantha, en train de préparer de la sauge à appliquer dans tous les recoins ("les esprits détestent ça") : "Si les esprits vous embêtent, rappelez-vous, vous leur bottez les fesses. Et pourquoi pas celles de votre proprio, aussi ?" Rapport aux bricolages constatés plus tôt sur le réseau électrique et la plomberie.

"Les apparitions interviennent à des moments-clés de ma vie"

Les personnes hantées sont formelles : le monde des morts s'adresse à elles. Patrick*, par exemple, estime que l'au-delà vient se matérialiser dans la buée concentrée sur la baie vitrée de son salon.

Lui ne connaît pas les terreurs de Samantha. Je le rencontre chez lui, dans le bassin minier, près de Lens (Pas-de-Calais). Dans d'épais classeurs, il a documenté chacune de ces apparitions, soit dix ans de "phénomènes" : le visage de sa mère décédée, des lutins, une silhouette "d'alien"... Tout y est, classé par date et annoté. "J'ai une théorie là-dessus, commence le quinquagénaire. Les formes ont un rapport avec des personnes de ma famille (…). Elles sont apparues à des moments où ma santé était fébrile." Il marque une pause. "Je suis persuadé que c'était un 'message', me disant de faire attention à moi. A chaque fois, les apparitions interviennent à des moments-clés de ma vie, surtout quand j'ai des soucis. Donc, analyse-t-il, je suis obligé de dire que c’est moi qui 'les’ appelle." Même s'il se défend de tout don de médium.

"Des dynamiques familiales complexes"

Le psychologue et chercheur Renaud Evrard confirme que l'interprétation joue un rôle décisif dans le fait de se sentir "hanté". Je repense à Samantha qui a entendu distinctement les mots "salope" et "connasse" s'échapper de la "ghostbox". "C'est de la paréidolie (le vrai nom de ça), tranche le spécialiste. Pour prendre l'exemple de la 'ghostbox', c'est un appareil qui produit des sons aléatoires. Or, notre cerveau ne comprend pas l'aléatoire. Il veut des 'systèmes', rappelle le psychologue. C'est pour ça que l'on entend toujours un mot, ou que l'on distingue toujours un visage ou une forme si l'on se concentre sur les nuages." Auditifs et visuels, ces effets suffisent parfois à convaincre quelqu'un de la présence d'un fantôme.

Mais comment interpréter les phénomènes plus spectaculaires, rapportés par des milliers de témoins à travers le monde, avec divers degrés de crédibilité et de sincérité ? "Dire que les phénomènes sont causés par un fantôme permet à la personne hantée de s'en tenir à distance, de dire : 'Ce n'est pas moi'." Pointant des "dynamiques familiales complexes" dans la grande majorité des cas de phénomènes paranormaux, Renaud Evrard penche pour une situation de "somatisation externalisée". En d'autres termes, "une personne incapable de traiter un problème au sein de la famille par un biais psychoanalytique normal est plus encline à témoigner de phénomènes pouvant aller jusqu'au 'poltergeist'", soit l'objet qui se déplace seul.

Je repense à Samantha et à son angoisse à l'idée de voir partir ses enfants. Au couple Larmigny et aux quatre jeunes de cette famille recomposée. Leurs témoignages sont sincères et leur peur, déchirante. Mais peut-elle n'être que l'extériorisation de non-dits ?

Réellement vécus par les intéressés, ces évènements paranormaux, ou du moins inexplicables, ne sont pas systématiquement connectés à l'au-delà. Même Patrick, pourtant relié au royaume des morts, doute de finir un jour dans cet entre-deux fantomatique. A l'issue de notre entretien, je lui demande : "Vous croyez vraiment qu'il y a une vie après la mort ?" Il hausse les épaules et sourit : "Si c'est le cas, j'espère au moins que je ne verrai pas les mêmes têtes de cons que dans la vie !"

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