Témoignages "Tout d'un coup, les gens ont pris une arme et mis les brassards" : la libération de Paris racontée par ceux qui l'ont vécue en août 1944

Le 25 août 1944, la capitale est libérée de l'occupant nazi. Pour franceinfo, cinq témoins racontent cette journée décisive et celles qui ont précédé. Des témoignages à hauteur d'enfant ou de grand résistant, mais avec une émotion commune, huit décennies plus tard.
Article rédigé par Eloïse Bartoli
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Thérèse Huet, Robert Birenbaum et Elizabeth Macaulay avaient respectivement 16 ans, 20 ans et 6 ans le 25 août 1944, jour de la libération de Paris de l'occupation nazie, à laquelle ils ont assisté. (PAULINE LE NOURS)

Ils avaient entre 6 et 24 ans au moment de la libération de Paris, mais leur mémoire n'a pas fléchi, quatre-vingts ans plus tard. Dimanche 25 août marque le 80e anniversaire de la capitulation allemande dans la capitale et les témoins qui ont accepté de nous raconter cet événement se souviennent des parfums, des sons, des sensations de cette séquence historique qui a profondément affecté leurs trajectoires personnelles.

Pour franceinfo, cinq femmes et hommes nous racontent la Libération, avec une précision remarquable et l'envie de transmettre le récit de ces dix jours décisifs.

Robert Birenbaum, résistant à Paris : "Ceux qui m'avaient traité de 'sale juif' m'ont considéré comme un héros"

Photo d'archive du résistant Robert Birenbaum lors de ses jeunes années, choisie comme couverture de son livre mémoire "16 ans, résistant". (DR)

Robert Birenbaum était surnommé "Guy" dans la résistance parisienne, dont il est l'une des principales figures et l'un des derniers survivants. Du 19 au 25 août 1944, il n'a pas dormi, trop occupé à participer à l'insurrection. Né de parents juifs polonais en 1926, il a tout juste 18 ans en août 1944 et fait pourtant déjà partie des jeunesses communistes de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) depuis deux ans. Celui qui n'était alors qu'un gamin devient l'un des dirigeants de l'insurrection et contribue, avec ses amis résistants, à libérer la capitale sous le commandement du colonel Rol-Tanguy. Un engagement total qu'il raconte dans son ouvrage 16 ans, résistant (éditions Stock), et qui lui a valu, en 2023, la Légion d'honneur. "Le mérite revient à mes copains, ce sont eux les véritables héros. Ce sont eux les principaux libérateurs de la France", appuie le nonagénaire en étouffant un sanglot.

Le 18 août, un appel à la grève générale est lancé dans la capitale. Le lendemain, les policiers parisiens prennent d'assaut la préfecture de police de Paris contre l'occupant nazi, et des combats éclatent à plusieurs endroits de la ville. Robert Birenbaum, qui participe à l'insurrection des 18e, 19e et 20e arrondissements, se souvient de "jours tellement fastidieux", ou pourtant, "un héroïsme extraordinaire est apparu". "Tout d'un coup, les gens qui n'avaient jamais rien fait ont pris une arme et ont mis les brassards [utilisés pour se distinguer des civils]."

"Les gens qui fréquentaient autrefois des Allemands ont apporté leur tribut, des policiers sont devenus des résistants : c'était un véritable mélange."

Robert Birenbaum

Durant cette période, Robert Birenbaum, qui s'est engagé dans l'armée française, est sur tous les fronts. Il participe ainsi à la libération de la place de la République, alors occupée par les nazis. Couchés au sol, "on tirait sur tout ce qui bougeait". "On les a eus, ils sont sortis [d'un hôtel à proximité] les mains en l'air", se souvient-il.

Dès la Libération, tout a changé. "Quand je suis revenu avec mon uniforme et ma mitraillette dans ma rue, ceux qui m'avaient traité de 'sale juif' m'ont considéré comme un héros. Ce que je ne suis en aucun cas", s'attache-t-il à marteler.

La grande histoire de la libération de Paris à laquelle Robert Birenbaum a largement contribué se croise avec celle, intime, d'une histoire d'amour naissante. Le 25 août, jour de la capitulation nazie, "Guy" fait la connaissance de Thérèse-Tauba Zylberstein, qu'il surnomme affectueusement "l'Anne Franck française". Durant deux ans, Thérèse et ses parents, juifs, ont vécu cachés dans un débarras de 6 m2 sous les toits d'un immeuble de la rue Saint-Maur. Robert Birenbaum la rencontre par l'intermédiaire d'une amie commune, et ils ne se quitteront plus durant soixante-cinq ans, jusqu'au décès de Thérèse-Tauba Zylberstein en 2009. Cette histoire est racontée dans un film à paraître en février 2025, La vie devant moi, du réalisateur Nils Tavernier.

 Thérèse Huet, adolescente : "Les gens étaient très excités, hystériques !"

Thérèse Huet à 17 ans, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), fin 1944. (DR)

La libération est douce comme un chewing-gum venu d'outre-Atlantique, se souvient Thérèse Huet, 96 ans. Le 26 août 1944, la jeune fille, alors dans sa seizième année, quitte Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) où elle réside avec sa famille, pour se rendre sur les Champs-Élysées et assister au défilé de la victoire. Un moment "grandiose". Pendant plusieurs heures, de l'Arc de Triomphe à Notre-Dame, défile sous ses yeux le cortège des Forces françaises de l'intérieur (FFI), les troupes du général Leclerc ainsi que des chars et des soldats alliés. "Les Américains arrivaient, les filles sautaient sur les camions, c'était tellement joyeux", se remémore-t-elle.

De cette effervescence, la sapidité de la friandise de la marque Wrigley, distribuée en masse par les combattants américains, a marqué l'adolescente. Une pâte à mâcher d'autant plus appréciée que Thérèse Huet, à l'instar de nombreux Français, a souffert durant les quatre années qu'a duré l'occupation allemande de très contraignantes restrictions alimentaires.

"Je me souviens de la faim. Nous manquions de pain, de matière grasse. Nous ne trouvions rien."

Thérèse Huet

Galvanisée par le défilé des troupes, la foule joyeuse est "impressionnante" aux yeux de la jeune fille, qui se souvient "ne pas être rassurée". "Les gens étaient très excités, hystériques !", raconte encore Thérèse Huet, qui marque une pause. "Tout ça me paraît très loin, mais ce sont des souvenirs inoubliables."

René Gonin, soldat démobilisé : "Des jeunes filles grimpaient sur les camions des Américains et ne revenaient que le lendemain"

Si René Gonin, 104 ans, ne devait retenir qu'un son de la libération de Paris, il s'agirait probablement de celui du gros bourdon de Notre-Dame. Le 24 août, dans la soirée, un détachement de la 2ᵉ division blindée du général Leclerc vient d'entrer vers Hôtel de Ville, et les cloches de la cathédrale retentissent dans tout Paris, une première depuis 1940. "Je ne les ai entendues qu'une fois dans ma vie, c'était ce jour-là", fait-il valoir.

Le lendemain, le jeune homme de 24 ans, un temps mobilisé dans le 15ᵉ régiment d'artillerie de Montpellier puis dans le 64e régiment d'artillerie d'Afrique avant d'être démobilisé, se rend porte d'Orléans pour assister à l'arrivée de l'une des colonnes de la division Leclerc, accompagnée de la 4e division d’infanterie américaine. Les renforts arrivent enfin, après des combats au sud-ouest de la capitale.

"Nous suivions la progression des chars depuis plusieurs jours, et on a appris qu'ils étaient proches, alors nous nous sommes rendus sur l'avenue pour les voir. J'étais au premier rang quand ils sont arrivés."

René Gonin

Le centenaire se remémore lui aussi l'allégresse, la joie, partout. "C'était délirant", résume-t-il. "Des jeunes filles grimpaient sur les camions des Américains et ne revenaient que le lendemain. Entre mon domicile et la porte d'Orléans, il y avait plus de préservatifs que de fleurs de pâquerettes", assure-t-il, un brin grivois.

Porté par l'élan collectif, René invite, avec son épouse de l'époque, un chauffeur américain rencontré dans la rue à venir dîner à la maison le soir même, "pour manger les réserves que nous avions spécialement constituées en prévision de la Libération". Au soir de l'arrivée des troupes et des Alliés, le foie gras était ainsi sur la table des Gonin.

Mais que l'on ne s'y trompe pas, le versant plus sombre et documenté de la Libération n'a pas manqué d'être observé : René Gonin se rappelle aussi d'un attroupement, et, au milieu de celui-ci, "une femme totalement nue, tondue, couverte de crachats". Lors de la Libération, les femmes étaient soumises à ces humiliations publiques lorsqu'elles étaient accusées de collaboration avec les nazis ou d'avoir eu des relations sexuelles avec eux. Une scène qui lui "coupera l'élan de joie".

Lionel Levêque, adolescent : "On n'a vu que le képi du général de Gaulle qui dépassait !"

Lionel Levêque, 15 ans, se trouve dans la maison familiale dans le quartier d'Auteuil (16e arrondissement) le 24 août 1944, lorsqu'un bruit rompt le silence. "Des partisans construisaient une barricade avenue de Versailles", relate-t-il avec entrain. Rien d'étonnant : depuis le début de l'insurrection parisienne, les barrages de fortune pullulent dans la capitale et ses environs, dans l'espoir d'empêcher les Allemands de faire venir des renforts.

"Avec quelques copains, on tournoyait autour [des insurgés]. Ils nous ont alors dit que ce n'était pas le lieu pour faire les zouaves et nous ont demandé d'aller chercher tout ce que l'on pouvait comme matériel pour les aider."

Lionel Levêque

Rencardé par "la rumeur publique" qui gonfle, l'adolescent se rend le 25 août porte de Saint-Cloud, pour constater, lui aussi, l'arrivée joyeuse des troupes. "Je suis resté une heure, je ne voulais pas trop inquiéter ma mère, qui redoutait que ça tire."

Le jeune homme a tout de même tenu à se rendre sur les Champs-Elysées bondés le lendemain, pour assister à la traversée de Paris à pied du général de Gaulle, héros de la Libération, alors que le cortège était ponctué de fusillades isolées. "Avec le monde, on n'a vu que le képi du général qui dépassait !", plaisante le nonagénaire.

Elizabeth Macaulay, enfant perdue de la guerre : "La libération de Paris, c'était aussi ma libération"

La jeune Elizabeth Macaulay photographiée pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943. (DR)

"La guerre a eu des lourdes conséquences sur ma famille", résume Elizabeth Macaulay, 86 ans, laconique. Cette citoyenne britannique de l'île de Jersey a été séparée de ses parents durant la Seconde Guerre mondiale, avant de les retrouver en 1945. Sa mère était hospitalisée pour la tuberculose à Jersey, également occupée par l'Allemagne, et son père a été contraint de fuir Paris en juin 1940, en direction du Royaume-Uni. "Il a estimé qu'il était trop dangereux de m'emmener avec lui, sa fille de 18 mois", précise-t-elle. Elizabeth a donc été, pendant quelques mois, une enfant perdue de la guerre, placée en pouponnière à Paris, puis retrouvée par la Croix-Rouge internationale et de nouveau placée dans différents foyers d'accueil, durant cinq ans. "La libération de Paris, c'était aussi ma libération", glisse-t-elle.

Le 26 août 1944, au lendemain de la Libération, Elizabeth Macaulay a 6 ans et de beaux cheveux roux. Tout comme Thérèse Huet, elle se revoit sur les Champs-Elysées pour observer le défilé des troupes.

"Je me souviens être soulevée dans la foule pour obtenir un bonbon d'un soldat, je me souviens tenir la sucrerie dans ma main droite, je me souviens de la joie et du beau soleil qui brillait ce jour-là."

Elizabeth Macaulay

Et alors qu'Elizabeth Macaulay pensait n'avoir aucune trace de ces quelques jours chargés d'histoire, la consultation de la page Wikipédia dédiée à la Libération et sa photo d'archive en illustration changent la donne. Cette petite fille rousse à côté des membres de la Croix-Rouge, célébrant l'arrivée des troupes sur la plus belle avenue du monde, ne serait-ce pas elle ? "Je portais le même genre de robe sur une photographie prise l'année précédente", appuie-t-elle. Sans moyen de le prouver, l'octogénaire demeure avec des interrogations.

Une foule considérable s'agglutine sur les Champs-Elysées pour voir les chars alliés passer sous l'Arc de Triomphe, après la libération de Paris, le 26 août 1944.  Elizabeth Macaulay est-elle la petite fille encadrée en rouge ? (UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL / GETTY)

Parce que ces quelques jours ont eu un tel retentissement dans son histoire personnelle, Elizabeth Macaulay est présente, en compagnie de sa fille, aux cérémonies de commémoration de la libération de Paris organisées dans la capitale samedi et dimanche. "J'aurais été trop bouleversé pour m'y rendre seule", argue-t-elle. Un soutien nécessaire dont la petite fille seule et perdue à Paris n'avait pas pu profiter, il y a quatre-vingts ans.

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